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Le Professeur Cheikh Anta Diop et l’aménagement linguistique de l’Afrique (suite)
Publié le samedi 9 fevrier 2019  |  Aujourd`hui
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III. L’antériorité des travaux du professeur Cheikh Anta DIOP : la preuve par l’Académie Africaine

des Langues (ACALAN)

Nous allons ici retracer rapidement la prise en charge du ”Projet Global” ci-haut évoqué à travers le temps en l’Afrique d’après 1960. Précisément, nous aborderons la prise en charge du “Projet Global” avant l’ACALAN (3.1), sa prise en charge par l’ACALAN (3.2) et enfin, nous ferons des remarques finales en manière de reconnaissance et de célébration de l’antériorité des travaux du professeur DIOP en matière de politique et d’aménagement linguistique (3.3) en Afrique.

3.1. Le ”Projet Global” pour l’avenir linguistique de l’Afrique

La chercheuse Aram FAL JOOB a bien compris ce programme que le professeur Cheikh Anta a légué à la postérité. Elle a, en effet, écrit : “Au lieu de travailler en ordre dispersé, chacun comparant la langue qu’il veut à Egyptien, les universités Africaines devraient, selon des modalités qui restent à fixer, prendre en charge un projet global qui définirait la politique d’ensemble, les principes méthodologiques, déterminerait les étapes de la recherche, les langues à soumettre à la comparaison et indiquerait la répartition des tâches en leur sein”. Elle ajouta que “ce projet pourrait être initié par l’OUA, qui trouverait là l’occasion d’honorer, par une action qui enrichirait l’humanité toute entière, ce grand homme qui a œuvré inlassablement pour la dignité de l’homme noir” (Notes Africaines ….p14et 15).

“Le projet global”, dont parle la linguistique Aram Fal est d’essence panafricaine. C’est pourquoi, elle a proposé que l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), l’ancêtre de l’Union Africaine (UA) le prenne en charge. D’ailleurs, on se souvent qu’au décès du professeur Anta Diop, le conseil des ministres de L’OUA a adopté sur proposition de Ibrahima Fall, ministre des affaires étrangères du Sénégal une résolution sur Cheikh Anta Diop “En hommage aux services rendus à l’Afrique dans les domaines de l’histoire, de l’Anthropologie ayant contribué à l’affirmation de l’identité culturelle Africaine”(Le soleil du mercredi 9 mars 1986, p.16). Auparavant, en 1966, le festival mondial des artsNègres et de la culture de Dakar, avait désigné Cheikh Anta, en même temps que l’américain Williams Edouard Burgard Dubois, comme l’un des intellectuels ayant le plus profondément influencé le monde noir au XXe siècle.

3.2-Politique et aménagement

linguistique en Afrique avant l’ACALAN

La prise en charge du “projet et global” pouvait être faite dans certains documents adoptés officiellement par les Etats Africains dans le sillage de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), puis de l’Union Africaine. Certains l’ont fait, du moins en théorie d’autres non.

Le premier de ces textes est la charte de l’Organisation de l’Unité Africaine adopté et entré en vigueur le 25 Mai 1963. Son article 29 est stipulé comme suit : “Les langues de travail de l’organisation et de toutes ses institutions sont, si possible, des langues africaines, ainsi que le Français et l’Anglais”. Toutefois, chacun sait que les langues de travail de l’OUA furent le français, l’anglais, l’arabe et plus tard l’espagnol et le portugais.

Dans la même veine, le Traité constitutif de l’Union Africaine adopté le 11 juillet 2000 à Lomé et entré en vigueur le 26 Mai 2001 édicte dans son article 25 que “les langues de travail de l’Union et de toutes ses institutions sont, si possible, les langues africaines ainsi que l’arabe, l’anglais, le français et le portugais”. Rien de nouveau sous le soleil, est-on en droit de dire, et ceci tant en théorie qu’en pratique. Pire, les précisions apportées par le protocole sur les amendements à l’acte constitutif de l’Union Africaine adopté le 11 juillet 2003 a davantage embrouillé la question. En effet, en son article 11, on peut lire que “A l’article 25 de l’Acte (Langues de travail), remplace le titre : “langues de travail” par “langues officielles” et remplacer la disposition existante par : 1-Les langues officielles de l’union et de toutes ses institutions sont : l’arabe, l’anglais, le français, le portugais, l’espagnol, le Kiswahili et de toute autre Africaine. 2-Le conseil exécutif détermine le processus et les modalités pratiques d’utilisation des langues officielles comme des langues de travail”

