Ce consensus doit être trouvé dans le cadre d’un dialogue national inclusif. Mais sur la forme et l’agenda de ce dialogue, les avis divergent
Le mandat prorogé des députés prend fin en juin prochain. Alors, faut-il une nouvelle prorogation ? Le temps imparti est-il suffisant pour organiser des élections législatives ?
Doit-on garder l’Assemblée nationale dans son format actuel ? Autant d’interrogations qui agitent actuellement le landerneau politique. L’idée d’un nouveau report ne paraît pas pour autant comme une entorse grave aux principes démocratiques, pourvu que la solution à envisager soit dégagée dans le cadre d’un dialogue politique inclusif. C’est du moins, en somme, la proposition faite par nombre d’acteurs politiques que nous avons rencontrés.
Le président d’honneur du parti Alliance démocratique pour la paix (ADP-Maliba), Aliou Boubacar Diallo, lors de l’ouverture des travaux du 2è congrès ordinaire de ce parti, samedi dernier, s’est prononcé sur la question. Il a d’abord tenu à rappeler que l’Assemblée nationale actuelle est une configuration des forces politiques en présence au sortir de l’élection présidentielle de 2013.
De fait, a-t-il renchéri, toutes les nouvelles forces qui ont émergé lors de l’élection présidentielle de 2018 sont ignorées dans cette Assemblée nationale. « Proroger le mandat des députés, c’est ne pas tenir compte du poids réel que nous avons sur l’échiquier politique», a analysé le leader politique.
Qu’adviendra alors après le 30 juin 2019 ? Aliou B. Diallo a estimé qu’il n’y a que deux pistes de solutions : soit les autorités organisent des élections législatives, soit il leur sera demandé de tenir compte de l’arrêt de la Cour constitutionnelle sur le 1er tour de l’élection présidentielle du 29 juillet 2018 qui est le dernier scrutin où les partis politiques au Mali ont présenté ou soutenu des candidats.
«Si le mandat des députés n’est pas prorogé, j’espère qu’il ne le sera pas, nous allons demander de créer une Assemblée constituante dans laquelle les partis seront autorisés à avoir des délégués en fonction de ce que chaque candidat et ses soutiens ont eu d’après l’arrêt de la Cour constitutionnelle au 1er tour de la présidentielle», a préconisé celui qui s’est classé 3è aux termes du 1er tour de la présidentielle de l’année dernière. Aliou B. Diallo prévient que le dialogue politique inclusif sera voué à l’échec, s’il ne tient pas compte des nouvelles forces politiques qui ont émergé lors de la dernière présidentielle.
Le président du Congrès national d’initiative démocratique (Cnid Faso Yiriwa Ton), Me Mountaga Tall, pense lui aussi que le sujet pourrait être soumis au dialogue politique annoncé. Pour lui, il est aujourd’hui évident, compte tenu des préparatifs techniques à faire et surtout de l’impérieuse nécessité de revoir l’ensemble des textes régissant les élections, qu’il sera difficile d’organiser un scrutin avant le 30 juin prochain.
SOLUTION POLITIQUE- Le parti Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence (FARE An ka wuli) abonde quasiment dans le même sens, estimant que l’urgence n’est pas l’organisation des élections législatives et référendaires, mais plutôt la tenue d’un dialogue national refondateur qui permettra d’abord de consolider la paix et la cohésion sociale.
Cette formation politique soutient que tenir les élections législatives dans les conditions actuelles comme les reporter unilatéralement en dehors de tout processus consensuel serait une fuite en avant désastreuse. Le secrétaire général du parti, Mahamadou Keïta, préconise une solution politique.
Autrement dit, que les acteurs politiques débattent du problème et dégagent les voies de solution. « Un accord politique a force de loi », soutient-il, précisant que la configuration actuelle de l’Assemblée nationale ne reflète plus celle de la classe politique.
Le parti FARE reste convaincu de l’urgence à tenir un dialogue national, devant arrêter les orientations majeures dont les Maliens conviendront quant à l’avenir du pays. Le dialogue politique devrait décider du report des élections législatives pour une durée en cohérence avec la conduite des réformes institutionnelles et structurelles dont le pays a besoin.
