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Que fait la France en Afrique ?
Publié le mercredi 15 mai 2019  |  Le Combat
Soldats
© RFI par David Baché
Soldats de la force française Barkhane, casques bleus de la Minusma, et soldats de l`armée malienne, lors d`une mission conjointe dans la région de Gao. Partout au Mali, la situation sécuritaire reste préoccupante.
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Le Mali, l’ami de la France ? Le Mali aujourd’hui est dans un gouffre sans précédent. Ce, tant au plan financier que sécuritaire. La présence de la France censée nous rassurer a plutôt conduit les Maliens dans une confusion totale. Nous vivons des moments les plus troublés de notre pays. Votre quotidien, dans la quête de réponses, vous livrera par séquences le contenu d’une brochure intitulé. « Que fait la France en Afrique » ? Ainsi, de vous-même, vous allez comprendre …
Fructueuse lecture !

La Françafrique, ou la face cachée de la politique française en Afrique

« De même que les États-Unis ont leur arrière-cour en Amérique latine, la France a besoin d’avoir son arrière-cour en Afrique ».
Georges Serre, Conseiller d’Hubert Védrine, Ministre des Affaires Etrangères, 1998
Guerres civiles, dictatures, pauvreté, analphabétisme, malnutrition… La situation catastrophique de l’Afrique francophone soulève de nombreuses questions. Pourquoi tant de misère dans des pays si riches en matières premières ? À qui profite l’argent du pétrole, de l’uranium, du diamant, du bois, des minerais ? Comment expliquer la présence permanente de l’armée française dans ses anciennes colonies ? Pour quelles raisons le gouvernement français reçoit-il régulièrement, avec tous les honneurs de la République, des Dirigeants africains parvenus au pouvoir par des coups d’État ou des élections truquées ?
En 1998, François-Xavier Verschave, alors Président de l’association Survie, publie La Françafrique, le plus long scandale de la République. Cette enquête dévoile la face cachée des relations franco-africaines : la confiscation des indépendances, le pillage des matières premières, le soutien des dictatures, la complicité de génocide au Rwanda. Cette analyse sera progressivement étayée par une dizaine d’ouvrages dont Noir Silence (2000), L’envers de la dette (2001), Négrophobie (2005), etc.
Cette brochure s’adresse à celles et ceux qui n’ont jamais entendu parler de la Françafrique ou connaissent bien cette expression, mais cherchent à synthétiser leurs idées. L’exercice est périlleux : comment résumer plusieurs dizaines de milliers de pages d’enquête ? Cet exposé est forcément caricatural et incomplet. Mais nous espérons qu’il fournit des repères et l’envie d’en savoir davantage.
Fructueuse lecture.

1-La confiscation des indépendances
Certes, au temps où la colonisation était la seule voie qui permit de pénétrer des Peuples repliés dans leur sommeil, nous fûmes des colonisateurs, parfois impérieux et rudes. Mais, au total, ce que nous avons, en tant que tels, accompli laisse un solde largement positif aux nations où nous l’avons fait.
Général De Gaulle, Président de la République française, 31 janvier 1964.

