A la retraite depuis 2008, le Colonel Issa Diallo a capitalisé une expérience qui peut servir les générations futures. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, le Colonel Issa Diallo, revient, entre autres, sur les derniers évènements survenus à Dioura et à Ogossagou, sur le limogeage des chefs d’états-majors des Armées lors du Conseil des ministres extraordinaire du dimanche 24 mars dernier. Il fait des propositions pour que notre outil de défense soit à hauteur des attentes.
InfoSept : Bonjour mon Colonel, pouvez-vous présenter à nos lecteurs ?
Colonel Issa Diallo : Je suis le Colonel à la retraite Issa Diallo. Je suis de la Classe 1974 et je suis à la retraite depuis 2008. J’ai un Master of arts en Sciences militaires, sorti de l’Université Malimoski de la Promotion 1988-1992. Donc, j’ai été beaucoup lié à l’histoire de nos forces armées. Aussi, j’ai capitalisé une expérience qui peut servir aux générations à venir. A la retraite, je n’ai pas quitte l’arène militaire. Même si mes réflexions n’ont pas été diffusées, j’ai toujours réfléchi sur l’état de nos forces armées : qu’est-ce qu’on peut faire pour les améliorer ? A ce fait, en tant qu’aide de Camp de certaines autorités, j’ai eu à faire des réflexions et des suggestions. Et, en dehors de tout cela, j’ai eu à contacter des collègues, ministres de la Défense pour leurs proposer d’échanger, d’analyser la situation et d’émettre des idées qui peuvent changer la situation de notre Armée. J’ai fait cela deux fois mais jusque-là, je n’ai pas été satisfait. Donc, je ne suis pas quelqu’un qui a quitté et qui s’est désintéressé de l’outil militaire. De près ou de loin, je me suis intéressé à l’évolution de l’outil militaire de nos forces armées de défense et de sécurité.
Les derniers évènements m’ont poussé à rompre le silence et à proposer directement. Le Conseil des ministres extraordinaire du dimanche 24 mars dernier et les décisions qui en sont sorties, m’ont vraiment donné beaucoup à réfléchir. Et, je me suis dit qu’avant qu’il ne soit trop tard, il faut parler ; que les enfants de ce pays réfléchissent, s’asseyent, échangent et parlent pour que le pays soit sauvé. Je ne vais pas critiquer quelqu’un, ni citer des noms, mais surtout qu’ensemble, on réfléchisse pour trouver une solution.
InfoSept : Quelle est votre lecture des derniers événements survenus à Dioura et à Ogossagou ?
Colonel Issa Diallo : Je pense que tout militant qui a suivi l’histoire récente du pays est assez édifié pour comprendre les évènements. Voyez-vous, depuis un certain temps, on a assisté à l’émergence de mouvements identitaires. Et, c’est l’Etat qui a favorisé cela. Ce sont ces mouvements identitaires qui ont abouti à la création de forces d’autodéfense. Cela n’est un secret pour personne, les autorités ont même favorisé la formation de milices d’autodéfense. Tout le monde se rappelle, comment certaines milices ont été créées et alimentées. Je pense que l’Etat est à la base de ces évènements. Les autorités en place, en démissionnant et acceptant certaines choses, on a abouti à cette situation. Ce n’est ni le Chef d’état-major des Armées, ni d’autres chefs militaires, mais l’Etat. Mais, je voudrais anticiper sur ce que je voudrais dire en déclarant qu’au Mali, aujourd’hui, on a besoin d’hommes d’Etat mais pas de carriéristes ou de cyniques calculateurs, des gens qui sortent par une porte et rentrent par d’autres. On a besoin des enfants qui aiment le pays et qui sont prêts à se sacrifier pour ce pays. Certains cadres de ce pays ont perdu la face parce que tout simplement, ils n’ont pas pu gérer la marmite à l’Etat. Aujourd’hui, je ne vais pas citer de cas, mais, ils sont sortis par la petite porte.
InfoSept : Le Président IBK a-t-il pris la bonne décision de limoger les chefs d'Etat-major des Armées ?
Colonel Issa Diallo : Je ne pense pas qu’aujourd’hui, nous allons dans la bonne voie. Peut-être, le Président a suivi quelqu’un dans ce sens-là. Ces chefs militaires sont au service de l’Etat. Mais, si l’Etat a failli, le chef militaire ne peut pas faire mieux. Moi, en tant que militaire, je ne peux pas servir quelqu’un qui est en train de détruire le pays. Je dis honnêtement ce que je pense et si cela ne va pas, on divorce. Moi j’ai divorcé dans la nuit de Tékéret, avec mon ancien patron que tout le monde connait. Cette nuit a été décisive pour moi de quitter parce que je ne peux pas servir quelqu’un qui ne sert pas les intérêts de mon pays. Aussi, je ne vais pas lier mon nom à des fossoyeurs de l’Etat. Le pays m’a tout donné, alors, je ne vais pas accepter cela. Encore une fois, je ne pense que mon Président Ibrahim Boubacar Keita a pris la bonne décision de limoger les chefs militaires. Aujourd’hui, si on essaie de voir, le problème ne se situe pas au niveau des chefs militaires mais du système en place.
