Nombre de nos compatriotes pratiquent le commerce dans la capitale sénégalaise.
Ils disent en tirer une certaine prospérité. Mais tous rêvent de voir le retour définitif
de la paix dans notre patrie
Des clients dans une boutique de bazins au marché «Salle de vente» de Dakar
Au marché «Salle de vente» de Dakar-Plateau, on se croirait au «Rail-da» de Bamako, à cause de la cohue grouillante. Mais détrompez-vous, vous êtes à des milliers de kilomètres de la «ville des Trois caïmans». Même s’il est vrai qu’on perçoit aussi des conversations en bambara entre vendeuses. Dans ce centre commercial, un immeuble s’élève face au goudron. Des étals sont alignés devant un bâtiment. Divers articles s’offrent au regard : encens, perles, produits thérapeutiques, des parures sont exposés pêle-mêle.
Un escalier mène à l’intérieur du bâtiment. A l’angle, se situe une boutique. La Malienne, Mah Diarra, en est la locataire. Habillée en wax, la vendeuse de gomme arabique se distingue par sa gaité contagieuse. « Quel présent m’apportes-tu du Mali ? », interroge-t-elle, tout sourire, après avoir ajusté son foulard noir. Au même moment, son enfant se cramponne à son cou. « Descends. Ne vois-tu pas que je suis occupée ? », enjoint-elle au môme. L’enfant, mécontent de cet ordre, vagit et s’en va titubant. Pour cette quadragénaire, tous les jours de la semaine se valent. Travailler sans répit : tel semble être son crédo. La preuve : quand elle sort de chez elle à l’aube, elle ne rentre qu’au crépuscule. à la question de savoir la durée de son séjour au Sénégal, elle darde un regard perçant. « Il y a plus de vingt ans que je vis ici. J’avoue que j’y ai passé de bons moments. Je n’ai pas du tout senti le dépaysement. Car, les Sénégalais sont hospitaliers. Je me suis même mariée avec l’un d’eux. En plus de cela, les taxes sont légères. Car, nous payons environ 15.000 Fcfa par an. Chaque mois, j’envoie de l’argent à mes frères et sœurs qui vivent au Mali. Au minimum 100.000 Fcfa», révèle-t-elle. Dès son arrivée à Dakar, Mah a commencé par vendre de l’eau. Cette activité ayant fait florès, elle s’est aussitôt lancée dans le commerce. Grâce à cela, elle a pu construire une maison à Dakar.
Toutefois, une inquiétude la tourmente. «Les autorités d’ici devront construire des locaux pour nous. Quand vous allez à Bamako, il y a un lieu dédié exclusivement aux Sénégalais. C’est Wolofobougou. Je pense qu’on doit réaliser pour nous aussi un tel projet. Il nous sera utile ainsi qu’à toute la postérité. Car, à n’importe quel moment, on peut nous chasser de ces lieux», s’inquiète-t-elle
Non loin de là, une dame est assise sur une chaise dans son magasin de bazins. Elle regarde la télé en attendant l’arrivée d’éventuels clients. Captivée par le film que projette son écran, elle n’est pas prête à se lancer dans une conversation. « Allez dans les boutiques voisines, vous trouverez d’autres interlocuteurs. Des Maliens comme vous et moi », lance-t-elle, avant de s’abandonner à nouveau au cinéma.
L’ANGOISSE – Le couloir donne sur une autre boutique située à gauche. Des piles de tissus bazins sont stockées dans des vitrines rutilantes. Sarré en est le propriétaire. Ce quinquagénaire est sur la même longueur d’onde que Mah Diarra. Rien à signaler. Pas de xénophobie, encore moins de tracasseries causées par les autorités municipales ou sécuritaires. «Nous sommes surtout angoissés par la situation sécuritaire du Mali. Elle se détériore sans cesse. Même si nous vivons mieux ici, nous ne serons pas tranquilles tant qu’on ne résout pas cette crise qui n’a que trop duré », dit-il. Sur ces entrefaites, deux dames font irruption dans le magasin. Elles veulent acheter des bazins et des encensoirs. L’homme, mince mais vigoureux, tire les vitres et sort de belles étoffes qu’il montre aux deux clientes.
Juste à côté, une autre boutique dans laquelle règne une atmosphère religieuse. Quatre commerçants écoutent un prêche à la radio. Notre entrée met fin à leur mutisme. Une fois l’appareil éteint, place aux salutations cordiales et aux présentations mutuelles. « Donnez de l’eau à notre frère pour qu’il se désaltère. Car, dans la tradition malienne, l’eau est le premier présent qu’on offre à l’étranger», ordonne une voix. Ismael Baba Traoré est l’un d’eux. Vendeur de bazins, il a quitté le Mali depuis 2008. Contrairement aux précédents interlocuteurs, lui se plaint de la cherté du loyer au marché. Aussi, propose-t-il à l’Etat malien de construire un centre commercial à l’identique de la Maison du Mali à Abidjan, la capitale ivoirienne. Selon lui, cela facilitera l’exercice des activités des commerçants maliens de Dakar. Soudain, une voix rauque s’impose. «En réalité, nos dirigeants ne sauront jamais les difficultés auxquelles nos sommes confrontés à l’étranger. Il faut qu’ils viennent vers nous pour nous écouter. Sinon, rien ne changera», croit-il. Tous ces Maliens qui résident dans la capitale sénégalaise sont préoccupés par la crise sécuritaire au Mali. Selon eux, le gouvernement fait d’immenses efforts pour stabiliser le pays.
Malgré cela, ils pensent qu’il y a encore beaucoup à faire en s’appuyant sur les valeurs d’écoute, de solidarité, de respect et de considération. «Aujourd’hui au Mali, on ne se soucie plus de l’intérêt général. C’est chacun pour soi, Dieu pour tous. Ainsi semble aller le Mali. Que de propos incendiaires sur Youtube ou Facebook ! On y divulgue des secrets qui font frémir d’effroi», a déploré un commerçant, en secouant plusieurs fois la tête.
Lassana NASSOKO