Lorsque le Général De Gaulle prenait le pouvoir en 1958, l’opinion publique est de plus en plus favorable à la décolonisation, tout comme les États-Unis et l’URSS qui espèrent rallier à leur panache les peuples décolonisés*. Cependant, De Gaulle ne souhaitait pas l’indépendance de l’empire colonial français et, ce, pour, au moins, trois raisons :
– Une raison économique : l’Afrique permet à la France d’accéder aux matières premières stratégiques comme l’uranium ou le pétrole. Elle est également source de profits pour les sociétés coloniales (cacao, bananes, bois, café, etc.).
– Une raison politique : en pleine période de “Guerre froide”, la France, alliée du camp occidental, souhaite éviter la propagation du communisme dans ses colonies.
– Une raison inavouable : le détournement des rentes africaines finance le mouvement gaulliste, via des circuits qui irrigueront par la suite les autres partis de gouvernement.
Politiquement acculé, le Président De Gaulle enclenche finalement le processus de décolonisation dans les années 60. Mais tout en proclamant ce nouvel état des relations internationales, il charge son bras droit Jacques Foccart de maintenir les pays d’Afrique francophones sous la tutelle française par un ensemble de moyens illégaux et occultes.
Jacques Foccart est à l’époque un personnage très puissant : Secrétaire Général de l’Élysée, il dirige la plupart des services secrets, supervise les nominations aux principaux postes du parti gaulliste et de l’État, pourvoit enfin aux finances du gaullisme. Il va brillamment orchestrer cette mission de confiscation des indépendances.
Sa principale stratégie sera la mise en place de dirigeants africains favorables à la France par l’élimination physique des leaders et mouvements indépendantistes. La guerre contre les indépendantistes camerounais (1957-1970) fut la plus violente, avec des méthodes dignes de la guerre du Vietnam : des centaines de milliers de victimes, l’assassinat des leaders Ruben Um Nyobe en 1958, Félix Moumié en 1960, Ouandié en 1970. Cette guerre servit de leçon à tous ceux qui pouvaient avoir des velléités de résistance. Citons également l’assassinat du Président indépendantiste togolais, Sylvanus Olympio, en 1963, sous la supervision des services français. L’assassin, Étienne Eyadema, s’installa ensuite plus de 40 ans au pouvoir et devint « l’ami personnel » du Président Jacques Chirac. Son fils Faure Gnassingbé lui a succédé en 2005 par le biais d’élections frauduleuses et d’une sanglante répression des opposants.** Bon nombre des chefs d’État choisis par Foccart ont été formés dans les écoles militaires françaises. Certains appartenaient aux services secrets français, comme Omar Bongo du Gabon, ceci depuis… 1967 !
Des accords sont ensuite passés avec les dirigeants de ces pays officiellement décolonisés. Depuis plus de quarante ans, les pays francophones situés au sud du Sahara vivent avec des accords de coopération, notamment monétaires et militaires, conçus comme si ces états ne devaient jamais devenir indépendants. Citons l’Accord de défense du 24 avril 1961 entre la France, la Côte d’Ivoire et le Niger concernant les « matières premières et produits stratégiques » (hydrocarbures, uranium, lithium…). Cet accord stipule que ces pays, « pour les besoins de la défense, réservent par priorité leur vente à la République française après satisfaction des besoins de leur consommation intérieure, et s’approvisionnent par priorité auprès d’elle » et « lorsque les intérêts de la défense l’exigent, elles limitent ou interdisent leur exportation à destination d’autres pays ». Certains accords peuvent comporter des clauses non publiées au Journal Officiel et ignorées du Parlement français. Par exemple, le Journal Officiel du 21 novembre 1960 précise que « la République gabonaise a la responsabilité de sa défense intérieure, mais elle peut demander à la République française une aide dans les conditions définies par les accords spéciaux».
Ces accords secrets prévoient généralement l’organisation, l’encadrement et l’instruction des forces armées des États »décolonisés », ainsi qu’une intervention militaire française en cas de menace extérieure. Enfin, des bases militaires françaises sont implantées sur le continent africain de manière permanente. Actuellement, celles-ci sont situées à Dakar (Sénégal), N’Djamena (Tchad), Djibouti, Libreville (Gabon) et Abidjan (Côte d’ivoire). Elles regroupent un total de plusieurs milliers de soldats. Lorsque la France ne peut agir directement, l’utilisation de mercenaires complète le dispositif. Les plus célèbres sont Bob Denard et Paul Barril, impliqués dans de nombreux »coups tordus » aux Comores, au Bénin, au Gabon, en Angola, au Zaïre, etc.
