Le constat est amer mais pas désespérant. C’est du moins ce qui ressort de notre conversation avec le Directeur Régional des Douanes de Sikasso qui a eu l’humilité de se prêter à nos questions. Nous avons recueilli pour vous les propos de ce Directeur qui a plutôt la tête sur les épaules!
REFONDATION: Après avoir occupé plusieurs postes de responsabilité au sein des Douanes, vous voilà à un autre poste de confiance, en l’occurrence celui de Directeur Régional. A ce titre, vous avez la lourde responsabilité de mobiliser les recettes douanières. La charge est-elle intimidante?
CHEICKHNA AMALA DIALLO: Comme vous l’indiquez, je ne me suis certainement pas retrouvé au poste de Directeur Régional des Douanes à Sikasso par hasard. J’ai eu la chance de cumuler une somme d’expériences professionnelles à partir de divers postes que j’ai eus à occuper. En effet, après avoir été Chef de Bureaux Secondaires Frontaliers, de Bureaux Principaux et surtout Directeur Régional Adjoint deux fois après un séjour de quatre (04) ans comme Chef de Division à la Direction Générale des Douanes, le poste de Directeur Régional ne devrait pas être intimidant en ce qui me concerne.
LA REFONDATION: Que représente la région économique de Sikasso pour le Mali, en termes de rentabilité d’un territoire douanier?
CHEICKHNA AMALA DIALLO: La région douanière de Sikasso constitue au plan de la rentabilité, une réalisation moyenne mensuelle de recettes de l’ordre de deux (02) milliards, la conduite et la mise en douane d’environ 25 à 30% des importations de marchandises du pays, principalement par les Bureaux frontières de Zégoua, Hérémakono, Koury et Kadiana.
LA REFONDATION: Au titre de l’exercice budgétaire 2019, quelles prévisions de recouvrement de recettes douanières sont assignées à l’Administration des Douanes Maliennes à l’échelon de Sikasso?
CHEICKHNA AMALA DIALLO: Au titre de l’exercice budgétaire 2019, il est assigné à la région douanière de Sikasso des prévisions de recouvrement de recettes de 27, 600 milliards FCFA soit, 6, 88% des prévisions globales de recettes douanières.
LA REFONDATION: Sur les prévisions de recouvrement de recettes douanières peut-on s’attendre à des rentrées financières conséquentes en provenance des importations depuis la crise ivoirienne?
CHEICKHNA AMALA DIALLO: Il est vrai que depuis la crise ivoirienne de 2002, le port d’Abidjan a perdu une part importante de son trafic au profit d’autres ports africains de débarquement. Il y a eu d’abord un basculement vers Accra et Téma au Ghana, Lomé au Togo, Cotonou au Bénin et ensuite Dakar au Sénégal, Nouakchott en Mauritanie et Conakry en Guinée. Soixante-dix (70%) des importations maliennes transitent aujourd’hui par les corridors ouest (Dakar), sud-ouest (Conakry) et nord-ouest (Nouakchott). Toutefois, l’agrandissement récent du canal de Vridi au port d’Abidjan, avec comme résultat une importante augmentation de sa capacité d’accueil de grands navires porte-conteneurs, pourrait être un facteur de retour d’une partie du trafic sur le corridor sud et impacter positivement les rentrées de recettes attendues de la Région douanière de Sikasso.
LA REFONDATION: Que vaut tout l’or de Sikasso dans les recettes douanières de la région de Sikasso?
CHEICKHNA AMALA DIALLO: La part des importations des Sociétés minières dans les recettes douanières à Sikasso est d’environ 32% des recouvrements.
LA REFONDATION: Monsieur DIALLO, votre expertise est avérée. Alors, au regard de la crise multidimensionnelle qui est nôtre et de la contre-culture de la démagogie si puissamment instituée, les Douanes Maliennes sont-elles à mesure aujourd’hui de s’acquitter des missions qui leur sont dévolues?
CHEICKHNA AMALA DIALLO: Je voudrais juste rappeler que le niveau de recouvrement des prévisions annuelles de 2018 a été de 77% au plan national, soit un gap de -141,666 milliards. Nonobstant la nécessité d’améliorer l’appréhension de l’assiette imposable des marchandises, il reste évident que la crise multidimensionnelle que connait le pays impacte négativement les efforts du service. Une partie importante du territoire échappe aux contrôles de la douane.
LA REFONDATION: Monsieur le Directeur Régional, quel est le rôle la douane dans une zone frontalière fragile comme Sikasso? Et comment s’adapte ce rôle à la lutte contre le trafic illicite de biens culturels?
CHEICKHNA AMALA DIALLO: Il est réel que nos frontières sont poreuses, mais le maillage du territoire douanier régional, qui s’inscrit d’ailleurs dans le cadre des textes fixant la liste des bureaux, des brigades, des postes de Douanes et leurs domaines de compétence, permet à travers l’évolution de trois Brigades Mobiles d’Interventions respectivement implantées à Kadiolo, Sikasso et Bougouni, la surveillance des intervalles compris entre les bureaux de première ligne que sont les bureaux frontaliers et ceux de l’intérieur en charge des opérations de dédouanement. Cela contribue à la lutte contre tous genres de trafics illicites de biens y compris celui de biens culturels.
LA REFONDATION: Existe un cadre officiel d’échange et de discussion des pratiques et politiques entre des hauts cadres maliens des douanes et leurs homologues d’ailleurs, dans les graves domaines de la sécurité, du terrorisme et de la protection du patrimoine culturel?
Autrement dit, arrive-t-il à nos hauts cadres des douanes de développer, avec leurs homologues d’ailleurs, la réflexion sur la place et le rôle qui sont leurs dans la gestion sécuritaire à nos frontières désormais au cœur des conflits et dans la lutte contre la contrebande des patrimoines culturels appartenant aux nations ou à l’Humanité?
CHEICKHNA AMALA DIALLO: En effet, il existe au plan de la coopération bilatérale et multilatérale des échanges entre la douane malienne et ses homologues des pays voisins et de la sous-région (UEMOA et CEDEAO) dans les domaines divers de leurs compétences y compris dans le cadre de la lutte contre la contrebande des objets appartenant au patrimoine culturel ainsi que toutes autres formes de criminalité transfrontalière.
LA REFONDATION: Le Mali propose-t-il une formation spécifique à ses agents de terrain, en matière de traitement des biens culturels? En d’autres termes, notre pays peut-il aujourd’hui se targuer d’avoir des agents de terrain formés dans le ciblage, l’identification, la reconnaissance et le maniement des biens culturels?
CHEICKHNA AMALA DIALLO: Ce n’est pas très fréquent à ce que je sache. Cependant, je me rappelle de la tenue d’un atelier sous régional pour le renforcement des capacités et la sensibilisation sur la lutte contre le trafic illicite de biens culturels du Mali, ayant réuni en 2013 des policiers, douaniers et gendarmes du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Sénégal et du Togo, en vue d’une réponse transfrontalière au phénomène qui a pris de l’ampleur avec la crise sécuritaire. Aussi, en 2016 a été lancée à Bamako, par le Conseil International des Musées, la liste rouge des biens culturels ouest africains en péril en vue d’aider les douaniers, policiers et autres personnes à identifier rapidement les types d’objets qui ne doivent pas traverser les frontières. En tout état de cause, les textes en vigueur au Mali conditionnent l’exportation des objets d’art à une autorisation du Ministère en charge des Arts et de la culture, ce, préalablement aux formalités du commerce extérieur.
LA REFONDATION: Je vous remercie, monsieur le Directeur!