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LETTRE OUVERTE de l’écrivain malien, Ismael Diadié Haïdara, à IBK, depuis l’Espagne où il vit " réconcilier les hommes, les inviter à éviter le Mal est une obligation pour les Korodugaw depuis la Charte du mandé"
Publié le jeudi 28 mars 2019  |  Le 22 Septembre
Depot
© aBamako.com par AS
Depot de gerbes de fleurs au monument des martyrs
Le Président IBK a procédé le 26 Mars 2019 au Depot de gerbes de fleurs au monument des martyrs.
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Natif de Tombouctou, philosophe, comédien, chercheur ,écrivain,Ismaël Diadié Haïdara, est un homme de culture, très humble. Depuis l'Espagne où il vit , cet ancien de l' Ecole Normale Supérieure de Bamako nous a fait parvenir une contribution, sous forme de lettre ouverte au président IBK, sur le massacre de Ogossabou.


Excellence Monsieur le Président,

Dans une lettre au Prix Nobel Desmond Tutu, Archevêque Émérite de Cap-Town, je faisais observer que je n’ai pas connu de paix durable dans ma vie. J’avais trois ans à l’indépendance du Mali, six ans quand la rébellion Touarègue éclata à Kidal, neuf ans en l’année de la première sécheresse, douze ans en l’année du choléra, quinze ans en l’année de la grande sécheresse et depuis, je vis entre des guerres sporadiques provoquées par des rébellions, et des paix précaires.

Il faut ajouter à cela que je vis maintenant la prolifération des mouvements djihadistes dans le Sahel, de milices ethniques d’autodéfense et la multiplication du nombre de personnes qui fuient cette situation intenable pour aller mourir dans la méditerranée.

Excellence Monsieur Président,

C’est avec un mort, ou dix, ou cent que commencent les pires des génocides, les guerres civiles et les guerres interethniques les plus atroces.

Le samedi 23 Mars, au petit matin, dans les villages peuls d’Ogossagou et de Welingara, non loin de la ville de Bankass, en pays Dogon, plus de cent personnes ont été froidement massacrées. La presse locale indique qu’un chef de Village, Amadou Belko Bari est tué devant sa mère à son tour, exécutée. Sékou, un chef religieux a également été tué, froidement. Les assaillants étaient divisés en deux groupes; tandis que les uns massacraient, les autres brûlaient les demeures des victimes. Le Secrétaire Général de l’ONU, Monsieur Antonio Guterres, évoque au moins 134 morts, tous des civils peuls et plus de 55 blessés.

L’année avait déjà commencé par un autre triste massacre. Le premier Janvier, 37 civils ont été tués dans l’attaque du village peul de Koulogon; ces assassinats ont été menés par «des hommes armés habillés en tenue de chasseurs traditionnels dozos» dit-on. Il y a eu des blessés et des maisons incendiées.

Le 4 Janvier se déplorèrent 46 morts dans des affrontements au Burkina Faso.

À Kumaga, dans le centre du pays, un charnier d’une trentaine de personnes a été découvert par des riverains le 09 Juillet de l’année 2018. Elles ont été exécutées le 23 juin par des chasseurs traditionnels appelés “dozos".

L’État a compté 500 morts en 2018. Excellence Monsieur le président, de combien de sang, de combien de morts, de combien de larmes avons-nous besoin pour nous dire que nous sommes entrain de vivre une boucherie? De combien de morts avons-nous besoin pour commencer à réagir, à parler, à jeter de l’eau sur le feu. Il n’y a pas de petite querelle a dit Amadou Hampaté Ba.

Dans ce premier trimestre de l’année 2019, nous comptabilisons déjà 247 morts, soit 49,4 % du total des morts de l’année dernière. Il n’y a pas de petites querelles Monsieur le Président.

Des milices peules, Dogons et peut-être Bambara se propagent dans le centre du pays, en plus des factions djihadistes qui se multiplient et font montre d’une organisation qui n’est point à mépriser. Ce qui transcende le plus cependant, c’est le massacre des peuls par delà les exactions que pourraient commettre leurs milices sur les communautés Bambara ou Dogons.

Sommes-nous devant une guerres civiles ou une épuration ethnique? Les méprises conduisent aux mépris interethniques, aux haines et aux luttes fratricides. Aucun conflit ne peut être résolu par la violence.