Jacques Foccart élabore ainsi un réseau contrôlé depuis l’officieuse cellule africaine de l’Élysée et entretenu par une série de correspondants : officiers des services secrets, Hommes d’affaires, fonctionnaires, conseillers, etc. Chaque Président africain est encadré par les services secrets français, soi-disant chargés de sa sécurité et par de multiples conseillers. Pour éliminer tout risque d’opposition intérieure, des polices politiques tortionnaires sont mises en place, formées à l’école française et aux méthodes expérimentées en Algérie.
Cette stratégie permet de maintenir le système de domination et d’exploitation coloniale tout en donnant l’impression qu’il y a bien indépendance, puisque c’est un homme originaire du pays qui gouverne. Elle permet également à la France de maintenir sa position dominante dans les institutions internationales, telles que l’ONU, les États d’Afrique francophone, officiellement indépendants, s’alignant généralement sur les choix de l’ancienne métropole.
La domination politique et militaire des anciennes colonies s’accompagne enfin d’une domination économique, via le franc CFA, contrôlé par la Banque de France. Initialement « franc des Colonies Françaises d’Afrique », il sera rebaptisé en 1960 « franc des Communautés Financières Africaines » pour le Bénin, le Burkina Faso, la Côte-d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, « franc de la Coopération Financière d’Afrique centrale » pour le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. Le franc CFA était convertible directement en franc français jusqu’en 1993, ce qui facilitait l’évasion monétaire. En janvier 1994, il sera brutalement dévalué de 50%, décision entraînant de lourdes conséquences sur les populations. Pendant toute cette période, les discours des différents gouvernements se sont parés d’un »manteau de vertu » : la France « meilleure amie de l’Afrique et du développement », « patrie des Droits de l’Homme », la lutte contre l’influence hégémonique anglo-saxonne, etc. Notons à ce propos que même si le gouvernement français affichait une distanciation avec les États-Unis, les passerelles entre les services secrets, les hommes d’affaires ou les militaires français et américains étaient beaucoup plus fortes que l’on pourrait imaginer. Les réseaux franco-africains étaient en lien étroit avec le dispositif clandestin de la Guerre froide : la France jouait son rôle dans l’échiquier géopolitique occidental.
Le financement du contrôle des anciennes colonies ne pouvait se faire qu’illégalement. Ainsi, des firmes françaises chargées d’approvisionner l’Hexagone en matières stratégiques sont investies par les services secrets. La société Elf est créée en 1967 par Pierre Guillaumat, ancien militaire et agent secret, pour servir entre autres de couverture au financement et à l’action des services secrets en Afrique. Elle a organisé le drainage d’énormes marges occultes sur l’exploitation de l’or noir africain : production non déclarée au large des côtes, surfacturation des investissements et des prestations, arnaque sur le préfinancement des productions futures, etc. Tout cet argent permet le contrôle des pays producteurs : corruption des décideurs locaux, co-organisation de scrutins truqués, achat de la complicité de la classe politique française, financement de polices politiques, de gardes dictatoriales, de milices ou de mercenaires, implication dans des coups d’État ou des guerres civiles. Elf (désormais Total) a cogéré de cette manière au moins le Gabon, le Congo-Brazzaville et le Cameroun. Elle a joué un rôle déterminant dans la politique française au Nigeria et en Angola. Par exemple, Elf finançait les deux parties en conflit dans la guerre civile angolaise qui opposait depuis 1975 le gouvernement et un mouvement rebelle, l’UNITA. Ce double-jeu permettait, entre autres, d’affaiblir la capacité de négociation de l’Etat au moment de vendre son pétrole.
En plus des trafics de drogue et du blanchiment d’argent via les loteries, casinos ou paris hippiques, quantité de PME et de petites entreprises (fournitures, armements, trafics divers) financent les services secrets. Une partie des fonds gigantesques de la rente du pétrole ou des matières premières, et des commissions sur les ventes d’armes sont récupérées par ces services qui multiplient ainsi les crédits votés à leur intention par le Parlement français. Enfin, la prolifération des paradis fiscaux permet l’évasion de capitaux et le blanchiment d’argent, en toute opacité. La Françafrique, confiscation des indépendances, s’installe durablement en Afrique francophone. Une génération de décideurs, en France comme en Afrique, s’habitue ainsi au détournement des richesses africaines.
À suivre…

Sources : elles proviennent pour l’essentiel des ouvrages réalisés ou édités par l’association Survie créée en 1984 en France.

NB: Le deuxième titre et le chapeau sont de la Rédaction !
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