Une équipe de chercheurs de la Faculté d’histoire et géographie (FHG) de l’Université des sciences sociales et de gestion de Bamako (USSG) et de l’Institut Frobenius d’Allemagne vient de terminer la première phase d’une étude pluridisciplinaire sur l’histoire des environs de Ségou de la période d’avant l’Etat bamanan ou le « Fanga » (pouvoir). Cette équipe est composée de : Dr Daouda Keïta, Dr Nikolas Gestrich, Dr Seydou Camara, Dr Bourahima Ouédraogo, Dr Mamadou Cissé, Soumaïla Coulibaly (Doctorant en ethnologie) et d’autres étudiants.
Cette phase s’est déroulée en deux étapes. La première a eu lieu entre la fin de l’année 2016 et le début de 2017. Quant à la seconde, elle a eu lieu de novembre 2017 à mars 2018. Les premières conclusions apportent de nouvelles données sur la chronologie du peuplement des différentes aires du Mali, particulièrement de Ségou et ses environs.
L’objectif de la mission, comme l’indique le rapport dont nous avons eu une copie, était de recueillir des informations sur le peuplement de la région, en particulier l’implantation et le fonctionnement des Marakadugu (villes ou villages des maraka), faire une prospection et procéder à des fouilles archéologiques de quelques sites.
Les enquêtes orales ont été effectuées à Busεn, Faraku, Togu, Duguba, Kukun, M’Peba, Sekoro, Ségou-ville, Sinzani, Sibila, Sanamadugu, Marakala, Sama Markala, Funuguni. Les fouilles archéologiques ont concerné des sites autour de Duguba, Togu et Faraku.
Les investigations ont permis de savoir l’existence de populations bozo, soninké et kagoro au pays de Ségou, avant l’avènement de l’Etat bamanan. La tradition orale nous apprend que la diaspora soninké consécutive au déclin du Wagadou-Ghana fonda dans ces contrées neuf cités célèbres dont certaines devinrent des centres commerciaux importants.
Le Dr Bourahima Ouédraogo de la Faculté d’Histoire et de Géographie et
Dr Nikolas Gestrich d’Allemagne examinant les éléments de la fouille dont les poteries en bas
Selon le rapport, le mot « maraka », en bambara, est communément compris comme mot désignant l’ethnie Soninké. Les enquêtes ont démontré que dans la région de Ségou, «maraka» désigne également un groupement social qui comprend non seulement les Soninké, mais aussi les non Soninké. D’après nos informateurs, le « marakaya » ne réfère pas à une ethnie mais plutôt à un comportement. On peut devenir Maraka. Le « marakaya » est défini par quatre aspects : être musulman, faire le commerce, ne pas faire la guerre et être installé dans un marakadugu.
Néanmoins, on reconnaît qu’il y a des différences entre les populations maraka, surtout entre les Marakajè et les Marakafin. Le mot « Marakajè » désigne ceux qui parlent la langue soninké. Au contraire, les Marakafin sont ceux qui disent avoir « perdu l’usage de la langue ».
Deux autres formes de Maraka, le Maraka jalan et le Dafinmaraka, sont décrits par les informateurs qui les situent dans la région de San et vers la frontière du Burkina Faso.
Les chercheurs ont constaté l’absence de noms typiquement soninké dans beaucoup de marakadugu ; l’existence d’un royaume peu connu autour de Duguba, probablement la première cité maraka d’où seraient issus d’autres marakadugu. Duguba dont le chef pourrait avoir été gouverneur de l’empereur du Mali, avait la réputation d’un village interdit aux Keïta et craint de tous les voisins.
Les marakadugu ne faisaient pas la guerre ; ils étaient toujours sous la protection des Bamanan et lorsqu’un grand maître coranique voulait s’installer en un lieu, le « faama » (roi) de Ségou lui envoyait des gens pour le protéger et lui offrir des esclaves. Ainsi pouvait naître un marakadugu. Les prières des maitres coraniques étaient sollicitées par les « faama » avant les guerres.
Les Marka se déplaçaient beaucoup ; ils allaient, venaient et décidaient même parfois d’abandonner leurs sites, soit par crainte des maladies, soit par attachement à un autre lieu ; leurs sites n’en gardaient pas moins leur identité de marakadugu ; la liste des marakadugu n’est pas unique. Les noms donnés sont parfois supérieurs aux neuf habituellement cités par la tradition orale.
Quant aux prospections archéologiques, elles ont été menées dans toutes les localités visitées. En plus, le déplacement dans la zone a permis de découvrir d’autres sites visibles le long des routes empruntées par l’équipe qui a noté la présence d’importants sites archéologiques comparables par leur dimension et leur nombre à ceux du Delta intérieur du Niger.
Il est aussi important de signaler qu’à l’exception de Sinzani, tous les villages marakadugu visités sont installés sur d’anciens sites d’habitats qui font souvent deux à trois fois la superficie des villages actuels. Ce qui dénote de la diminution remarquable de l’occupation humaine.
Les dates radio carbones des charbons de bois prélevés pendant les fouilles donnent les âges des sites. Elles indiquent que les sites autour de Marakaduguba ont été occupés du 5e au 15e siècle de notre ère. Le site de Togu Missiri, autour du village de Togu, date entre le 9e et le 14e siècle. Les anciennes cités abandonnées de la zone sont donc parfois du même âge que les débuts de l’empire du Ouagadou, voire antérieur. En tout cas, la colonisation de la zone est antérieure à la chute de cet empire. En revanche, il semble que certaines localités comme Marakaduguba, Faraku et Juna faisaient partie intégrante de l’Empire du Mali, entre les 13e et 15e siècles.
Les vestiges observés sur les sites archéologiques de Busεn indiquent deux phases d’abandon.
La première date de la même période que les sites archéologiques ci-dessus cités et la seconde, observée sur un espace de 100 ha est plus récente, se situant probablement entre le 15è siècle et l’avènement du « fanga » (pouvoir, autorité) de Ségou. Généralement, la tradition orale lie l’abandon de ces sites à l’invasion de Kong.