J’ai des neveux Peuls, Bambara et Dogons, tous fils de mes sœurs. Doivent-ils Monsieur le Président, mes neveux Sow, Sidibé, Diallo et Telly se haïr aujourd’hui et demain, petit-fils du même grand-père, se tirer dessus les uns les autres? Dans la plus profonde douleur, dans la plus absolue des révoltes, monsieur le Président, je dis que non, cela ne peut pas se faire. Votre silence cependant, vos mots tardifs de promesse de justice travaillent pourtant à cela. Excellence Monsieur le Président, tout homme d’Etat sera jugé par l’Histoire, faites que votre procès soit pour vous grandir, et non pour avoir condamnés des enfants aujourd’hui innocents à être demain, des hommes et des femmes pleins de haine, de mépris, et disposés à se tuer et à mourir. Les Dogonos meurent et souffrent. Les peuls meurent et souffrent. Faut-ils confondre les uns comme une milice pro-gouvernementales et réduire l’autre à un terreau fertile pour les djihadistes? Les choses sont plus complexes que cela, mais toutes les guerres civiles, toutes les exterminations ont eut besoin de simplifications à outrance pour justifier les forfaits des uns et des autres. L’Etat est au dessus de chaque communauté et il sera responsable de chaque mort en chacune d’elle. Et puisque l’état c’est chacun de ses citoyens, tous, nous aurons sur la conscience ce génocide qui se prépare, sinon, cette guerre ethnique qui est déjà là.

Qui sont ceux qui commettent ces crimes? Le secrétaire général de l’ONU Monsieur Antonio Guterres a fait état d’une « augmentation des conflits intercommunautaires », en évoquant par ailleurs « la multiplication des allégations faisant état d’exécutions sommaires et d’exactions commises par les membres des forces maliennes ». Un a priori dans la presse se fait donc peu à peu que l’auteur de ces massacres ne pourrait être que des milices connues qui ont pris le nom des chasseurs Dozos, quand ce ne sont pas directement des militaires qui sont indexés comme l’a fait Monsieur le Secrétaire Général de l’ONU. Cela est une accusation grave, une supposition condamnable si ce n’est pas vraie, méprisable si elle l’est. Vous êtes le chef suprême des Armées, Excellence Monsieur le Président, blanchissez cette armée, démontrez qu’elle n’est pas en arrière de ces exactions comme le suppose certains communiqués sur le plan local et international. Faites le parce que vous devrez vous blanchir.

Les hommes d’Etats et les nations sont jugés pour ce qu’ils font; ils le sont aussi pour ce qu’ils ne font pas. Travailler à faire la paix, non pas par la violence des armes, mais par le dialogue, la non-violence. Le Mali doit trouver un chemin à ses problèmes qui n’est pas celui des épurations et des escarmouches interethniques qui pourraient bien prendre l’allure d’une vraie guerre dans une des zones de densité si élevée comme le entre du Mali. Le Mali doit être capable de justice et de paix. Chacun ne peut pas se faire justice sur le corps de l’État. Œil pour œil est une loi qui finira par faire des aveugles. Gandhi le disait.

Devant ces ignobles crimes, il y a un autre, aussi épouvantables et ignominieux, c’est le silence à peine rompu par quelques voix d’une communauté ou d’une autre. Cependant, il n’y a aucune arrestation, aucune accusation solide, aucun dossier fourni pour donner l’espérance d’une justice Monsieur le Président.

La classe politique se tait elle aussi, regarde ailleurs parce qu’elle ne veut rien voir, ou ne peut rien voir à cause de ses impérieux intérêts. Elle laisse faire la sottise puis dans des discours officiels, condamne des faits, au lieu d’avoir une vision d’Etat, une capacité de prévoir l’inévitable et de trouver des solutions dans la voie parlementaire, par les voix politiques. Un silence accablant en témoignage et laisse abasourdi l’opinion internationale, meurtri les cœurs dans les limites d’un pays entier qui se défait et laisse, par delà toute morale, ses propres fils s’entretuer. Il faut ouvrir une enquête. Ce n’est pas un gouvernement seul qui est responsable d’un destin politique d’un pays. Tous les partis le sont eux aussi. Mais hélas la classe politique est sereine. Ce n’est pas sa maison qui brûle. Ce n’est point ses intérêts qui sont en jeu. Quelques morts ailleurs ne sont pas ses morts. Quoi donc? À quoi vouloir qu’elle se mêle, elle qui se démène pour se partager les sièges, les contrats et à chaque élection, les votes qui s’achètent parce que l’argent vaut là où il n’y a pas de projet d’État, de programme politique.

Ce silence n’a de pendant que celui du mutisme de la classe intellectuelle, elle qui, par la grâce de Dieu, brille par son absence et dont l’abomination grandit avec le nombre des morts qui croit irrémédiablement sous ses yeux.

