Au-delà du discours, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Tiébilé Dramé, ne devrait-il pas mettre à contribution nos hommes de culture en vue de ramener la paix dans le septentrion malien ?
Les récits de la mission Hourst (1896) ainsi que ceux du Dr. Richer (1924) nous permettent de retrouver les références historiques d’une forte proximité sociale, d’une mémoire collective partagée par l’ensemble des populations du Nord du Mali voire d’une identité commune.
Il y avait un temps, pas si éloigné que cela, où les Touaregs, les Songhaïs, les Armas, les Peuls, les Arabes,…partageaient un espace commun de vie et semblaient être, au regard même de ceux qui les distinguaient à l’aide de catégories antinomiques, liés par d’étroites relations d’interdépendance. C’était là véritablement les premiers signes historiques en phase avec les discours mobilisés en 1994 pour sortir de la spirale de violences, et ceux produits, à posteriori, pour appuyer et justifier la réconciliation. Il s’agissait dès lors de faire la lumière sur un temps et des pratiques relationnelles qui constituaient, semble-t-il, le socle d’une histoire commune. En effet, les deux rencontres organisées à Bourem qui ont permis d’enclencher une dynamique de paix renvoient à l’existence de réseaux d’alliances tissés de longue date. Les Idnans et les Shamanamas qui ont œuvré du côté touareg pour renouer le contact avec les autorités villageoises de la zone de Bourem, et ouvrir des pourparlers avec les responsables de la milice d’autodéfense Ganda Koy, ont mobilisé le souvenir des échanges et de la reconnaissance réciproque qui prévalait au 19ème siècle, et qui, bon gré mal gré, se sont maintenus jusqu’aux grandes sécheresses des années 1973 et 1984.
On voit à travers cet exemple précis l’importance de recourir à la longue histoire si l’on veut décrypter les logiques à l’œuvre qui ont contribué, en 1994, au rapprochement de populations entraînées dans un cycle de violences. Cependant, la prise en compte de la longue durée ne saurait suffire. Il convient également de privilégier un regard anthropologique afin de retrouver derrière les catégories de l’altérité imposées de l’extérieur, telles que « nomades » et « sédentaires », des relations historiques et des formes d’énonciation vernaculaires qui échappent à cette vision binaire et cloisonnée.
Les catégories de langage « nomades » et « sédentaires », qui n’ont pas d’équivalents dans les langues songhaï et tamasheq, ont été utilisées par l’administration coloniale pour répertorier et recenser les populations. Une ligne de démarcation, pour ne pas dire une « frontière », s’est ainsi instaurée entre, d’un côté, les sédentaires, regroupés en « villages » et en « cantons » ; et, de l’autre, les nomades, regroupés en « factions » et en « tribus ». Ces catégories ont servi également à assigner un espace de référence aux uns et aux autres : la (riche) vallée du fleuve Niger aux sédentaires, la « brousse » ou les « zones pastorales » aux nomades. Les découpages administratifs élaborés au temps colonial, et toutes les évolutions qui ont pu avoir lieu à ce moment-là, et par la suite après l’indépendance (septembre 1960) ont suivi cette forme d’assignation. Ainsi, par exemple, les limites des anciens arrondissements du cercle de Gao, qui ont servi de base à la création des nouvelles communes rurales épousent cette conception. Ces catégories sociales imposées par le colonisateur français se sont progressivement immiscées dans les représentations des populations locales, à des degrés divers selon les individus, et, tout au long du 20ème siècle, ont été mobilisées au service de l’action.
Les nouveaux éléments de langage apparus dans la presse occidentale après l’intervention de l’armée française en 2012 tels que “Nord”, “Centre”, “conflit communautaire”, “Sud”,…doivent être également bien circonscrits afin qu’ils ne soient pas source de confusion ou de division. Par exemple, la région de Kayes ne se trouverait-elle pas à l’Ouest et non au Sud ? Est-ce dans l’intérêt des Maliens que nous nous acheminons vers un nouveau redécoupage territoriale et administratif ?
La diplomatie malienne devra énormément s’appuyer sur le “soft power” à travers l’art, la musique, le cinéma, les communicateurs traditionnels locaux,… pour venir à bout de l’irrédentisme des Touaregs Ifoghas. En effet, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale ne devrait pas se limiter seulement à répondre à des gens comme le Général Pinatel ; il devra dans les prochains jours initier un vaste programme de sensibilisation en vue d’expliquer à la communauté nationale et internationale que les Maliens sont unis par le même cordon ombilical d’Est en Ouest, du Sud au Nord. Malgré leurs différences, les leaders communautaires du Mali ont toujours su développer des mécanismes sociaux afin de pouvoir vivre ensemble sur un même territoire donné.
Amadou Hampâté Bâ ne disait-il pas que la beauté d’un tapis provient de la diversité de ses couleurs ?