La directrice de la Clinique juridique Wildaf trace, dans cet entretien, les contours de son travail qui consiste à aider à aplanir les problèmes sociaux. La plupart des cas concernent les violences. Et les femmes représentent 90% des personnes qui sollicitent son assistance
L’Essor : Madame la directrice, la semaine dernière, les réseaux sociaux ont largement relayé la photo d’une femme qui non seulement s’est suicidée, mais par la même occasion, a mis fin aux jours de ses trois enfants. Votre clinique juridique s’intéresse-t-elle à de tels problèmes ?
Bintou Founè Samaké : Evidemment, nous nous intéressons à de tels cas, même si notre mission première est d’apporter une assistance juridique et judiciaire à des femmes et enfants démunis ayant des problèmes juridiques. Rappelons qu’avant cette dame, d’autres ont été assassinées par leurs conjoints comme, par exemple, le cas de Mariam Diallo qui a été tuée par 37 coups de couteau par son époux, de Kamissa qui a aussi reçu une balle dans la tête ou de la défunte Haïdara qui a été poignardée par son mari. Face à cette série d’assassinats, nous avons approché les autorités politiques, administratives et religieuses afin qu’elles se joignent à nous pour développer des stratégies dénonçant de tels actes et de faire en sorte qu’ils ne se reproduisent plus. Mais malheureusement, la violence a continué à gagner du terrain avec l’assassinat d’imams. Ce sont des situations que nous avons dénoncées en son temps. Il y a aussi un viol collectif qui a été filmé et mis sur les réseaux sociaux au Mali ici. Nous avons lancé l’alerte et mobilisé la société. Les auteurs ont été appréhendés et sont en prison. Nous nous intéressons beaucoup à ces situations parce qu’il y va de l’honneur et de la dignité des femmes.
L’Essor : Concrètement, quelles sont les dispositions prises dans ce cadre?
B. F. S. : Nous avons alerté le ministre de la Sécurité qui a instruit à ses hommes de ne plus tolérer des cas de violence. Il a demandé de prendre toutes les dispositions afin que les auteurs de violence soient appréhendés. Aujourd’hui, une ligne verte existe au Mali. Cette ligne s’appelle SOS violence faite aux femmes. C’est le numéro Malitel 80 333. Les femmes peuvent appeler ce numéro en cas de besoin et des agents peuvent se déplacer à tout moment pour venir à leur secours. La ligne a été ouverte à Bamako grâce aux efforts de ONU-Femmes et des organisations de la société civile. Nous nous battons également afin que cette ligne soit créée dans les régions. En plus, il existe des centres de prise en charge holistiques qu’on appelle les « one stop center ». Il y en a un à l’Ecole de police, un au Centre de santé communautaire de la Commune V, un à Mopti et un à Koulikoro. Ces centres sont animés par des agents des cliniques juridiques et apportent une assistance aux personnes victimes de violence.
L’Essor : Les citoyens appellent-ils ce numéro ? Et à quels sujets ?
B. F. S : Ils appellent. D’ailleurs, à plusieurs reprises, j’ai parlé avec des gens qui avaient besoin d’aide. Généralement, les gens ont recours à nous à propos de problèmes de famille, de questions liées au mariage, à l’héritage ou aux violences, parce que la violence est aujourd’hui un peu partout, notamment les violences sexuelles. On nous appelle aussi par rapport aux questions liées au licenciement. Donc, il s’agit d’une multitude de questions y compris des questions d’état civil comme par exemple, ceux qui veulent avoir des extraits d’acte de mariage au niveau des mairies, des extraits d’acte de naissance, des certificats de décès. D’autres sont nés à l’extérieur et veulent se faire enregistrer au Mali. Le mécanisme est tel que nous leur expliquons les procédures à suivre et ces personnes vont vers les institutions appropriées pour avoir les documents dont elles ont besoin.
L’Essor : Combien de cliniques juridiques y a-t-il au Mali ?
B. F. S : Présentement, il y a quatre cliniques juridiques au Mali : la clinique juridique de l’Association des juristes maliennes, créée en 1992, la clinique juridique Dèmesso, créée par une association d’hommes et de femmes et qui a, à sa tête, des juristes, la clinique juridique de l’APDF qui est un centre d’assistance et la clinique juridique de Wildaf dont je suis la directrice. Wildaf a mis en place ce centre d’écoute et d’orientation des femmes et des enfants démunis en 2000. Il convient de souligner que toutes ces cliniques travaillent en partenariat au sein d’une coalition de renforcement des capacités.
L’Essor : Quelle est la différence entre clinique juridique et justice ?
B. F. S : La clinique juridique informe les intéressés avant qu’ils ne prennent une décision. Quand vous venez pour résoudre un problème, on vous assiste comme il faut et si vous décidez d’aller vers les juridictions, on vous oriente vers celles-ci. Si la personne opte pour la médiation, nous trouvons les personnes ressources et généralement quand une décision très importante de médiation est obtenue, nous faisons homologuer la décision afin que chacun sache à quoi s’en tenir. Donc, nous sommes un tampon entre la communauté et la justice, un centre d’écoute, d’orientation, de médiation et de conciliation. Toutes catégories confondues de femmes viennent vers nous, aussi bien du milieu rural qu’urbain. Il y a des femmes démunies qui n’ont pas de moyen pour faire face aux frais de procédure de conciliation. Nous les prenons en charge.
