Les réformes politiques et institutionnelles enclenchées par le président IBK seront encore une fois un échec. Et pour cause. Le dialogue inclusif par lequel le processus devrait commencer n’a pas eu lieu. Conséquence : les acteurs politiques et organisations de la société civile rejettent l’avant-projet de loi portant révision de la constitution.
Animé d’une ferme volonté de réviser la constitution du 25 février 1992, Ibrahim Boubacar Keïta pourrait essuyer encore une fois un cuisant revers. Il est sérieusement mis en cause par les acteurs politiques et organisations de la société civile.
A commencer par le président de l’APM-Maliko, Modibo Kadjoké. L’ancien ministre de l’Emploi qui a tenu à répondre au rendez-vous à Koulouba ne s’est pas fait prier pour étaler ses observations. Il a clairement indiqué au chef de l’État que cette révision constitutionnelle n’est pas une priorité. Donc, il ne la soutient pas.
« Notre opinion sur le sujet est contenue dans la dénomination de notre organisation : le Pacte Malien pour la Refondation ». Selon lui, même si la révision de la constitution est une priorité, elle n’est pas la priorité. Aussi, a-t-il invité IBK à écouter le peuple en prenant l’exemple sur certains dirigeants, dont Theresa MAY de l’Angleterre, Emmanuel Macron de la France, Bouteflika de l’Algérie, Oumar El Bechir du Soudan qui ont reculé face à la pression de leurs peuples. Sans langue de bois, Modibo Kadjoké a laissé entendre que le peuple malien n’est pas écouté. «Le peuple malien a fini de crier, de se manifester, il gémit », dit-il, avant d’inviter IBK à écouter les gémissements de ce peuple qui, selon lui, est fracturé. « Il y a une rupture entre l’État et les citoyens, rupture entre et à l’intérieur des communautés », a regretté l’ancien patron de l’APEJ.
Toutes les organisations s’agitent aujourd’hui, ajoute-t-il, pour réclamer leur part. Modibo Kadjoké a été on peut plus clair face à IBK. Les problèmes de la Fédération malienne de football, de l’insécurité… Il attire l’attention du président de la République sur tous ces maux. « Là où je vous parle, il y a au moins 3 villages qui sont en train de quitter le site qu’ils occupent depuis des siècles », dit-il. Et de poursuivre: « Nous vivons dans une insécurité grandissante».
Pour Kadjoké, membre du Pacte Malien pour la Refondation, il est très difficile de parler de la révision constitutionnelle dans le contexte actuel du pays. Il estime que le Mali a besoin d’être refondé et que les Maliens ont besoin d’être rassemblés.
C’est pourquoi il propose d’abord d’assurer la sécurité alimentaire ; ensuite, restaurer la sécurité des personnes et de leurs biens ; et puis négocier un moratoire pour les revendications catégorielles, tout cela pour aller à un Dialogue de Refondation nationale. « C’est seulement après ou pendant ce Dialogue que nous parlerons de révision constitutionnelle », a affirmé le président de l’APM-Maliko dans son discours. Il va loin en précisant que c’est le seul agenda du Mali. « Et pour cet agenda nous vous notifions notre disponibilité à vous accompagner », s’engage-t-il au nom de son front.
Avant de terminer, comme pour inviter IBK à entrer dans l’histoire tout en écoutant le peuple malien, Modibo Kadjoké laisse entendre : « Pour finir, permettez-moi de vous faire un rappel : il y a exactement 783 ans un autre Kéita a senti cette nécessité. Il a fait présider une grande assemblée par Kamadjan Camara en 1236. Cela a donné un État très stable dont nous sommes tous très fiers ».
Boycott du FSD et de la Cofop
Si le Pacte Malien pour la Refondation, les Forces alternatives pour le changement et l’émergence (Fare An Ka Wuli), le parti Yelema ont choisi de dire leurs avis sur le sujet devant IBK, le Front pour la Sauvegarde de la Démocratie (FSD) et la Coalition des Forces Patriotiques (COFOP) ont, eux, boycotté la cérémonie de remise de l’avant-projet de loi pour manifester leur opposition à la révision constitutionnelle.
A l’instar de la Cofop, les responsables du FSD ont annoncé vendredi les raisons de leur refus. Selon Soumaïla Cissé, la détérioration de la sécurité dans le centre du pays est une raison pour s’alarmer. « L’ampleur de la violence a atteint des seuils jamais vus dans notre pays. Des villages entiers sont rayés de la carte. Des populations entières sont décimées, y compris des bébés, des femmes enceintes et des vieillards. Des greniers sont incendiés et des animaux abattus. Des populations de villages entiers sont déplacées vers Bamako et environ, sans aucune assistance de l’Etat », interpelle le président du FSD. Pour lui, malgré toutes ces détériorations survenues au cours de l’année 2019, le dialogue politique ressemble plus à un jeu de ruse et de malice pour gagner du temps, plutôt que pour affronter la réalité. « Nous taire aujourd’hui, serait donc une trahison. Ne pas agir, serait également d’une lâcheté infinie… »
En analysant ces différents éléments, il apparaît indéniable que notre démarche sincère, patriotique et volontaire de décrispation du climat politique n’a pas rencontré d’écho, sinon de simples déclarations d’intention à caractère médiatique, remarque M. Cissé.
« La révision constitutionnelle apparaît, aux yeux de nos interlocuteurs, comme la seule priorité du moment. Pour nous, l’urgence est au dialogue politique national inclusif. C’est ce qui explique notre réponse ferme au comité d’experts. Un dialogue politique national pour un consensus élargi aboutissant à un accord politique accepté par tous. Il est plus que temps que les tenants du pouvoir prennent la vraie mesure des périls qui assaillent notre pays », poursuit-il.
Le président du parti Mouvement pour un destin commun, l’ancien ministre Konimba Sidibé juge l’avant-projet de loi portant révision constitutionnelle du 25 février 1992 inopportun. « Il est en déphasage avec les réalités. C’est du bricolage, morceau par morceau », dit-il. Pour lui, le contexte actuel n’est pas favorable à une révision de la constitution. « Les Maliens ont plutôt besoin de sécurité, d’être rassurés dans leur libre circulation. Je ne pense pas qu’une révision nous permettra de résoudre ça. Qu’on arrête avec cette politique d’Autruche. Cherchons à connaitre ce que le peuple veut. C’est la constitution selon nous…».
Des signes avant-coureurs qui nous font dire que les réformes politiques et institutionnelles seront encore un échec pour le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta. Le travail préalable qui devrait commencer par le dialogue inclusif n’a pas eu lieu.