Côté majorité présidentielle, on souscrit à l’idée du dialogue sur la question, mais avec une grille de lecture légèrement différente. En effet, le président du parti Union malienne du Rassemblement démocratique africain (UM-RDA Faso Jigi) et vice-président de la Coalition « Ensemble pour le Mali » (EPM), Dr Ibrahim Bocar Ba pense que la prorogation du mandat des députés est dans l’ordre du possible. Parce que, justifie-t-il, le pouvoir législatif est l’un des trois piliers de la démocratie.
Et l’exécutif ne peut mener correctement ses activités sans un Parlement. « Nous avons l’Accord politique de gouvernance, signé le 2 mai et qui met en place un gouvernement de mission pour une durée de 12 mois ; il y a beaucoup de choses à faire.
Et par rapport à tout ceci, il faut que les actions du gouvernement soient adossées sur une démocratie avec un Parlement, donc c’est pour cela que la prorogation paraît non seulement juste, mais indispensable », défend le représentant de la majorité présidentielle.
Il concède cependant que cette hypothèse ne fait pas l’unanimité au sein de la classe politique. Mais, assure-t-il, la majorité présidentielle s’attèle à justifier le bien-fondé de cette prorogation.
Dr Ibrahim Bocar Ba estime que le plus important n’est pas seulement de proroger, « mais c’est aussi mettre en place des dispositifs qui permettent d’avoir une nouvelle Assemblée nationale ».
À ce sujet, il confie que le gouvernement est en train de mettre en place « un agenda qui permettra de voir clair là où l’on va et quels sont les moyens mis à disposition pour que l’objectif soit atteint ».
Dr Ibrahim Bocar Ba fonde beaucoup d’espoir sur le dialogue politique qui offre l’occasion de mettre à plat les maux dont souffre le pays.
De l’analyse de Boubacar Boubou Dicko, président de l’Union pour un mouvement populaire de changement (UMPC), parti membre de la majorité présidentielle, seul un accord politique permettra de sortir de l’impasse qui se profile. Un accord d’autant plus nécessaire que même la Cour constitutionnelle ne peut justifier d’un nouveau report.
Et, précise-t-il, « on ne peut plus faire prévaloir l’argument de l’article 50 de la Constitution, parce que ce n’est pas le cas de figure ».
Selon lui, il y a deux problèmes sous-jacents, dont le premier a trait au referendum annoncé. Ce qui implique une loi de révision constitutionnelle, alors qu’il est évident que cette révision ne pourrait être votée avant le 30 juin.
Donc, il faut aller à une seconde prorogation du mandat des députés. « Et c’est là une question à étudier avec beaucoup de sérieux », dit-il avant de s’interroger : « Est-ce que le choix va porter sur une révision constitutionnelle ou alors est-ce qu’on va laisser le choix au constituant originaire ? En tout cas, M. Dicko estime qu’il faut un accord politique qui, de fait, supprime le fait majoritaire.
En effet, ce sont toutes les composantes de la nation qui décideront librement s’il faut aller vers la rédaction d’une nouvelle Constitution. Aussi, Boubacar Dicko soutient que la tenue des législatives butte sur le problème de l’opérationnalisation des nouvelles régions, tout en rappelant que le Premier ministre de l’époque avait invoqué l’argument de la loi n° 20-12/017 et la loi n° 20-12/018 pour demander le report des législatives.
« Elles créent 19 régions dont l’opérationnalisation s’avère impossible même en termes de ressources humaines », selon M. Dicko qui préconise une relecture de ces lois. Sans quoi, « il n’est pas possible même dans un an de tenir des élections législatives ».
Et s’agissant du sort des députés, il estime utile « qu’on fasse appel au peuple dans toute sa diversité et mettre en place une sorte de comité de transition, comme par le passé, qui est plus représentatif des couches de la population que les actuels élus. Parce que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce à travers ses élus à l’Assemblée nationale. Et cette même Constitution leur donne un mandat de cinq ans. Donc s’il n’y a plus de mandat, le peuple reprend sa légitimité », argumente-t-il.
La Coalition des forces patriotiques (COFOP) s’est, dans un récent communiqué, dite fondamentalement opposée à toute prorogation du mandat des députés après le 30 juin 2019. Elle engage le président de la République à mettre en place une Assemblée constituante composée des représentants de tous les segments du peuple malien.
« Cette Constituante aura pour rôle d’accompagner le président de la République et son gouvernement dans la gestion harmonieuse et consensuelle de la chose publique aux fins de remettre sur rails le train Mali », énonce le communiqué de la COFOP.