Bamako, ) - Plus d'une centaine d'habitants d'un village
peul du Mali ont été tués samedi par des membres présumés de groupes de
chasseurs dogons, près de la frontière avec le Burkina Faso, en pleine visite
du Conseil de sécurité de l'ONU dans un Sahel en proie à la menace jihadiste.
Depuis l'apparition il y a quatre ans dans le centre du Mali du groupe
jihadiste du prédicateur Amadou Koufa, recrutant prioritairement parmi les
Peuls, traditionnellement éleveurs, les affrontements se multiplient entre
cette communauté et les ethnies bambara et dogon, pratiquant essentiellement
l'agriculture, qui ont créé leurs propres "groupes d'autodéfense".
Ces violences ont coûté la vie à plus de 500 civils en 2018, selon l'ONU.
Samedi à l'aube, c'est un de ces groupes de chasseurs dogons présumés qui
est à l'origine d'un carnage à Ogossagou-Peul, dans la zone de Bankass, près
de la frontière avec le Burkina Faso, tuant plus d'une centaine de villageois,
selon des sources concordantes.
Dans un communiqué samedi soir à New York, le secrétaire général de l'ONU,
Antonio Guterres, a évoqué un bilan dépassant les 130 morts.
"Au moins 134 civils, y compris des femmes et des enfants, auraient été
tués et au moins 55 blessés" à la suite de l'attaque, indique-t-il, en
affirmant être "choqué et outré" par ce massacre.
"Le secrétaire général condamne fermement cet acte odieux et appelle les
autorités maliennes à enquêter rapidement sur cette tragédie et à traduire ses
auteurs en justice", ajoute le communiqué diffusé par l'ONU.
- Assaillants "habillés en chasseurs" -
Une mission composée d'un détachement de l'armée et des autorités locales
est arrivée sur place dans l'après-midi, selon une source de sécurité.
"Ce sont les chasseurs traditionnels qui sont accusés par les rescapés",
avait souligné dans la journée le préfet de Bankass, Boubacar Kané, parlant
pour sa part de "115 morts, dont les éléments peuls du DDR cantonnés dans le
village de Ogossagou". Il faisait référence à l'extension au centre du pays
depuis le début de l'année du processus de "désarmement, démobilisation et
réinsertion" (DDR) prévu par l'accord de paix de 2015 pour les combattants de
groupes armés.
Selon l'association de défense des droits des populations pastorales Kisal,
qui avait signalé des "exactions perpétrées contre la communauté peule par des
hommes armés habillés en chasseurs dans le cercle de Bankass", les personnes
tuées incluent "le chef du village et sa famille, le marabout Bara Sékou Issa
et toute sa famille".
Selon des témoins, les cases du village ont été incendiées.
L'ambassadeur français aux Nations unies, François Delattre, a parlé d'une
"attaque terrible" que "nous condamnons fermement", lors d'une conférence de
presse samedi à Bamako.
La Mission de l'ONU au Mali (Minusma) a "condamné fermement de telles
attaques contre des civils", dans un communiqué publié samedi. "En soutien au
Gouvernement malien, la Minusma a fourni un appui aérien afin de prévenir
toute nouvelle attaque et a aidé à l'évacuation des blessés", a précisé
Antonio Guterres dans son communiqué.
La Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA, ex-rébellion) a "condamné
avec la dernière énergie ce crime imprescriptible" et appelé "à la cessation
immédiate de ces massacres qui s"apparentent à un véritable pogrom orchestré",
dans un communiqué distinct.
- "Menace" -
L'attaque est survenue six jours après un attentat jihadiste à Dioura, dans
la même région mais beaucoup plus au nord, contre un camp de l'armée malienne,
qui a perdu 26 hommes, selon un dernier bilan de source militaire.
Dans un communiqué de revendication vendredi, la principale alliance
jihadiste du Sahel liée à Al-Qaïda justifie l'opération de Dioura par les
"crimes odieux commis par les forces du gouvernement de Bamako et les milices
qui le soutiennent contre nos frères peuls".
Après avoir été reçus vendredi par le président Ibrahim Boubacar Keïta, les
ambassadeurs des 15 pays siégeant au Conseil de sécurité ont rencontré samedi
les signataires de l'accord de paix de 2015 puis le Premier ministre Soumeylou
Boubèye Maïga, avec lequel ils ont évoqué la situation dans le centre du pays,
selon l'ONU.
Dans un rapport publié le 5 mars, Antonio Guterres affirme que "les six
derniers mois ont enregistré davantage d'avancées que le reste de la période
écoulée depuis la signature de l'Accord en 2015", grâce selon lui à "la
pression internationale, notamment la perspective de sanctions".
Mais "la menace, qui continue de se propager du nord vers le centre du
Mali, détourne l'attention de l'Accord et en complique la mise en oeuvre",
souligne-t-il.
Le très lourd bilan de l'attaque de Dioura a provoqué l'ire des familles de
militaires maliens, bien que le gouvernement ait décrété un deuil national de
trois jours à partir de vendredi et que le président Keïta ait prévenu les
chefs de l'armée qu'"aucune négligence ne saurait plus être tolérée".
sd-kt-mrb/prh/am DDR CORP.