Certes les Kiswahili apparait parmi les langues officielles et la mention “Toute autre langue Africaine” comme langue officielle apparait aussi, mais sans précision particulière. “Les langues de travail” sont citées mais ne sont pas énumérées. On voit, donc, que ce savant jeu d’équilibrisme contient tout sauf l’option d’une ou des langues (s) Africaine (s) y compris le Kiswahili comme unique (s) langue (s) officielle (s) et langue (s) de travail de l’Union et de toutes ses institutions ; ni pour l’instant ni pour le futur. Les langues des anciens colonisateurs n’ont pas encore amorcé ainsi leur déclin en Afrique et au sein de l’union Africaine.

Les autres documents de l’Organisation de l’Unité Africaine et de l’Union Africaine auxquels, nous faisons ici recours sont : le Manifeste culturel panafricain d’Alger, le rapport final de la conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles en Afrique ( UNESCO-OUA) d’Accra, les documents issu de la première conférence des ministres Africains de la culture de l’OUA de Port Louis, et ceux de la conférence intergouvernementale sur les politiques linguistiques (UNESCO – OUA – ACCT) de Hararé.



Globalement à l’étude de ces documents, la conclusion s’impose que la volonté politique de promouvoir les langues Africains gravée sur papier est en deçà des ambitions du professeur Cheikh Anta.

En effet, le premier des documents ci-hautcités, Le Manifeste culturel panafricain fut adopté à Alger en 1969. Il fut le premier document élaboré par des experts de l’OUA contenant des recommandations sur la promotion des langues Africaines.

Les recommandations mentionnaient un programme de traduction d’œuvres majeures de l’humanité en langues Africaines et aussi d’œuvres remarquables africaines dans les langues de grande diffusion internationale et l’utilisation des langues africaines dans l’enseignement. Toutefois, ces recommandations n’ont reçu aucune application évidente.

Le rapport final de la conférence internationale sur les politiques culturelles en Afrique (UNESCO-OUA) d’Accra 1975 fit de ladite conférence le moment fondateur au niveau de l’OUA des politiques culturelles et linguistiques du continent. La déclaration et les résolutions adoptées ont opté pour la création et/ou le renforcement des centres régionaux de recherche comme le Centre d’Etudes linguistiques et historiques par tradition orale (CELHTO), le Centre Internationale des Civilisations Bantous (CICIBA), le CERDOLTOLA, l’EACROTANAL etc…

La charte culturelle de l’Afrique, adoptée par l’OUA en juillet 1976 à Port-Louis (Ile Maurice) contient des développements très importants sur la promotion des langues africaines. Tout d’abord, le préambule déclare que “la domination sur le plan culturel … a tenté de remplacer progressivement et officiellement” les langues africaines par celles du colonisateur et qu’il “est urgent d’assurer résolument la promotion des langues africaines, supports et véhicules des héritages culturels dans ce qu’ils ont d’authentique et d’essentiellement populaire”. Le titre III intitulé “développement culturel national” a classé parmi les priorités” a la transcription, l’enseignement et le développement des langues nationales de manière à en faire des langues de diffusion et de de développement des sciences et techniques ; b) la collecte, la conservation, l’exploitation et la diffusion de la tradition orale etc…” et parmi les moyens “l’introduction et l’intensification de l’enseignement dans les langues nationales afin de d’accueillir le processus de développement économique social, politique et culturel dans nos Etats etc…”.