Le sang de centaine d’innocents est sur les mains des uns et sur les lèvres bien closes des autres. Les historiens savent qu’on ne se souvient pas seulement des criminels d’un temps, on n’oublie pas aussi le silence de ceux qui se turent devant les forfaits des criminels.

Le Mali en grande majorité fut, il y a quelques années, malheureuse pour avoir été envahi, occupé, persécuté. Il est aujourd’hui en entier malheureux de se voir en partie conduit dans une guerre d’extermination ignoble et en partie de ne rien faire ou de faire si peu.

La classe politique devient coupable de lèse justice et de lèse humanité. Si je prend la parole, moi qui refuse de voter pour les uns ou pour les autres, n’ayant jamais pris la parole sur le terrain politique, c’est au nom de l’humanité que nous avons en partage, au nom de la vie que nous avons le devoir de défendre.

Les Dozos ont dit dans la Charte du Kurukanfuga: “Toute vie étant une vie. Tout tort causé à une vie exige réparation. Par conséquent, que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin, que nul ne cause du tort à son prochain, que nul ne martyrise son semblable.

Que chacun veille sur son prochain, que chacun vénère ses géniteurs, que chacun éduque comme il se doit ses enfants, que chacun “entretienne”, pourvoie aux besoins des membres de sa famille.

Les chasseurs déclarent : Que chacun veille sur le pays de ses pères. Par pays ou patrie, faso, il faut entendre aussi et surtout les hommes ; car “tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surface deviendrait aussitôt nostalgique.”

Les chasseurs déclarent : Chacun a le droit à la vie et à la préservation de son intégrité physique. En conséquence, toute tentation d’enlever la vie à son prochain est punie de la peine de mort.

Les gens d’autrefois nous disent : “L’homme en tant qu’individu fait d’os et de chair, de moelle et de nerfs, de peau recouverte de poils et de cheveux, se nourrit d’aliments et de boissons . Mais son “âme”, son esprit vit de trois choses : voir qui il a envie de voir, dire ce qu’il a envie de dire et faire ce qu’il a envie de faire ; si une seule de ces choses venait à manquer à l’âme humaine, elle en souffrirait et s’étiolerait sûrement.”

En conséquence, les chasseurs déclarent : chacun dispose désormais de sa personne, chacun est libre de ses actes, chacun dispose désormais des fruits de son travail. Tel est le serment du Manden à l’adresse des oreilles du monde tout entier.”

La Charte du Kurukan Fuga d’où émanent ces paroles d’un humanisme sans égale a été reconnu comme patrimoine immatérielle de l’humanité par l’UNESCO en 2009.

C’est sous le règne de Sundiata Keita que le Mande édicta cette Charte dans laquelle tout humain pourrait se reconnaitre. J’espère de toutes mes forces que vous saurez rappeler chacune de ces paroles à un pays qui a pris le nom du Mali après une indépendance octroyée par la France qui a ses soldats sur son sol. J’espère de toutes mes forces, que la France des lumières ne sera pas une spectatrice anonyme d’un génocide qui ne dit pas encore son nom. J’ose espérer que les Peuls, les Dogons, les Bambara sauront se rapprocher, se connaître, pour vivre ensemble comme des hommes de traditions profondes qu’ils sont tous. Si tous nous ne vivons pas ensemble comme des hommes sensés, nous nourrirons ensemble comme des stupides disait Martin Luther King. Mon oncle Alfa Hamma Mahammadoun Alfa Youba b. Ali-Gao b. Alfa Mahmud Kati III disait: Si tu ne vas pas vers ton prochain, tu ne peux pas le connaître; si tu ne le connais pas, tu ne peux pas l’aimer, si tu ne l’aimes pas, tu ne peux pas lui faire du bien; si tu ne lui fais pas de bien, tu ne peux pas vivre avec lui. Je sais que Peul, Bambara et Dogon peuvent se retrouver et vivre ensemble. Ils l’ont fait des siècles durant, pourquoi ne pourraient-ils pas le faire de nouveau? Je sais enfin que toute cette confusion des djihadistes, des milices, des dozo, peut servir pour conduire à une extermination d’une minorité ou d’une autre et que vous aurez la force nécessaire qui a toujours fait les grand homme d’États pour éviter à leur peuple le pire. C’est dans les moments difficiles que la grandeur des hommes se révèle, hélas, leur petitesse aussi.

