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Dr. Aly Tounkara : « Les mécanismes traditionnels et une justice équitable »
Publié le mardi 5 fevrier 2019  |  Le Focus
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Enseignant-chercheur à l’Université de lettres et des sciences humaines de Bamako (ULSHB), Dr. Aly Tounkara analyse la situation sécuritaire du Centre qui, dit-il, est le résultat de la perte de légitimité des leaders traditionnels et du manque de confiance entre les populations et l’Etat central.

Le Focus : Quels sont les mécanismes de résolution des conflits intercommunautaires au Mali ?

Aly Tounkara : Au centre du Mali, il est important de rappeler qu’avant, les Peuls étaient majoritaires du point de vue numérique, mais aujourd’hui, on a l’impression que c’est les Dogons qui le sont. Mais, lorsqu’on prend cette région dans son intégralité, s’il y a une communauté qui domine : c’est bien la communauté peule.

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De ce fait, il n’y a pas qu’un seul mécanisme mais plutôt des mécanismes en fonction des communautés et en fonction même des orientations pour la résolution des conflits en cette partie du territoire. Mais, fondamentalement, lorsqu’on parle de la région de Mopti, elle est aujourd’hui l’épicentre de l’insécurité.

Les Peuls dans l’écrasante majorité font toujours recours à la chefferie traditionnelle. La participation sociale est extrêmement développée chez eux. Pour apporter des solutions durables à des situations, il est important de faire recours aux mécanismes traditionnels utilisés par le nombre important que sont les Peuls. C’est vrai que de Boni à Douentza, en passant par Koro et Bandiagara jusqu’à la frontière avec la région de Ségou, on se rend compte que les Peuls sont très hétérogènes.

Il y a des Peuls qui se regroupent autour des valeurs religieuses, notamment musulmanes. Ceux-ci préféraient plutôt faire recours à l’islam dans la résolution du conflit tandis qu’on a aussi des Peuls qui se regroupent et qui seraient des athées. Ceux-ci feraient recours à ce qui a pu les caractériser, notamment la culture ou d’autres valeurs ancestrales.

Les Focus : Et pour les Dogons ?

A. T. : La chefferie dogon a aussi des particularités vivantes. Mais, n’oublions pas qu’il y a des parties qui seraient partageables entre ces différentes communautés. Qu’on soit à Mondoro, à Koro ou à Bandiagara, même si les Peuls et les Dogons cohabitent, ils sont parfois d’accord que le litige soit tranché par la chefferie locale. Maintenant, ce qui se présente dans le contexte du Centre du pays, c’est la question de la légitimité de la chefferie locale.

Des années 1990 à aujourd’hui, quand regarde avec une attention particulière, on se rend compte que la chefferie traditionnelle, qu’elle soit dogon ou peule, a perdu toute sa crédibilité, car elle s’est greffée à l’élite politique. Même ceux-là qui tranchent au nom de percept musulman qui sont les cadis, dans la localité peule, on assiste à un changement de gravité parce qu’ils avaient de la légitimité et ils étaient droits. Ils n’étaient pas partisans. Or aujourd’hui, beaucoup de leader religieux ou coutumiers sont mêlés aux questions politiques.

Le Focus : Donc l’Etat aussi n’est plus légitime ?

A. T. : Naturellement, les gens ne font plus confiance à l’administration judiciaire. C’est ainsi dans toutes les villes au centre du Mali : l’autorité traditionnelle est en déphasage avec les principes qui ont toujours rayonné sa légitimité. Et dans le même temps, le recours à l’institutionnel qui, à travers ses instances notamment les tribunaux et les fournitures de défense, a échoué. Donc, les populations ne croient qu’en leurs propres solutions.

Le Focus : Quelles sont vos propositions pour une sortie définitive de crise ?

A. T. : Les mécanismes de solutions militaires ou stratégies militaires qui sont élaborés doivent tenir compte des dimensions du terroir qui sont, entre autres, les mécanismes traditionnels, la sécurité de la population, etc. Ce qu’il faut mettre au cœur des solutions aussi c’est comment établir le pont entre le traditionnel et le droit positif. Une fois que le pont est établi, la condition sine qua non pour qu’il soit efficace est que les agents qui incarneraient la justice répondent de façon sans équivoque à la question d’éthique et de moralité. Il faut que les populations (Dogons et Peuls) aient la ferme conviction que la justice est bien délibérée.

Propos recueillis par Hamissa Konaté

Le Focus du 4 février 2019

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