L’universitaire Youssouf T. Sangaré analyse la situation sécuritaire du Mali et la montée en puissance d’un islam politique.
Le 23 mars, plus de 160 habitants du village d’Ogossagou, essentiellement des Peuls, furent massacrés. Les soupçons ont rapidement porté sur une milice de chasseurs dogon, dénommé Dan Nan Ambassagou, qui a rapidement démenti toute implication. Une enquête est en cours et plusieurs voix pressent le gouvernement malien de faire la lumière et de punir les coupables de ce massacre. D’autres vont plus loin en criant au « nettoyage ethnique », voire au « génocide ».
Dans une tribune, publiée sur le site de la Dépêche du Mali et Malijet une semaine après les faits, Adame Ba Konaré, historienne et ancienne première dame du Mali, parle ainsi d’un « nettoyage ethnique », d’une attaque visant « la communauté peule » ou encore des « morts pour avoir été Peuls ». Même si elle refuse, comme le suggèrent certains, d’armer les Peuls contre les Dogon, sa tribune tant davantage à enfermer « les Peuls » dans une « peulitude », une sorte d’identité exclusive, qu’à ouvrir des pistes de réflexion critique sur les raisons d’un tel événement tragique au Mali.
Sous-traitance de la sécurité nationale
Parler de « nettoyage ethnique » ou de « conflit ethnique/intercommunautaire », c’est, en effet, détourner le regard sur la faillite de l’Etat malien en la matière. Incapable, en 2014, de lutter contre les groupes islamistes du nord du pays, puis du centre, l’actuel chef de l’Etat et sa majorité ont favorisé la création ou la réactivation de mouvements d’autodéfense. A l’époque, Ibrahim Boubacar Keïta, le chef de l’Etat malien, préférait parler de « forces patriotiques » au service de la nation. Or, réinvestissant le terrain en l’absence de toutes institutions étatiques, ces milices vont se former sur une base identitaire et exclusive d’une nature nouvelle : des milices songhaï défendant (ou prétendant défendre) les Songhaï ; des milices touareg pour les Touareg, etc. L’Etat malien a ainsi confié l’une de ses prérogatives régaliennes à des milices, sans que l’on sache précisément les sources de financement de celles-ci ni encore moins leurs règles précises de fonctionnement.