Les civilisations sont mortelles disait Paul Valéry; Monsieur le Président, les Etats aussi. J’ai été soudanais à ma naissance, je suis passé par l’éphémère Fédération du Mali, je suis devenu de suite malien, puis étant à Tombouctou, par la force des choses, ma ville fut de la République islamique de l’Azawad, puis malien de nouveau après l’intervention française qui aida à libérer le Nord Mali où sévit encore une insécurité grandissante. Les hommes se souviennent, malgré leur courte mémoire de ceux qui fondent les Empires, les Royaumes, les États et de ceux aussi dans les mains desquels ils pourrissent et meurent. Nul ne gouverne gratuitement.

Excellence Monsieur le Président, je crois que vos capacités de manoeuvre sont limitées et vous ne pourrez prendre une décision courageuse, dans l’intérêt de ce pays parce que le Mali comme le reste des Républiques africaines ne sont que des provinces, et les Présidents élus, des gouverneurs délégués d’Outre-mer. L’indépendance de ce pays a été octroyée, ses frontières ont été tracées sans compter sur l’opinion de ses habitants, sa monnaie est garantie par sa métropole, sa langue administrative est cette même métropole coloniale; L’éducation, faisant fi de nos cultures est mal calquée sur les programmes scolaires de la France; notre code civil et notre code pénal sont un reflet du droit français et non une émanation de notre histoire, de nos civilisations comme pourrait l’être le Kurukanfuga; le découpage administratif à l’intérieur de nos frontières ne tint pas compte des spécificités historiques, culturelles, géographiques de nos sociétés; les structures administratives, juridiques, exécutives n’ont rien à voir avec notre culture politique d’avant la colonisation qui fit notre tissu social jusqu’en ces jours désastreux. L’armée malienne a été créée comme tout dans ce Mali, à l’image d’une armée étrangère. Ses armes, ses structures, ses stratégies ne sont que d’imitation comme tout dans ce pays. Le drapeau national ne se fabriqua pas dans un tissu fait par nos artisans pourtant appréciés dans le reste du monde. En vérité, nos pères se sont fait des illusions sur les indépendances africaines et nous ont légué des lendemains qui ne chantent pas. Excellence Monsieur le Président, vous n’êtes pas indépendant dans vos décisions, le Mali ne l’a jamais été dans ses limites propres, pourtant l’Histoire vous regarde et vous jugera comme un homme libre. Etre attaché de pied et de main, est un choix. vous êtes dans les limites de vos choix et donc responsable de tout ce qui se passe dans ce pays.

Nous sommes, citoyen de ce pays, aussi responsable que vous. Tout citoyen a le devoir de désobéir face aux lois et aux décisions d’un État lorsque ces lois et ces décisions heurtent sa conscience. S’il ne désobéit pas, il se fait complice de ces lois et des décisions fondées sur ces lois. Si la classe politique ne dénonce pas ces crimes qui sont aujourd’hui un génocide en toute règle, elle est complice de chaque assassinat; si l’armée n’évite pas ces tueries, elle est complice de chaque mort; si les hommes de lettres, les religieux, les initiés de nos cultures traditionnelles ne dénoncent pas ces crimes, ils sont complices de la douleur des pères, des mères, des enfants qui meurent sans raison. Je ne partage pas ce silence insultant la mémoire des victimes, cette passivité complice, cette politique peu responsable qui conduit à ce génocide. Je ne les partage pas. je les dénonce.

Excellence Monsieur le Président,

Je m’appelle Ismaël. Je descend par mon ancêtre Mahmoud Kati du Roi Witiza de Tolède et de la Princesse Kadidja Sylla, sœur ainée de l’Empereur Askia Muhammad Sylla. Comme l’atteste l’acte juridique établi par des savants de ce pays. Je suis également descendant des juifs convertis à l’Islam le grec Azan Ferrer et les frères commerçants al-Kuhin de Fez, et de chrétiens convertis à l’Islam comme Amar al-Fata Cuevas del Almanzora. Mais aujourd’hui, je ne porte humblement que le collier des Korodugaw qui m’a été octroyé en pays Minianka. Je connais mes racines, je leur ai préféré le rire des Korodugaw. Dire la Vérité est une obligation pour les Korodugaw, réconcilier les hommes, les inviter à éviter le Mal est une obligation pour les Korodugaw depuis la Charte du mandé. Des voix plus autorisées que la mienne vous parlent depuis la religion ,d’amour, de tolérance et de pardon. Écoutez-les, Excellence Monsieur le Président, Faites qu’elles soient écoutées.


Ismaël Diadié Haidara
Écrivain .

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Ismaël Diadié Haïdara
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