Ferdinand Duranton est un explorateur français du début du XIXe siècle, qui épousa la fille du roi du Khasso, Sadioba Diallo, dans la région du Haut Sénégal, soit l’actuel Ouest malien. Explorateur, aventurier, ce dernier, tombé dans l’oubli en France, est resté dans la mémoire de l’historienne et femme de lettres, Mme Adame Ba Konaré. Et cela depuis qu’elle découvrit le lien de famille qui lie le roi du Khasso à sa propre famille. En effet, la mère du président Alpha Oumar Konaré descend directement de ce roi. Pour raconter ce pan entier de l’histoire coloniale, l’ancienne première Dame a fait appel à la figure du griot. Un choix loin d’être anodin.
Selon l’historienne, tout a commencé en 1824 quand la fille du roi du Khasso, Aoua Demba (installée à Médine/Kayes), épouse un Français, Ferdinand Duranton. « C’était l’un des premiers mariages franco-maliens. Ça m’intéressait aussi sur le plan familial. Ma belle-mère, Awa Demba Diallo, qui a vécu avec nous pendant 20 ans après le décès de son mari, descendait directement de ce roi. Dans les années 1980, en tant que fille aînée, elle a été, à son tour, intronisée princesse du Khasso », rappelle Adame Ba Konaré dans un entretien accordé à nos confrères « Le Point Afrique ».
Sans compter qu’elle a toujours été intriguée de savoir qui était ce Ferdinand Duranton. « J’ai effectué des recherches dans les archives de Dakar. Il a laissé une importante correspondance qu’il envoyait à ses supérieurs hiérarchiques à Saint-Louis-du-Sénégal et à Paris », explique-t-elle.
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Ainsi, Duranton est né à Saint-Domingue. Son père y servait comme intendant. Il s’occupait du ravitaillement des troupes. Sa mère, une Créole, a épousé en premières noces un riche planteur de Jérémie. « Son aventure joue sur trois tableaux : l’Europe, l’Afrique et le Nouveau Monde. Ferdinand Duranton a lui-même été officier dans le 11e Régiment d’infanterie, l’artisan des conquêtes napoléoniennes ».
Mais, au-delà du personnage de Duranton, c’est le choix de la narration orale qui fascine dans cette œuvre. « C’est une tradition très importante chez nous », se justifie Mme Konaré. Et de préciser : « Ma démarche intellectuelle est de revaloriser tout ce savoir-faire qui se perd. Tout l’art du griot risque d’être oublié. Cette tradition orale, par la récitation, le bouche-à-oreille, est une source importante d’histoire dont on s’est éloignés ».
Dans cette œuvre de témoignage et d’une qualité littéraire indiscutable, c’est Djéli Madi Kouyaté qui raconte l’épopée de Ferdinand Duranton (1797-1838). Cet explorateur, diplomate, agent commercial et beau-fils d’Aoua Demba Diallo, roi du Khasso… en confiant ce rôle à ce facétieux griot, Adame Ba réussit « un rare plongeon au cœur d’une tradition orale riche et foisonnante par la voix d’un maître des mots, du temps et de la mémoire ». Avec un détour par Saint-Domingue, l’auteure « tisse une quête d’identité croisée… qui la touche de près ».
Pour l’historienne contemporaine, « le griot n’est pas un robot. C’est vraiment un artiste qui façonne son discours. Il le consolide à travers les sommations du présent et les a-prioris idéologiques de son temps. J’ai voulu mettre en avant cet art de la narration ».
« Le griot m’a raconté… » dresse aussi un parallèle entre le passé et le présent. « Il y a une similitude stratégique française depuis le début de la pénétration coloniale. Dans ces régions, les conflits pour le leadership sévissaient de façon endémique. Mais, pour les supérieurs de Duranton à Saint-Louis, il fallait avancer à pas feutrés, gagner l’estime du roi », souligne Adame Ba.
Mais, Duranton « était un sanguin qui voulait opposer la guerre à la guerre. Il ne croyait pas du tout à la neutralité. Selon lui, quand deux parties sont armées, le langage de la paix ne sert à rien. C’est vraiment le père de l’interventionnisme militaire en Afrique. Aux côtés de son beau-père, il a fait tirer sur des villages. C’était les premières canonnades qu’on entendait dans ces contrées ».
De même, déplore l’auteure, « les rois locaux s’entretuaient dans des guerres fratricides. On utilisait la corruption, les cadeaux pour gagner leur confiance et traiter avec eux. Duranton ne le faisait que pour les monarques les plus puissants, ceux qui, à ses yeux, méritaient d’être aidés, comme son beau-père Aoua Demba. Il avait une prééminence sur une région productrice d’or, le Bambouk. Duranton ne tarissait pas d’éloges sur lui, le trouvant rusé et avec de la poigne. Il y avait une tradition d’échange avec les Blancs ».
Duranton était naturellement en mission de défense des intérêts du commerce français. A l’époque, précise Mme Adame Ba Konaré, « la marchandise principale était la gomme ».
Née à Ségou au Mali, Adame Ba Konaré est historienne de formation. Elle est l’auteure de nombreux articles et d’une dizaine d’ouvrages sur son pays et l’Afrique, dans des domaines aussi divers et variés que l’histoire, les femmes, les parfums… Elle a également produit un roman et divers essais.
Première Dame du Mali de 1992 à 2002, elle est également militante des droits de l’Homme et du Mouvement démocratique malien, membre fondatrice de plusieurs associations, présidente-fondatrice du « Musée de la femme de Bamako » (Muso Kunda) et du Centre Kadiatou Thiam, un centre de formation et de production pour les femmes.
Les années passées dans les allées du pouvoir n’ont pas réussi à l’éloigner de ses racines et n’ont fait que conforter ses convictions et sa passion de la recherche et de l’écriture.