Au portillon de Koulouba, pas moins de 9 anciens premiers ministres et ministres se bousculent. Mais l’un d’eux, Ahmed Sow, présente un programme digne d’un conte de fées. Lisez plutôt…
Les sages ont toujours enseigné que le pouvoir est une drogue dure. Plus dure que la cocaïne vendue dans le désert par Belmokhtar, Iyad Ag Ghali et consorts avant l’avènement des troupes françaises. Voilà pourquoi quiconque goûte au pouvoir ne veut plus le lâcher. Du nigérien Mamadou Tandja au zimbabwéen Robert Mugabé, en passant par l’ivoirien Laurent Gbagbo, le tunisien Ben Ali et l’Egyptien Mohamed Morsi, il a fallu le bâton pour déloger ces bonshommes de leur palais. Dans certains cas, même une copieuse bastonnade ne suffit pas à donner au président le dégoût du pouvoir (suivez mon regard)… Ceux qui promettent juste de remettre en ordre la chose publique puis de vider le plancher ne s’en vont, en réalité, qu’avec des coups de bottes au train; je veux parler des Moussa Dadis Camara et autres Robert Gueï. Quant au cas de Madagascar, il se passe de commentaires. Après avoir signé et paraphé un document où il jure de ne pas postuler à la présidentielle, AndryRajolina, le président de la Transition, s’est hâté, quelques jours plus tard, de déposer sa candidature, aussitôt imité par Didier Ratsiraka, l’ancien président de la Grande île…
Pourquoi devient-on si vite et si durement dépendant du pouvoir ? J’y vois plusieurs raisons. D’un, une fois là-haut, on vous joue la fanfare et vous passez journellement en revue les troupes. De deux : vous tenez au bout de votre stylo la carrière de milliers de personnes, du planton au ministre, en passant par le directeur général et le chef d’état-major. Une sorte de demi-dieu en somme. En outre, vous puisez à pleines mains dans le trésor public sans rendre de compte à personne; d’un simple claquement de doigts, vous jetez au gnouf les impertinents qui se posent trop de questions. Enfin, grâce aux maîtres espions déployés aux quatre coins du pays, vous en savez un bout sur tout et tout le monde. Et puis, il y a les griots, ces disciples de Balla Fasséké qui vous chantent, à longueur de journée et de nuit, que sans vous, le pays serait foutu.
Dans l’affaire, les programmes politiques occupent très peu de place;c’est de la poudre de perlimpimpin pour empêcher le peuple de déceler les vraies motivations des candidats aux délices. Si, vraiment, les candidats veulent seulement servir le pays de manière désintéressée, pourquoi le mettent-ils à feu et à sang quand ils ne sont pas élus ? Pourquoi prennent-ils les armes pour détruire un pays et un peuple dont ils prétendent vouloir le bien-être ? Ces questions doivent nous ouvrir grands les yeux et les oreilles : les candidats veulent d’abord et surtout assurer leur propre confort. Le nôtre vient après, « dans les jours à venir », selon la formule consacrée.
Vous et moi, pour n’avoir jamais siégé au gouvernement, n’avons pas goûté au pouvoir ni ne sommes candidats à rien. Il en va autrement de ceux qui ont effectué un petit séjour en haut lieu. La nostalgie du pouvoir les taraude et ils vendraient leur dernière chemise pour remettre le couvert. Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais parmi les 28 candidats retenus par la Cour constitutionnelle, un bon tiers se forme d’anciens premiers ministres et d’anciens ministres. Bâ Bourama, le chef des Tisserands, a dirigé la primature 6 ans durant : il a de sérieuses raisons de vouloir viser plus haut, n’est-ce pas ? D’autres anciens premiers ministres tiennent à le dévancer au jardin d’Eden, pardon!, à Koulouba: ZoumanaSacko, Modibo Sidibé et même l’astrophysicien Cheick Modibo Diarra, lequel, après la blague que lui a jouée le capitaine Sanogo, semble définitivement descendu sur terre…Si les anciens premiers ministres se bousculent au portillon, les anciens ministres n’ont pas dit leur dernier mot. Il y a là, sur les rangs, SoumailaCissé, ancien ministre des finances; Oumar Ibrahim Touré, ancien ministre de la santé; Ahmed Sow, ancien ministre des mines; ChoguelKokallaMaiga, ancien ministre du commerce; TiébiléDramé, ancien ministre des affaires étrangères; Konimba Sidibé, ancien ministre contrôleur d’Etat. Madame Sidibé Aminata Diallo, ancienne ministre de l’éducation, s’est fait plaisir en déposant sa candidature; mais elle s’est bien gardée de payer les 10 millions de caution, sachant que ses célèbres larmes ne lui vaudront nullement une place en finale: elle tient à ses économies, celle-là !
