Ce visage qui pleure, plein de pitié, de tristesse et de détresse ; ce visage qui fait appel au secours de tous. Ce cœur qui bat et saigne des humiliations indicibles ; ces yeux braqués sur l’horizon d’espoir ; cette tête enrôlée dans le turban de la patience de l’espoir pour voir un jour sa famille, s’en est allé pour toujours et pour l’éternité !!
Cher père, cher Soungalo, je ne vous ai jamais connu ni fréquenté ; je n’ai jamais travaillé sous votre ministère. Pourtant, j’ai été touché dans mon âme et dans ma chair le jour où je suis accidentellement tombé sur une vidéo dans laquelle vous suppliez et implorez les autorités, vos collègues de travail afin de vous tendre juste une main; une main porteuse d’espoir et de liberté.
La moindre des choses que je pouvais faire, et sachant bien que je ne suis rien, je n’ai rien et ne représente rien pour alléger vos souffrances, pour accélérer votre libération, était juste de partager sur ma page Facebook les vidéos dans lesquelles vous apparaissiez, pour leur donner plus de visibilité afin qu’elles puissent être vues et entendues par les décideurs. Mais hélas ! Il n’y a plus de d’aveugle et de sourd que celui qui ne veut pas voir et entendre, dit-on.
Cher juge, à deux reprises, vous apparaissez dans des vidéos avec l’espoir d’attirer le regard de la nation sur vous et sur le sort que vous subissez, vous et vos compagnons d’otage. Vous avez cru espérer que ces cris de secours et de douleurs seront entendus. Mais dommage que vous avez été malheureux !
Malheureux, vous l’avez été de n’être qu’un noir qui ne peut être échangé contre un prisonnier ;
Malheureux vous l’avez été d’avoir eu trop foi en votre patrie en risquant votre vie dans cette zone émaillée d’insécurité, pour exercer votre métier de juge sous les couleurs de la République ;
Vous avez été malheureux de n’avoir eu comme compagnon d’otage Karim Keita, un ministre, un cadre important pour attirer toute l’attention de la nation;
Malheur à vous d’avoir trop cru à vos hiérarchies, à vos dirigeants qui sont capables et savent échanger le plus grand terroriste Wadoussene contre les journalistes français, mais incapables de porter secours, de sauver la vie d’un digne fils de la nation comme vous.
Malheureux vous l’avez été de n’avoir comme collègues de travail les magistrats qui ont croisé les bras pendant un an, et ont voulu attendre jusqu’à ce que ça soit trop tard, pour faire un communiqué teinté d’hypocrisie dans lequel ils appellent à l’observation de trois jours de deuil national, en lieu et place de trois jours de grève nationale pour faire preuve d’une vraie solidarité qui pouvait certainement vous sauver la vie.
Enfin, vous avez été malheureux de n’avoir que les Maliens comme peuple, qui sont plus sensibles à la joie de quelqu’un qu’à sa peine, à sa difficulté.
Plus d’un an dans les mains des terroristes, avant de rejoindre votre éternelle demeure, vous avez traversé seul la solitude, le désespoir, la souffrance des nuits sombres et pleine d’humiliations. Vous êtes mort pour la nation, mais celle-ci ne vous sera jamais reconnaissante.
Finis vos cris de cœur, vos cris de secours, vos nostalgies, vos souffrances, vos peines, vos différentes apparitions dans des vidéos. Vous êtes partis pour toujours et pour l’éternité !
Mais pour moi, vous faites partie de ces figures qui disparaissent, mais ne s’évanouissent pas. Des figures qui, devenant invisibles sous une forme, prennent des formes visibles sous l’autre.
Si nous étions dans un pays sérieux, monsieur le juge, vous aurez été élevé au rang de héros national pour avoir sacrifié sa vie au service de la patrie.
Mais hélas ! Aux yeux de la nation vous n’êtes qu’un simple vieux qui devait s’apitoie seul sur son malheur; un néant dont la présence ou la disparition ne peut aucunement impactée la vie de la nation. Ainsi donc, seuls “Rip” et “condoléances” seront désormais les seuls actes et expressions de votre peuple et de votre nation, pour honorer votre mémoire, pour couronner votre bravoure….
Je m’en voudrais, monsieur le juge, de ne pas vous rappeler, à cette occasion les mots de l’écrivain Birago Diop, “les morts ne sont pas morts… Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire ; et dans l’ombre qui s’épaissit ; ils sont dans l’arbre qui qui frémit ; ils sont dans les bois qui gémit ; ils sont dans l’eau qui coule ; ils sont dans l’eau qui dort, ils sont dans l’enfant qui vagit…”
Certainement, vous avez rejoint votre dernière demeure avec le cœur plein de haines pour votre pays pour vous avoir abandonné à votre sort depuis plus d’un an, pour la famille judiciaire qui n’a voulu vous exprimer son soutien qu’en présentant ses condoléances d’hypocrites à vos femmes et enfants, désormais veuves et orphelins pour toujours.
Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que quelque chose s’en va, et quelque chose en vous survient. La terre comme le ciel a ses éclipses, mais ici-bas comme là-haut, la disparition suit réapparition. Le juge Soungalo s’en est allé, mais l’homme Soungalo demeure pour toujours.
A vos femmes et enfants, depuis en Serbie, recevez les condoléances et la parole d’un simple citoyen lambda qui a un père qui pouvait se retrouver dans la même situation que celle avait vécu notre désormais défunt.