Dans cet îlot d'insécurité bon nombre d'Africains de la sous-région affluent et se retrouvent sous les ordres des rebelles de la Coordination des mouvements de l'Azawad qui dirige de fait la ville.
Ces combattants des groupes armés souvent désœuvrés, incontrôlés, constitués en petits groupes qualifiés de « mafias », braquaient ou faisaient des guets-apens par-ci par-là pour essayer de survivre. Avoir une kalachnikov à Kidal, une mitrailleuse 12.7 ou 14 mm et un équipage, donnait naturellement l'envie et la possibilité à ces jeunes d'aller faire des actes peu recommandables. Dans cette région du nord, avec l'accord de paix qui n'avance pas, tous ceux armés et qui n'avaient pas de moyens pour subvenir à leurs besoins pouvaient être potentiellement orientés vers le banditisme.
L'appel de l'or
L'orpaillage a amené bon nombre d'entre eux à ranger les armes et à quitter les activités illicites qu'ils pratiquaient autrefois, pour tenter leur chance dans l'or : « Je me suis lancé là-dedans parce qu'il n'y avait rien à faire et puis c'est quelque chose qui est là, qu'on peut gagner. Ça évitait aussi beaucoup de mauvais trucs, tel qu'à aller chercher la drogue. Moi avant, j'étais dans les groupes armés, à la CMA, au sein du MNLA, je faisais partie d'un groupe de jeunes et à chaque fois qu'une information arrivait concernant un convoi de drogue qui allait passer, on se préparait et on partait pour aller le piller », confie cet ex-rebelle qui tient à garder l'anonymat. Aujourd'hui, il ne regrette pas sa nouvelle vie, bien éloignée des jours, voire des semaines passées à attendre embusqué dans des positions au bord des routes, sur lesquels les convois de drogue passent pour aller vers l'Égypte et Israël. « Quand un convoi passait, on ouvrait le feu et si on avait l'ascendant, on prenait toute la drogue, parfois plusieurs tonnes et ça c'est des milliards de FCFA. Avec l'or, les gens ont une occupation où ils peuvent gagner de l'argent sans vraiment causer du tort à qui que ce soit. Personne ne fait l'option du banditisme, s'il peut vivre de façon décente. C'est plus rapide aussi. Si tu trouves un filon, tu peux te faire de l'argent rapidement et d'une façon beaucoup moins dangereuse », poursuit notre rebelle, qui depuis peu s'est lancé dans la commercialisation de l'or.
Plus de sécurité dans l'insécurité
Conséquence notable de cette ruée vers l'or dans la région de Kidal, une baisse nette de l'insécurité depuis un peu plus d'un an. Les enlèvements, les assassinats, les braquages ont chuté de manière significative. Au lieu de braquer pour récolter un maigre butin, les gens ont préféré aller sur les sites d'orpaillage, gagner de l'argent sans violence. L'or a absorbé au fil des mois nombre de délinquants et de bandits. « Je peux confirmer qu'il y a moins d'insécurité depuis qu'il y a l'or, mais à mon avis ça ne s'explique pas seulement à cause de la présence de l'or, mais aussi, en partie du fait qu'il n'y a plus d'affrontements entre les deux principaux groupes armés signataires de l'accord, la CMA et la plateforme », confirme ce conseiller en matière de paix et de développement de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Un état de fait jugé satisfaisant par Sidi Mohamed Ag Ichrach, actuel gouverneur de Kidal, « On a assisté ici à des scènes qu'il y a plus d'un an on aurait pensées impossibles. Si vous vous rappelez, en 2017 ici, la CMA et la Plateforme se sont affrontées et ça a fait des dizaines de morts, mais quand il y a eu la découverte de l'or, CMA et Plateforme sont partis travailler sur les mêmes collines et il n'y a eu aucun problème, ils ont creusé ensemble, ils ont cherché l'or ensemble ».
Cependant, fin janvier dernier, la CMA mettait en place un arsenal de nouvelles mesures réglementaires et sécuritaires, très critiquées, en commun accord avec la Plateforme et le gouvernorat, « pour protéger les populations locales et prévenir les actes majeurs d'insécurité », affirmait son porte-parole, qui motivait aussi cette décision par le fait que depuis la découverte des mines d'or à Kidal, de nombreux orpailleurs de différentes nationalités affluaient dans la région. Bien qu'à Kidal, ce soient les autochtones qui gèrent les exploitations aurifères, les étrangers ayant le droit d'y travailler, mais pas de devenir propriétaires des zones exploitées, la CMA exige que chaque étranger ait des papiers d'identité pouvant l'identifier, un tuteur local et un permis de séjour en cours de validité, ces nouvelles règles qui visent principalement les orpailleurs étrangers s'accompagnent d'une batterie de mesures concernant le cadastre, l'hygiène, la santé, la consommation de stupéfiant et d'alcool, dont les orpailleurs étrangers seraient friands.