L’Essor : Comment ?
B. F. S : Wildaf a un pool d’avocats que nous contactons et nous leur payons une somme modique. Ce sont des avocats engagés qui apportent leur appui aux personnes démunies
L’Essor : A quoi consiste votre travail et qui finance vos activités ?
B. F. S : Notre travail porte sur l’écoute (prise en charge psychosocial), l’orientation juridique, le référencement vers les services de santé, de police, l’assistance judiciaire devant les cours et tribunaux et l’encadrement de stage des étudiants terminalistes en droit. Il s’agit d’abord de donner la bonne information à la personne et ensuite de l’orienter pour résoudre son problème juridique. Il s’agit surtout d’amener les personnes qui ont des difficultés juridiques à pouvoir les comprendre et à les orienter en vue de résoudre leurs problèmes. Annuellement, nous recevons 500 à 1000 personnes, dont 90% sont des femmes. Entre autres, la clinique soutient et accompagne 173 femmes, victimes de violences sexuelles, suite à la crise du Nord. Chaque année, nous produisons un rapport et nous disposons d’une base de données dans laquelle nous répertorions systématiquement tous les cas qui nous sont référés. Nos activités sont financées par plusieurs partenaires dont l’USAID, à travers le projet Mali Justice, et qui aide à financer les frais de déplacement des avocats. Nous bénéficions aussi de l’appui canadien à travers un projet qui s’appelle Juprec ainsi que de l’appui d’une ONG italienne.
L’Essor : A quelles difficultés êtes-vous confrontées ?
B. F. S : D’abord, nous n’avons pas les moyens de nos ambitions. Ensuite, il y a les difficultés liées au fonctionnement de la justice au Mali. Par exemple, lorsque nous nous battons pour ces femmes et que des décisions de justice sont rendues, il est très difficile de les exécuter. Il y a aussi des décisions qui sont rendues et qui ne reflètent pas la gravité de l’acte surtout quand il s’agit des violences faites aux femmes. A titre d’illustration, le mari de la dame qui a été tuée par 37 coups de couteaux a été condamné à 10 ans de prison et la même Cour d’assises a condamné une femme qui a assassiné son mari à 20 ans de prison. Autre problème : lorsque la pension alimentaire ou des dommages et intérêts sont accordés aux femmes, il leur est très difficile de rentrer en possession de ces droits. Par conséquent, à plusieurs reprises, à nos assises et conférences, nous avons demandé de mettre en place un fonds par l’Etat et d’exiger que les gens payent, mais la justice ne fait rien pour punir ces personnes. Souvent aussi, il y a des procédures à faire, mais la justice ne suit pas toujours.
L’Essor : Quelle est votre stratégie ?
B. F. S : Nous travaillons beaucoup avec les acteurs de la justice qui nous accompagnent. Nous travaillons aussi avec les chefs religieux et coutumiers parce que notre grand problème, c’est que les décisions qui concernent les femmes ne sont pas généralement prises par les femmes elles-mêmes. Au Mali, une femme est toujours liée soit au mari, soit au frère, au père, au beau-frère ou au fils. Donc, il faut chercher à résoudre les problèmes en tenant compte de ces réalités. Notre stratégie consiste donc à mettre en synergie toutes ces personnes pour résoudre les problèmes. A court terme, nous cherchons une solution au problème des femmes victimes de violence sexuelle de la crise de 2012. Certaines ont porté plainte et jusqu’à présent, aucun acte n’a été posé par rapport à ces plaintes.
A moyen terme, nous souhaitons que le projet de loi sur les violences basées sur le genre, élaboré par le ministère de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, soit voté par les députés. A long terme, notre souhait est la mise en place de cliniques juridiques dans toutes les régions du Mali et que l’Etat apporte aussi son aide à ces cliniques.
L’Essor : Votre mot de la fin ?
B. F. S : Compte tenu du rôle que joue la clinique juridique dans la société, nous estimons qu’elle doit évoluer vers un service d’utilité publique, parce que, aller à la justice ne fait pas partie de nos coutumes. Ce qui fait que quand on arrive à la justice, c’est le dernier recours pour résoudre un problème alors que quand les gens viennent à la clinique juridique, ils pensent que c’est une étape moindre que d’aller directement à la justice. En somme, nous voulons devenir un service d’utilité publique afin que des personnes qualifiées viennent travailler au sein des cliniques pour informer, sensibiliser, éduquer les citoyens et alléger le travail des juridictions. L’autre souhait, c’est que le ministère de la Femme, de l’Enfant et de la Famille développe un véritable programme pour lutter contre les violences basées sur le genre.