InfoSept : Selon vous, qu'est ce qui manque à notre Armée après la loi de programmation militaire ?
Colonel Issa Diallo : Là aussi, je fais la différence. Parce que rien ne sert d’équiper une armée en toute sorte de matériels performants, quand les hommes qui sont là ne sont pas capables de mettre en œuvre cet outil militaire. Je ne suis pas contre le fait que l’armée soit équipée, ni contre la loi de programmation militaire. Mais, il ne faut pas non plus que cette loi se transforme en celle de détournement militaire. C’est bien de programmer mais, il faut savoir si l’argent débloqué va à la bonne destination. Sans cela, on n’aura pas de bons résultats. Pour rappel, j’ai une fois discuté avec un ami entrepreneur de ce pays. Il m’a dit que souvent, les Etats qui font sortir l’argent du Trésor pour les forces armées et les Etats qui payent ne sont pas les mêmes. On doit corriger cela aussi.
Dans ma carrière, de loin ou de près, j’ai eu à collaborer avec notre Président quand il était Premier ministre. J’étais à l’Assemblée Nationale et très souvent, en accompagnant les chefs, je vois et j’entends des choses. Mais, ce que je reproche, c’est qu’il ne pas soit un homme qui défend la chose publique, c’est-à-dire la Res publica. Elle est sacrée et personne ne doit la toucher illégalement et impunément. Encore une fois, ce que je reproche au Président IBK, c’est de ne pas faire attention à la chose publique.
Je répète, limoger les chefs d’états-majors n’est pas une bonne chose. Nos forces armées ont besoin de s’asseoir et de réfléchir sur ce que nous devons faire. Le mal de nos forces armées, c’est le Commandement. Tu as beau équiper une armée, quand elle est mal commandée, cela n’ira nulle part. Que les anciens et les nouveaux s’essayent et discutent du commandement dans les forces armées actuelles. Parce que si on ne le fait pas, on va directement au mur. Je ne suis pas quelqu’un qui fais l’apologie du mal, mais la grande débandade de l’armée, ce n’est pas le soldat, ni les sous-officiers, mais le commandement. Je me réfère un peu à l’histoire récente de nos forces armées. Depuis 50 ans, quand j’étais en activité, on a géré les forces armées à la base d’une Note de service qui disait que l’avancement est au choix pour les deux tiers et à l’ancienneté pour le un tiers. Le choix devient subjectif à tel point que le système d’avancement nous a amené à l’émergence de la médiocrité qui ne peut pas commander nos forces armées. Quand j’étais en activité, nous avons critiqué. Mais, on n’a pas appliqué ce que nous avions proposé. Voilà le problème : comment on peut comprendre que des officiers avancent sans critères ? Aujourd’hui, tu es Colonel-major ; en un mois, on te nomme Colonel sans que tu ne sois confirmé dans le grade auquel tu es ; sans qu’au moins tu ais posé un acte qui puisse dire que tu as droit à cela. L’avancement n’est pas une récompense politique mais une récompense de mérite sur le terrain. Quand on avance, c’est sur du résultat, il faut présenter ce résultat. Mais on ne distribue pas les galons comme on veut. Je ne suis contre personne, chacun a sa chance dans cette vie mais, il faut que nous sachions que ce que nous manions ou gérons n’est pas à nous. On est là pour un temps bien déterminé et on va partir. Il faut avoir cela à l’esprit. Et, quand on va partir, qu’on ait le souci que ce qu’on laisse derrière nous est bon. Mais si on détruit avant de partir, cela ne va pas.
InfoSept : Votre mot de la fin ?
Colonel Issa Diallo : Ce que je voudrais, surtout pour les forces armées, c’est qu’on asseye, qu’on organise un grand séminaire sur le commandement. Les anciens et les nouveaux s’essaient et parlent ensemble pour décider de quelque chose qui sera appliquée. Il faut qu’on maintienne le dialogue entre anciens et nouveaux, sans complaisance. Parce que me remplacer et effacer tout ce que j’ai fait ne sera pas la solution. L’Etat est une continuité. On ne peut pas s’asseoir et regarder à ce que l’armée va à vau-l’eau. Cela ne serait pas possible, car nous avons nos enfants dans cette armée. On ne peut pas être responsable et voir que l’armée va en décrépitude.
Je fais une petite ouverture vers l’école malienne qui est aujourd’hui malade et que cela ne va pas. Cela ne va pas parce que nous les parents, nous avons démissionné. L’école n’est pas pour l’Etat, ni pour le Président ; c’est pour les parents qui y ont leurs enfants. C’est nous qui avons mis nos enfants à l’école. Alors, il revient qu’on veille à ce que leur avenir soit garanti dans ces écoles. C’est vraiment paradoxal que ce sont nos enfants qui font sortir nos enfants. Les enfants qui circulent en moto et font sortir les enfants sont issus d’une famille. Mais comment des chefs de famille vont laisser les enfants sortir comme cela ? Non ! Il faudra qu’on se dise la vérité : l’école, ce sont les parents qui doivent être responsables.
Propos recueillis
Par Dieudonné Tembely