La protection des étrangers en question
« L'exploitation artisanale de l'or a drainé d'autres populations, d'autres acteurs qui ne sont pas des acteurs locaux. Elle a amené des Burkinabés, des Nigérians, des Nigériens, des Soudanais et beaucoup de Tchadiens. C'est devenu un peu l'eldorado qui a attiré tous les désœuvrés, les sans-emplois de la sous-région et dans ces groupes qui arrivaient, il n'y avait pas que des chercheurs d'or. Il y a des activités criminelles qui se sont développées, l'alcool, la drogue et la prostitution, ça a drainé tous ces fléaux sur Kidal », affirme Almou Ag Mohamed, porte-parole du Haut Conseil pour l'unité de l'Azawad (HCUA), un des trois mouvements politico-militaires qui compose la CMA. « On a été obligés de prendre des nouvelles mesures pour palier ces nouveaux fléaux en attendant que l'administration et l'armée malienne se redéploient et comble ce vide sécuritaire et judiciaire », justifie le porte-parole. « Nous avons reçu ici pratiquement des gens de toute l'Afrique de l'Ouest, donc ça a constitué un véritable défi sécuritaire. On a essayé de gérer ça du mieux que l'on a pu, on a mis au point des mécanismes de sécurisation qui sont assurés par la CSMAK (Coordination sécuritaire des mouvements de l'Azawad à Kidal) au niveau de la ville. On a essayé de protéger les étrangers contre les possibles actes de banditisme, et aussi pour nous assurer que ceux qui sont là, le sont pour la recherche de l'or et pas dans une autre logique », appuie Sidi Mohamed Ag Ichrach.
Mais à Kidal, une partie de la population reste sceptique face à ces nouvelles mesures et soupçonne la CMA de mettre en place cette opération pour renflouer ses caisses. « 5 000 FCFA pour les motos, 10 000 FCFA pour les autres véhicules qui n'ont pas de vignettes, nous ce que l'on voit surtout, c'est une présence au niveau de certain check-point, pour taxer les motos. Le reste de ces nouvelles mesures, c'est des histoires. Au moment où l'insécurité était grande, ils n'ont jamais fait ça. Il n'y a aucune maison close à Kidal, il n'y a plus de bar qui vend de l'alcool de manière ouverte ou public. Pour obtenir des cigarettes, de l'alcool, du Tramadol ou du Haschich ça se fait en clando, mais de manière très abondante et les gens de la CSMAK sont impliqués là-dedans. Quand au Soudanais, Tchadiens, Burkinabés, ils travaillent pour des proches de l'actuel leader de la CMA, si ce n'est lui-même, ou des locaux. On dit que depuis l'attaque d'Aguel'hoc en janvier dernier, les blancs leur ont mis la pression en leur disant qu'ils refusent de combattre les djihadistes alors que le Gatia le fait. Pour moi, ils veulent montrer qu'ils sont volontaires pour amener de l'ordre au niveau sécuritaire à Kidal, c'est tout ! », lâche Youssouf.
De l'or pour les djihadistes ?
Malgré cette sécurité relative dans une insécurité globale qui a chuté dans la région, une autre question se pose, concernant les djihadistes, tant les mines d'or exploitées à Kidal se situent à proximité de leurs sanctuaires, permettant peut-être à ces derniers de tirer des bénéfices conséquents de l'exploitation de l'or, qui pourraient venir financer leurs entreprises terroristes. « C'est surtout dans le cercle de Tin-Essako et Abeibara qu'il y a les djihadistes. Dans certains endroits, les gens ont été refoulés parce qu'ils sont là, ils ne veulent pas que parmi les orpailleurs il y ait des personnes qui soient infiltrées et qui vont les dénoncer. La plupart des sites sont soit sous leur contrôle, ou bien ils sont à côté d'eux. Eux, on ne les voit pas, mais ils sont là. Ils exigent que les pantalons soient courts, pas de cigarettes, pas de tabac, on ne parle pas aux femmes. Ils se confondent avec la foule et ne veulent surtout aucun problème, d'ailleurs, quand les forces internationales viennent, c'est la panique », raconte Youssouf. « Sur les sites il ne faut pas que l'on entende parler d'un conflit entre mineurs », abonde Rhissa, « On creuse à distance respectable de son voisin. S'il y a des problèmes, ça va faire du boucan, les autorités viendront et personne ne veut de problème ou attirer l'attention. À chaque fois que c'est l'heure de prier, vous arrêtez les machines et vous priez. Éviter les problèmes et prier, c'est ce que suivent les mineurs », résume le citoyen de Kidal.
La plupart s'accommodent de cette présence discrète des djihadistes qui viennent souvent à moto ou à pied pour prêcher, et qui garantit aussi une certaine sécurité. Si un problème, un litige important éclate, on emmène les concernés « à la justice », la Sharia, mais, confie Youssouf, « avec les djihadistes, tant que tu ne travailles pas avec les blancs et la Minusma, il n'y a pas de problèmes ».
À Bamako, au ministère des Mines, Alexis Dembélé, chef de cabinet du ministre, ne doute pas que les groupes djihadistes implantés dans la région se financent aussi avec cet or : « Comment voulez-vous distinguer un djihadiste sans arme d'un habitant, ils sont comme les autres, ils peuvent venir et faire aussi de l'orpaillage. Tant qu'on ne peut pas les identifier, cela me semble évident », lance-t-il.