Consécutive au coup d’Etat du 22 Mars 2012, la transition démocratique au Mali est entrée dans une dynamique nouvelle, depuis la réunion tripartite CEDEAO-UA-ONU du jeudi dernier sur la crise malienne. La rencontre ne s’est pas limitée à enclencher les démarches de reconquête de l’intégrité territoriale du Mali et de libération de son septentrion occupée par les groupuscules rebelles armés. Elle aura également consacré un début de redressement du tir quant à la plus grande insuffisance de l’Accord-cadre passé entre la Cedeao et la junte, à savoir : la possibilité d’une mainmise des putschistes sur le rouage étatique. Mais en exigeant la dissolution pure et simple de la junte, les trois parties posent également la question de la survie d’un gouvernement qui, selon toute vraisemblance, est lié au CNRDRE par le nombril.
Très mauvaise posture
L’étau n’a de cesse de se resserrer autour de la soldatesque malienne, depuis le drame survenu à Koulouba, dans la foulée de la convention d’investiture du Capitaine Amadou H. Sanogo contre les dispositions de l’accord conclu entre la CEDEAO et la junte putschiste sur la gestion de la transition. Pendant que les condamnations affluent de toutes parts sur un forfait où tous voient une main invisible de Kati – et que la justice se tourne le pouce devant les écheveaux d’une affaire très obscure -, la communauté internationale ne s’est, quant à elle, point embarrassée de calculs pour considérer le Comité National de Redressement de la Démocratie et de Restauration de l’Etat comme un facteur de blocage dans le processus de résolution de la crise au Mali.
La réunion tripartite d’Abidjan a ainsi exigé la dissolution pure et simple du CNRDRE, le Rubicon que la Cedeao s’est longtemps retenue de franchir pendant sa négociation avec Amadou H. Sanogo et ses hommes.
Conçu pour servir les intérêts corporatistes de l’armée, de passe-droit pour ses exactions et interférences dans la vie publique, le CNRDRE aura longtemps été ce vicieux serpent de mer dans le système. En dépit de l’accord conclu avec les instances sous-régionales sur la transition et des assurances données à celles-ci, le rétablissement de l’ordre constitutionnel n’a jamais été qu’une chimère impossible à réaliser dans les conditions de mainmise sur les médias publics, le trafic aérien et la justice, d’entrave évidente au fonctionnement normal des institutions de la République. S’y ajoute l’instauration d’une terreur indescriptible, à laquelle les citoyens ainsi que les institutions de la République sont constamment soumis, et dans laquelle la soldatesque se complaît au point d’abhorrer le recours à toute force extérieure, qu’il s’agisse de protéger les organes de la transition ou de libérer le territoire occupé par les envahisseurs.
En définitive, un démantèlement du CNRDRE, tout en permettant de lever les obstacles et de dégager la voie au règlement de la crise, met naturellement les putschistes de Kati en position très inconfortable, par rapport à un besoin réel de tirer les ficelles au nom de deux urgences au moins. L’une a trait aux gênantes procédures judiciaires ouvertes respectivement sur l’affrontement entre unités de l’armée et l’agression du président de la République ; l’autre au contrat mirifique passé avec les troupes dans le cadre de nombreuses revendications d’ordre social. Est-il besoin de mentionner que lesdites attentes sont si pressantes, qu’une grogne, en gestation, n’a été de justesse circonscrite que grâce aux assurances données par Amadou H. Sanogo et le Chef d’Etat-major des Armées, lors de leur passage dans les garnisons de la capitale?
- Le Gouvernement Cheick Modibo Diarra sur la sellette
Le sort de plus en plus imminent de la junte malienne manquera difficilement de déteindre sur celui d’un gouvernement déjà décrié dans l’opinion pour être incontestablement plus une incarnation des penchants restaurateurs de Kati qu’une émanation véritable du peuple. C’est du moins l’impression qui se dégage d’une équipe qui, dès son installation, s’est moins intéressée aux attentes, qu’elle ne s’est engagée dans une logique de totale dévotion aux intérêts du CNRDRE, le soutien auquel Cheick Modibo Diarra est manifestement redevable, aussi bien de son avènement que de sa subsistance. Les symptômes de subordination et de dépendance sont apparus aux toutes premières heures de l’avènement du Gouvernement, avec son opposition à peine voilée, au Sommet Cedeao de Dakar, à l’arrivée de forces sous-régionales pour la libération du NORD-Mali, malgré le cri du cœur des populations du septentrion.
Le Dr. Cheick Modibo Diarra exécutait ainsi une volonté, précédemment exprimée, dans ce sens par la junte malienne qui avait auparavant affiché une hostilité tout aussi ouverte au recours au Forces en Attente de la Cedeao.
Poursuivant sur la même lancée – et usant d’un plein-pouvoir qui n’a certainement de limite que les frontières de Kati -, le Premier Ministre a poussé l’allégeance jusqu’à oser éconduire les élus des régions concernées en leur signifiant qu’un recours aux forces sous-régionales est si coûteux que le Mali ne saurait s’en offrir le luxe.
Mais les indices les plus récents du pacte ombilical entre son équipe et la soldatesque sur le sujet viennent d’être mis en évidence par les récentes sorties successives du porte-parole de son gouvernement sur les antennes internationales. Sur la question de la dissolution de la junte malienne, il s’est illustré par une perplexité découlant d’une peur bleue qui prouve que le CNRDRE est si redoutable que son démantèlement serait même une délivrance. À propos de la décision de recourir au Conseil de Sécurité de l’ONU, dans le cadre de l’envoi des forces, les efforts du Ministre Hammadoune Touré pour se conformer à la position de la junte, toutes proportions gardées, le distinguent à peine du porte-parole du CNRDRE à Paris, Bakary Mariko. Leur similitude est d’autant moins fortuite que le sort de chacun d’entre eux est intimement lié à celui du CNRDRE, dont la mise en touche remet en question, de facto, l’utilité de l’un comme de l’autre. L’un parce qu’il constitue l’excroissance d’une entité dissoute, l’autre parce qu’il est le porte-voix d’un gouvernement assujetti, au point de laisser croire que sa raison d’être réside dans l’existence du CNRDRE.
En tout état de cause, c’est l’impression qui se dégage de l’attitude d’un gouvernement, dont l’action penche plus pour le confort de la junte putschiste que pour l’essentiel des missions assignées par l’Accord-cadre. Et pour cause : le Comité National de Redressement de la Démocratie et de Restauration de l’Etat constitue jusqu’ici la caution la plus solide pour la flagrante transgression de prérogatives à laquelle le Gouvernement s’adonne au nom du plein-pouvoir.