Le titre V porte le titre “De l’utilisation des langues africaines” et comporte trois articles. L’article 1 dudit titre déclare “l’impérieuse nécessité de développer les langues africaines” par l’élaboration de “politique linguistique nationale”. L’article 2 proclame que “Les Etats africains devront préparer et mettre en œuvre lesréformes nécessaires à l’introduction des langues africaines dans l’enseignement”. Enfin, l’article 3 édicte que l’introduction des langues africaines dans tous les ordres d’enseignement doit être mené de pair avec une alphabétisation des populations.

Voici qui rappelle le combat de Cheikh Anta pour la rénovation des langues africaines, débuté en 1946 pendant qu’il était étudiant en Math-supen France mais sans la cohérence sa vision panafricaniste et sans la hardiesse de ses propositions.

Les documents issus de la première conférence des ministres africains de la culture de l’Organisation de l’Unité Africaine tenue à Port-Louis en 1986 ont semblé effectivement allé dans le même sens que Cheikh Anta. Mais les résultats, en dehors de toute mesure d’application, n’ont pas été à hauteur de souhait. D’ailleurs, lesdits documents n’avaient pas la hardiesse des propositions du professeur DIOP. Remarquons que ces documents furent adoptés pourtant par le sommet des chefs d’Etats de l’OUA des 21-25 juillet 1986 à Addis Abeba.

Le premier de ces documents et Le plan d’action linguistique pour l’Afrique. Le préambule déclare que les chefs d’Etats sont convaincus que “l’adoption et la promotion pratique des langues africaines comme principales langues officielles de l’Etat dépendent de la volonté politique et de la détermination de chaque Etat souverain”. Ils en étaient tellement ”convaincus’‘ qu’ils ont soumis la question à l’inexistante ”détermination’‘ de “chaque Etat souverain” au lieu d’en faire une tâche régalienne de l’exécutif continental comme le soutenait Cheikh Anta.

Dans le même préambule, les chefs d’Etat de l’OUA réunis en sommet à Addis Abeba se sont dits “conscients … que la communication de l’Afrique avec le monde extérieur… doit se traduire par l’élaboration de mise en œuvre d’une politique linguistique au niveau de chaque Etat souverain”. Ils ont dit aussi reconnaitre que les “Etats membres [doivent] accorder à la promotion du multilinguisme une attention particulière dans l’élaboration de leur politique linguistique ”



Le titre I est consacré aux “Objectifs et principes”, au nombre de sept :

a) une politique linguistique bien définie par Etat ;
b) la déclaration de “toutes les langues utilisées à l’intérieur des Etats membres” sources d’enrichissement culturel mutuel;
c) la libération des peuples africains “de leur dépendance excessive vis-à-vis des langues étrangères comme principales langues officielles” ;
d) par une législation appropriée et une promotion pratique pour faire assumer aux langues africaines leur rôle “leur rôle légitime comme moyens de communication officielle dans les affaires publiques de chaque Etat membre pour remplacer les langues européennes” ;
e) l’encouragement à “une plus grande utilisation des languesafricaines comme véhicule d’instruction à tous les niveaux” ; f) la mobilisation de tous les secteurs du système politique et socio-économique de chaque Etat membre en faveur de la promotion des langues choisies comme langues officielles et g) l’encouragement et la promotion de “l’unité nationale, régionale et continentale en Afrique dans le cadre du multilinguisme”.
Le titre II a retenu quatre priorités :

a) Formulation politique (“choisir dans les meilleurs délaisun certain nombre de langues africaines autochtones nationales, régionales ou continentales viables comme langues officielles de l’Etat, de groupements régionaux ou de l’OUA” ;
b) Application et promotion (“application de la politiquelinguistique adoptée et incorporation des langues africaines officielles dans la vie politique, sociale, culturelle et économique de la nation” ;
c) Modernisation : (“modernisation éventuelle, par tous les moyens nécessaires des langues locales choisies comme langues officielles” et
d) Mobilisation des ressources (“mobilisation des ressources financières et autres et de toutes les institutions compétentes en vue de la promotion pratique des langues officielles choisies.”
Enfin, le titre III traire des “Programmes d’action” (méthodes, moyens) en douze points pour l’exécution desquels les Etats se sont solennellement engagés. Ces points queCheikh Anta (décédé cinq mois auparavant), aurait pu saluer avec des réserves ne demandaient qu’à être appliqués.

