Les démissions des directeurs généraux de l’EDM-SA et de l’ENA en l’espace d’un mois démontrent que des commis de l’Etat sont parfaitement conscients que beaucoup d’intérêts du peuple sont présentement sacrifiés sur l’autel des intérêts égocentriques et qu’ils n’entendent pas cautionner cela. Une petite lueur d’espoir dans la rédemption du Mali ?
La similitude est évidente. Le départ d’Amadou Diarra, un banquier, qui a passé une quinzaine d’années au service audit de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bcéao), de son poste de directeur général de l’Energie du Mali (EDM-SA) ressemble comme deux gouttes d’eau à celui du directeur général de l’Ecole nationale d’administration (ENA), Amadou Kéita, il y a un mois. Et, comme par enchantement, les deux personnalités démissionnaires portent le même nom. Ils ont refusé d’être des dindons de la farce.
Le premier a abdiqué en guise de protestation à la nomination de son ministre de tutelle (Energie et Eau) en qualité de président du conseil d’administration de l’EDM-SA, contrairement à la loi et pour entrave à sa volonté de secouer le cocotier de la prédation dans son entreprise piégée par des dépenses injustifiables ; le second a refusé de reprendre le concours d’entrée à l’ENA sous le prétexte qu’il y a eu fraude dans le précédent examen, sans preuve tangible.
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Faut-il croire que les Amadou sont du genre à ne pas s’en laisser conter ? Pas seulement eux. Beaucoup d’autres, à leur instar, certainement ne badinent pas avec le sens de l’honneur et de la responsabilité. Ils sont prêts à dire non pour ne pas cautionner l’innommable. Ces deux hauts cadres du Mali viennent en tout cas de prouver qu’ils peuvent renoncer à tous les privilèges pour garder intacte leur dignité.
Ils devraient être, de ce point de vue, des exemples à suivre par tous leurs semblables bafoués, frustrés et piétinés par le biais du copinage, du népotisme, du clientélisme, des situations de rentes, toutes pratiques en cours dans l’administration publique et qui tentent d’enfouir toutes les vertus de notre peuple.
La médisance, la calomnie, les crocs-en-jambe, et surtout la violation flagrante de la loi par ceux qui doivent en assurer l’application correcte ont poussé les deux personnalités à rendre leurs tabliers. Le fait est rarissime pour être souligné, mais devrait se généraliser dans un contexte marqué par la course à l’enrichissement illicite, la gabegie, l’accaparement des biens publics par une minorité…
… Pour rebondir
Il faut remonter aux débuts des années 1980 pour trouver les traces de démissions fracassantes dans ce pays après qu’Alpha Oumar Konaré (à l’époque ministre de la Jeunesse, des Sports, des Arts et de la Culture), et le colonel Youssouf Traoré (alors secrétaire à l’éducation et à la culture du bureau exécutif central de l’UDPM) ont dit non au tout-puissant président de la République, le général Moussa Traoré, secrétaire général du parti-Etat, ministre de la Défense nationale, chef suprême des Armées et de la justice. Il fallait oser !
Ils seront plus tard imités par le ministre des Finances et du Commerce, Soumana Sako en 1987 après l’éclatement d’un scandale appelé « affaire Sabena », un avion de la compagnie aérienne belge qui était supposé transporter clandestinement de l’or malien et à la fouille duquel ordonnée par le patron de l’Hôtel des finances s’étaient opposés des caciques du régime de l’UDPM-CMLN.
A l’instar des Chinois, qui soutiennent que « le toit qui protège la case de la pluie a été construit par temps sec », ces trois personnalités, sans peut-être le savoir, venaient de creuser le puits d’aujourd’hui en prévision de la soif prochaine. Alpha Oumar Konaré sera le premier président de la République démocratiquement après l’instauration de la démocratie et du multipartisme pour s’être dans une large mesure opposé au général Moussa Traoré, en quittant le gouvernement.
Soumana Sako devra son passage à la Primature pendant la Transition 1991-1992 à son refus de cautionner des pratiques contraires à l’orthodoxie financière alors même qu’il jouissait d’une très grande popularité pour avoir régularisé le payement des salaires des fonctionnaires, qui cumulaient souvent trois mois, voire plus d’arriérés de salaires.
L’ex-colonel Youssouf Traoré sera brillamment élu député à San sous les couleurs de l’Union des forces démocratiques et de progrès (UFDP) et aura une voix retentissante à l’Assemblée nationale au cours de la législature 1992-1997.
Comme pour dire qu’une démission ou le renoncement à des avantages aujourd’hui n’est pas forcément synonyme de fin du monde. La preuve en est que plusieurs fois démissionnaire du gouvernement français, Jean-Pierre Chevènement l’a réintégré maintes fois par la grande porte.
Interrogé par un journaliste « alors ‘un ministre ça démissionne ou ça ferme sa gueule’, c’est une phrase dont vous vous souvenez, c’est vous qui l’avez prononcée ?« Jean-Pierre Chevènementa répondu : « Je l’ai prononcée le jour où j’ai quitté le gouvernement… où j’avais décidé de quitter le gouvernement en 1983. J’ai toujours eu une certaine conception… je dirais un certain sens de l’Etat ». Non seulement il a bien prononcé cette phrase, mais il a même appliqué la règle.
Après sa démission de 1983, il démissionnera à nouveau en 1991, refusant l’intervention militaire française en Irak, puis en 2000 quand ministre de l’Intérieur il quittera le gouvernement Lionel Jospin, rejetant la politique menée par le Premier ministre en Corse.