La question que j’aborde dans la présente chronique me semble d’une actualité brûlante. Heureusement que mon angle de tir n’est pas une affirmation. Je m’interroge et interroge en même temps nos lecteurs qui, comme moi, sont parvenus sûrement au même constat : il règne un désordre désespérant sur les réseaux sociaux maliens. La question, même évoquée sous cet angle, peut relever d’un doux euphémisme. Plus qu’une simple cacophonie, il règne sur nos réseaux sociaux une volonté sourde de déconstruire toutes les valeurs en lesquelles nous croyions jusque-là.
Le mensonge, la calomnie, la délation, l’outrage, les injures grossières, le crime de lèse-majesté, la propagation de fausses nouvelles, la dépravation des mœurs, l’appel à l’incivisme, la rébellion à l’autorité de l’Etat, le complot, la sédition, la paresse intellectuelle, la vanité … sont, entre autres, les « vertus » qui prospèrent sur les réseaux sociaux maliens. Encore que là, j’ai perdu mon souffle dans ma vaine tentative de faire une énumération exhaustive des tares de ces fameux réseaux sociaux qui n’obéissent à aucune norme. A mes yeux, ils ne trouvent aucune grâce, et ont ceci de révoltant qu’ils sont incontrôlables et, de ce fait, se dérobent à tout champ de régulation ou d’autorégulation.
Il y a là une forte interpellation qui s’adresse à la puissance publique, aux autorités morales, aux FAI (fournisseurs d’accès à Internet), aux gestionnaires des principales plateformes et surtout au milieu universitaire qui doit investir ce terrain fangeux pour en comprendre la sociologie et proposer des modalités sinon curatives du moins palliatives.
Dans l’hypothétique attente que nous sonnions collectivement la charge contre les dérives des réseaux sociaux, nous n’avons que nos yeux et nos oreilles pour mesurer l’ampleur de la sottise, de la vulgarité, de la nullité et de la dissémination du venin de la haine, de l’abrutissement et d’une culture rachitique qui circulent dans ces canaux qui, pourtant, pourraient être capables du meilleur.
Après ce diagnostic qui n’a rien à envier à la peste, peut-on raisonnablement changer les réseaux sociaux au Mali ? Poser la problématique ne porte-t-il pas en soi les germes de notre incapacité collective à réagir à un phénomène qui semble nous anesthésier ? Pour ma part, de peur de paraître ridicule et injustement liberticide, je n’ose pas esquisser la moindre recette quoique, en mon fort intérieur, je pourrais verser au dossier quelques pistes de réflexion.
A ceux qui se considèrent comme les leaders et les influenceurs de ces réseaux sociaux, je suggérerais d’élaborer et de vulgariser un code de conduite qui tiendrait lieu de code d’éthique et de déontologie. Il serait, ce code, assorti d’une grille d’appréciation chromatique de plusieurs niveaux allant du vert (excellent) au rouge (mauvais) en passant, par exemple, par le bleu (bien), le jaune (moyen) et le rose (attention). Bienvenue à l’autorégulation !
D’autres, les plus capés, pourraient revêtir la toge de fact checkers ou vérificateurs de faits pour labéliser certains matériaux sensibles qui circulent avec une viralité déconcertante sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit nullement de censeurs qui distribueraient des bons et mauvais points fantaisistes, mais de pairs qui apporteraient conseils et assistance aux autres « confrères ».
Tant qu’à faire, pourquoi ne pas mettre en place une faitière d’associations qui opèrent sur cette matière ? Elle aura l’avantage du membership qui donne droit à des privilèges dont les moindres seraient la reconnaissance de jure, le bénéfice des formations et l’accréditation pour des couvertures d’évènements.
Anyway, comme diraient les anglophiles, il est besoin de réussir à convertir la morve destructrice des réseaux sociaux en puissant vecteur d’information, d’éducation et de communication, de propagation des idéaux de convivialité, de vivre-ensemble et de renforcement du tissu social. Dans le cas d’espèce du Mali, il n’est pas trop demander aux réseaux sociaux de contribuer à recoudre les liens sociaux fortement dégradés ces dernières années par des crises multiformes. Ils en ont largement les moyens et pourraient être d’efficaces online peacekeepers (soldats de la paix en ligne), au même titre que les casques bleus de la MINUSMA, la Force Barkhane, EUTM, la Force conjointe du G5 Sahel… Potentiellement, nous sommes tous des online peacekeepers pour peu que nous disposions d’un terminal (smatphone, ordinateur, tablette…) connecté à l’Internet et que nous sachions nous en servir.
Ainsi, deviendrons-nous tous des acteurs de la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale au Mali issu du processus d’Alger. Ce faisant, nous nous approprions ledit accord et contribuons à sa dissémination et à son explication aux larges couches rurales qui ne comprennent rien du processus.
Enfin, les réseaux sociaux pourraient être de redoutables partenaires des pouvoirs publics, des collectivités et du secteur privé sur le terrain du développement, en activant leur dynamisme et leur maillage pour la réalisation de projets concrets au profit de larges catégories de la population qui n’accèdent pas encore aux services sociaux de base.
Comme sous d’autres cieux, les réseaux sociaux pourraient promouvoir le crowdfunding, c’est-à-dire cette forme de « financement participatif » de projets, de causes… en recourant exclusivement à l’Internet. Il existe un potentiel de générosité au Mali et donc pourquoi les réseaux sociaux n’aideraient-ils pas à solliciter ce potentiel ?
Si cette modeste chronique réussit à faire prendre conscience des dérives des réseaux sociaux du fait de leur mauvaise utilisation alors que, utilisés à bon escient, ils sont de fabuleuses ressources aux multiples vertus, j’aurais fait œuvre utile. Ma quête est que s’ouvre le débat public sur la problématique en question dont les travers secouent quotidiennement notre société. Voulez-vous des exemples ? Je ne crois pas que cela soit nécessaire tant il en pleut et tant ils défraient la chronique. Il n’est pas jusque au sommet de l’Etat où les dérives des réseaux sociaux sont ressenties avec acrimonie et indignation, et où on applaudirait à tout rompre tout moratoire sur la vulgarité qui permettrait d’économiser notre énergie collective et d’engager des combats qui valent : ceux pour la paix, la réconciliation nationale et le développement.