En attendant le scrutin, les candidats multiplient les opérations de charme à l’endroit des électeurs. Ainsi, SoumailaCissé a produit un livre – rien de moins !- où il décrit ses belles années au service de l’intégration africaine. Il oublie sans doute que la majorité des Maliens ne sait ni lire ni écrire. Pour bien montrer que leur mentor partage les soucis du petit peuple, les partisans de Modibo Sidibé racontent qu’il vient de parcourir le pays dogon en moto. Je ne crois pas à cette fable mais après tout, qui eût cru que le « Vieux Commando » aurait pu dévaler nuitamment la colline de Koulouba à dos d’homme ? Le jeune candidat de l’Adema, Dramane Dembélé, tient à rappeler qu’en tant que parfait inconnu sorti du chapeau magique du parti, il incarne le changement. Le problème, c’est que l’Adema a roulé sa bosse dans tous les cercles du pouvoir ces 20 dernières années et qu’elle a mangé assez de gâteaux pour songer à prendre sa retraite.BâBourama a récite à tout bout de phrase une formule coranique pour qu’on n’oublie pas qu’il est le plus pieux des candidats. Il ferait bien, par ces temps de lutte anti-jihadiste, de changer de discours et de parler davantage de République. Mais l’homme qui présente le programme le plus alléchant est assurément Ahmed Sow.Samedi, à l’Hôtel Salam, l’ancien ministre des mines rencontrait la presse. S’il est élu, il promet d’ouvrir tous les postes de responsabilité à la compétition; nul ne sera plus nommé par décret. Jugeant dérisoires les salaires des agents de l’Etat, il promet de les doubler et d’accorder des primes de sortie aux ministres. Il doit savoir de quoi il parle puisqu’il a été lui-même débarqué du gouvernement sans que quelqu’un songe à lui donner des primes d’adieu…
Au sujet du récent réaménagement gouvernemental, Sow s’interroge, lunettes gravement levées au ciel: « Pourquoi enlever Tiena Coulibaly pour le remplacer par un certain Empereur, douanier et membre influent de l’ADEMA? ». Si Sow fait miroiter tant de biscuits aux yeux des fonctionnaires, il reste un père fouettard qu’on aurait tort de prendre pour le père Noël. « Je foutrai tous les voleurs de deniers publics en prison! », prévient-il, assurant que dès sa prise de fonctions, il fera construire une nouvelle maison d’arrêt, l’actuelle risquant de devenir vite trop exigü. « Je me suis engagé dans la politique pour servir mon pays; je suis PDG d’une société internationale; j’ai une maison à Paris, une autre à Doubaï…Je ne suis pas comme les autres politiciens. Personne parmi ces candidats ne parle de combattre les magouilles; je suis seul à les décrier! », se lamente le candidat. Pour un peu, on lui donnerait le bon peuple sans confession, n’est-ce pas ? Notre cher président ne s’arrête pas en si bon chemin: il s’engage à réduire les impôts des entreprises. A croire qu’il va financer l’économie avec du vent! Il se propose aussi de donner à chaque paysan une parcelle de 5 hectares, une charrue et 2 bœufs. Même l’empereur Kankou Moussa n’a pas fait mieux au temps de sa splendeur! Le programme de Sow ne serait pas complet si on ne rappellait pas qu’en 2012, l’homme jurait, une fois au pouvoir, de faire venir l’océan atlantique au Mali. Comme quoi, il y a sous nos tropiques des citoyens capables de reproduire les merveilles des Mille et Une Nuits!