A peine l’année scolaire entamée, en octobre dernier, elle a été brutalement frappée par une série de grèves qui se sont suivies, entrainant des arrêts forcés de cours dans presque tout le pays. Déjà, les enseignants grévistes sont à leur cinquième préavis de grève, pour un paquet revendicatif en dix points au total, sur lesquels six points d’accord ont été obtenus, avec un point d’accord partiel, contre trois points de désaccord. Des acquis notables qui n’ont pas permis de désamorcer la crise syndicale et de permettre aux écoles de rouvrir leurs portes.
Qu’est-ce qui a radicalisé le mouvement des enseignants ? A qui profite la crise de l’école ? Où se situe le mal de l’école. Décryptage d’un mal scolaire qui n’a que trop duré…
Le coup de gueule a de quoi ébahir et porte en lui-même l’énigme même du chaos syndical. Nous sommes dans la salle de conférence du ministère de l’Education, en pleine négociation entre les représentants gouvernementaux et ceux des syndicats signataires du 15 octobre 2016. L’atmosphère des discussions est tendue et les deux ministres ; à savoir Mme Raki Talla du Travail et de la Fonction publique, maître d’œuvre des pourparlers, et le Pr. Abinou Témé de l’Education nationale, étaient présents dans la salle. Dans le souci de calmer la tension, le président de la commission de conciliation, le doyen Issaga Traoré, ancien syndicaliste, fort de ses expériences de négociateur, demande à la partie gouvernementale d’observer une trêve ; le temps de laisser, entre eux, l’équipe des médiateurs et les responsables syndicaux.
Après un long moment de concertation, la partie gouvernementale est invitée à prendre sa place dans la salle. L’atmosphère est lourde. « Je suis au regret d’annoncer que les syndicalistes campent sur leur position en dépit de nombreuses initiatives et propositions de la commission de conciliation. Je ne comprends pas une telle intransigeance syndicale face à tant d’acquis surtout concernant un domaine aussi sensible et complexe comme l’école, où les enfants ont également un droit sacré à faire respecter. Je souhaite que les événements me donnent tort, mais je crains que l’histoire ne se charge de certains comportements », s’est indigné le président de la commission qui n’a pas pris de gants pour dénoncer un certain maximalisme syndical qui ne devrait pas avoir lieu, dès lors que les syndicats ont pu décrocher des points cruciaux avec des incidences financières importantes.
Les faits sont là et têtus : à l’issue des négociations, des points d’acquis substantiels, au nombre de six, ont été obtenus. Parmi lesquels un point d’accord historique que les syndicats d’enseignants du fondamental, du secondaire général et professionnel viennent de gagner pour la première fois : c’est la prime de documentation. Pour l’amélioration des conditions de travail du personnel des enseignants, l’Etat s’est engagé à allouer aux enseignants en classe une indemnité forfaitaire annuelle ainsi libellée : 60 mille (catégorie A), 40 mille (catégorie B2), 25 mille (catégorie B1) et 15 mille (catégorie C). Cette prime ne concernait que les enseignants du supérieur. Ce n’était pas le cas pour les enseignants du fondamental, secondaire et professionnel. Ils en ont aujourd’hui.
D’ailleurs, au début des négociations, les syndicalistes avaient déclaré qu’ils renonçaient à la prime de logement une fois qu’ils obtenaient la prime de documentation. La suite, on la connaît : de préavis en grèves, les syndicats ont paralysé l’espace scolaire au risque de menacer l’année scolaire même. Au regard des acquis, dont certains vont engendrer pour l’Etat une importante incidence financière (qui reste à évaluer), plusieurs observateurs, y compris les membres de la commission de conciliation, ont plaidé en faveur d’une suspension du mot d’ordre de grève, à défaut de le lever totalement afin que l’année scolaire puisse se dérouler normalement.
A y regarder de très près, ce jusqu’auboutisme des syndicats tranche mal avec la volonté de dialogue des autorités scolaires en direction des acteurs de l’école. Pour la petite histoire, le ministre Témé a entrepris de rencontrer tous les partenaires ; du conseil supérieur de l’éducation aux parents d’élèves, en passant par la commission de l’éducation nationale et les élèves et étudiants. Tous ont été rencontrés par le ministre en personne, qui leur a demandé de s’impliquer auprès des syndicats pour la nécessaire accalmie à l’école.
Plusieurs acteurs de l’école ont déjà eu des entretiens séparés avec les syndicalistes. Leur mot d’ordre ? Eviter « le tout pour le tout » d’autant qu’il s’agit de l’école qui est l’affaire de tous et qui est d’une grande sensibilité, en ce sens qu’il s’agit de l’avenir du pays lui-même, via celui des enfants qui y apprennent à être des hommes de demain. Et en plus, face aux énormes efforts déployés par l’Etat, en guise de sa bonne foi à mieux faire pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des enseignants, la grève devrait être levée pour ne pas hypothéquer l’année scolaire. Et cela, parce que le pays vit une situation financière difficile, aggravée par le péril sécuritaire qui fait que dans le pays, plus de 500 écoles sont fermées.
Si les enseignants grévistes ont refusé, comme cela a été dénoncé par la médiation, de signer le procès-verbal de non conciliation, c’est qu’ils sont conscients des avancées obtenues. Mais, nous sommes au Mali, où c’est l’Etat qui est visé de tous les côtés. Au sein de l’opinion, où de plus en plus, on voit les gens exprimer leur ras-le-bol ; en exigeant l’ouverture des classes, on stigmatise un Etat qui a publiquement reconnu qu’il a fait pour les enseignants ce qui est dans ses capacités réelles sans prendre le risque de perturber l’équilibre national.
Récemment, le Premier ministre a rencontré les syndicats et il leur a répondu qu’il attendra le mois de juin pour leur faire une proposition chiffrée pour la prime de logement. En conditionnant la reprise des négociations à la levée du blocage des salaires, du fait des grèves perlées, les enseignants ont réagi en repoussant les options du Premier ministre. Un maximalisme syndical qui en rappelle un autre ; celui-ci incompressible, lié à la conditionnalité du dialogue sur le blocage des salaires, sur lequel l’opinion garde un mutisme coupable. Si dans les conflits sociaux il est de bon ton de stigmatiser l’Etat, il est aussi vrai que dans un jusqu’auboutisme syndical, poussé à l’extrême, pour des considérations sordides et peu flatteuses, il est impératif, pour l’opinion, de tenir le langage de vérité aux acteurs de l’école, y compris les enseignants qui en constituent un maillon important au même titre de l’Etat.
Cela, un tel devoir de vérité, on le doit à notre école, à travers laquelle notre destin commun se réalise.