Enumerativement ces points sont :

a) “l’adoption le plus tôt possible des langues africaines comme langues de travail” au niveau continental et comme expression de la volonté de l’OUA par l’OUA elle-même et les associations, organisations ou institutions régionales affiliées àl’OUA ;
b) encouragement aux associations, organisations et institutions ayant le statut d’observateur auprès de l’OUA ou le sollicitant “à adopter les langues africaines locales comme langues de travail” ;
c) adoption par “les groupements régionaux des langues africaines régionales viables comme langues officielles ou comme langues de travail” ;
d) “nécessité impérieuse pour chaque Etat membre d’élaborer le plus tôt possible une politique linguistique” avec “une ou plusieurs langues africaines locales largement utilisées” ;
e) la création et/ou le renforcement du “comité linguistique national” pour réaliser l’alinéa d ;
f) la mobilisation des “moyens financiers et matériels nécessaires” pour “rehausser la ou les langues choisie(s) comme langues officielles au niveau de modernisation qui réponde aux exigences d’un Etat moderne” ;
g) une campagne systématique d’éducation ou de rééducation “de la population “sur l’utilité inhérente des langues ou pratique des langues africaines” contre “l’attitude négative généralement observée en Afrique vis-à-vis des langues africaines” ;
h) réforme des systèmes d’éducation pour les mettre au service de la promotion pratique des langues africaines choisies comme langues officielles ; i) établissement d’un “équilibre approprié à l’avenir entre l’étude scientifique des langues africaines et l’utilisation réelle et la promotion pratique de ces langues” ;
j) mise des universités et institutions nationales au service de la promotion pratique des langues africaines et des “domaines critiques” (compilation des dictionnaires techniques ou généraux, préparation de manuels, formation des professeurs de langues, de traducteurs, d’interprètes, de personnel de la radio-télévision et de journalistes, production littéraire etc…) ;
k) érection des langues africaines locales en moyens ou véhicules d’instruction et l) utilisation des langues africaines autochtones comme véhicules d’instruction dans les campagne d’alphabétisation.
Le second document issu de laditeconférence des ministres de la culture de l’OUA est la Résolution N°16 sur l’adoption du Kiswahili comme langue de travail de l’OUA. Cette résolution conforte la proposition de Cheikh Anta concernant le Kiswahili comme langue d’unification continentale. (cf. Les Fondements … et Antériorité des Civilisations…)

Mais aucun des deux documents n’a été réellement mis en pratique. Par ailleurs, le congrès de l’association panafricaine des linguistes en dépit de deux convocations Addis-Abeba (1988) et Tunis (1993) ne s’est pas tenu et le Bureau Interafricain des Langues (BIL) de l’OUA, auteur de ces documents a été dissous en 1987 à Kampala.

Les derniers documents référés, ici, sont ceux adoptés par la conférence intergouvernementale sur les politiques linguistiques en Afrique (UNESCO-OUA-ACCT) de Hararé en 1997. Parmi ces documents, il y’a des recommandations, une déclaration et le plan d’action linguistique pour l’Afrique. Cependant, ces documents comme les précédents, nonobstant, les avancées certaines qu’ils contiennent sont restés confiés aux archives.

En outre, des documents particulièrement importants de l’OUA ne comportent même pas une mention sur la problématique de la “promotion pratique des langues locales africaines “, afortiori sur leur érection en langues officielles. On peut citer, entre autres, le Traité d’Abuja créant la Communauté Economique Africaine de 1991 et le Programme d’action de la Décennie de l’éducation en Afrique (Harare 1999).

Ce long et sinueux parcours aux résultats insuffisants commandait, ainsi, que l’Afrique passaà une autre étape de combat pour la promotion de ses langues autochtones. La création de l’Académie Africaines des Langues (ACALAN), tente, tant bien que mal, de répondre à ce besoin capital.

Harouna BARRY
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