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Que sont ils devenus… Fatim Sidibé : Une journaliste chevronnée, anticonformiste et passionnée par sa culture
Publié le samedi 8 juin 2019  |  Aujourd`hui
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Au début de sa carrière à la Radiodiffusion télévision du Mali (RTM, devenue après ORTM), Fatim Sidibé refusait de dire Tombouctou, mais Tomboutou, Sinzani au lieu de Sansanding, Selinkégny au lieu de Sélingué, Direye au lieu de Diré, etc. Très tôt, elle affichait son caractère rebelle et anticonformiste. “Suis-je autorisée à dire Franci pour la France ? Alors pourquoi devrions-nous accepter, voir notre culture, histoire, notre identité bafouées, méprisées sans réagir. Je suis désolée, ma ville natale s’appelle Tomboutou et non Tombouctou”, soutient-elle. Avec ses idées frappées au coin du bon sens et le professionnalisme avec lequel elle voulait exercer le métier de journaliste au Mali, Fatim Sidibé donnera très vite des sueurs froides à sa hiérarchie, toujours aux aguets pour qu’elle ne dise pas le mot de trop qui causerait la perte de tout le monde. C’est cette journaliste passionnée par son métier qui a accepté de nous recevoir dans le cadre de la rubrique “Que sont-ils devenus ?”.

La carrière de Fatim Sidibé commence exactement avec l’avènement de la télévision au Mali. Le 22 septembre 1983, jeune stagiaire, elle eut l’honneur de présenter en direct, avec Thierno Ahmed Thiam le lancement de la Radio-Télévision du Mali offerte par la Libye. Fascinés par le nouveau médium, les Bamakois découvrent en même temps une jeune fille splendide, au nom atypique de Fatim.

On connaissait des Fatoumata, Fanta, Fatou, Faty, mais pas Fatim. Elle est la première à avoir décliné son prénom Fatimata en Fatim, le diminutif. Par la suite, grâce à l’aura qu’elle a eue à la télévision nationale, il y aura beaucoup de Fatim au Mali. Elle-même assure avoir aujourd’hui huit homonymes.



Parallèlement à la présentation du journal et ses reportages bien emmanchés, Fatim Sidibé s’est illustrée par deux grands documentaires qui marqueront à jamais l’histoire de la télévision au Mali. Il s’agit de “L’Armée ou le plaisir d’être utile” et de “J’entends siffler le bateau”. Parler de l’armée en 1985, alors qu’elle était à son apogée dans l’exercice du pouvoir au Mali, était presque suicidaire. C’est pourtant ce qu’a choisi de faire cette journaliste audacieuse, qui semble n’avoir peur de rien.

Quand elle a proposé le sujet à son rédacteur en chef, pour la Fête de l’Armée en janvier 1985, celui-ci lui a répondu ceci : “La Grande Muette ? Elle ne parlera jamais”. “Laisse-moi essayer”, répliquera Fatim. A leur grande surprise de tous, non seulement l’armée a accepté la réalisation du document, mais a collaboré en facilitant l’accès des casernes à la jeune journaliste, avec ordre à tous les militaires qu’elle solliciterait de répondre à ses questions.



En vérité, c’est un fait culturel qui a donné naissance à ce qui deviendra un grand documentaire de la RTM. Il se trouve que le chef des armées maliennes était à l’époque le colonel Abdoulaye Ouologuem, chef du cabinet militaire. Abdoulaye Ouologuem, qui est un Dogon bon teint pouvait-il refuser quelque chose à une Sonrhaï-Peule ? Non assurément ! Grâce à leurs liens de sang culturel, Abdoulaye Ouologuem ira jusqu’à signer une décision qui autorise la jeune journaliste à porter la tenue militaire pendant son reportage.

A ce jour elle est la seule personne civile jamais autorisée à cela, de façon officielle. Fatim Sidibé assure que le titre du documentaire “L’Armée ou le plaisir d’être utile” lui a été inspiré par la chanson de la troupe théâtrale de Kayes, qu’on entend d’ailleurs dans le film, et qui dit entre autres : “Beaucoup d’armées dans le monde s’entretuent, l’Armée malienne elle, est devenue maçon et construit la patrie”.

C’est une autre chanson célèbre tirée du répertoire français, qui suggèrera à Fatim Sidibé le titre de son deuxième documentaire : “J’entends siffler le bateau”, une parodie de “J’entends siffler le train” de Richard Anthony. Ayant écrit le texte, Fatim ira trouver son professeur de français de la 7e année à l’Ecole fondamentale de Diré, Idrissa Soumaoro, pour la mise en musique. A travers ce documentaire, Fatim rappelle l’histoire passionnante du Mali. “L’histoire du bateau est simple. En tant que native de la Boucle du Niger, le fleuve et le bateau font partie de ma vie. J’ai alors remarqué que chaque escale du bateau, de Koulikoro à Gao, est un haut lieu de la glorieuse histoire médiévale du Mali. A Koulikoro disparaissait dans les collines qui entourent la ville, le roi du Sosso Soumangourou Kanté et ce sera l’avènement de l’Empire de Soundiata Kéita. A Ségou naissait le plus prestigieux des Etats créés par les Bambaras, le Royaume bamanan de Mamary Biton Coulibaly. De Ké-Macina, à Diafarabé et Mopti, nous sommes dans l’Empire théocratique d’Amadou Hamma Bouba dit Sékou Amadou. A l’escale de Kabara-Tomboutou, nous avons fait un épisode sur cette ville et sa jumelle Djenné qui à elles seules ont fait le prestige et la renommée de tous les empires et royaumes qui se sont développés sur les rives du fleuve Niger. A Gao, nous avions retracé la gloire histoire de l’empire des Maïga, l’Empire songhoï de Gao, fondé par Soni Aliber Maïga. Voilà donc au cours d’une simple traversée, de Koulikoro à Gao, j’ai voulu rappeler aux Maliens leur Histoire, leur origine, leur identité qu’ils doivent connaitre pour en être fiers. Car nos ancêtres ont été parmi les meilleurs bâtisseurs de l’Histoire”.



Deux faits marquants



Fatim Sidibé a réalisé un deuxième documentaire sur le fleuve Niger “Croisière sur le Niger” où elle met l’accent non pas sur l’histoire, mais sur le présent, valorisant la Comanav et l’ambiance du bateau dans les escales. Quand on demande à Fatim Sidibé, ce qu’elle n’aime pas, elle répond sans hésiter l’injustice, parce qu’elle en a été victime toute sa vie. Mais deux faits l’ont particulièrement marquée.

La première fois, c’était au lycée de Jeunes filles de Bamako, un jour de rentrée à l’internat. Parce qu’elle a osé dire à une maîtresse surveillante qu’elle ne parlait pas bambara, elle a été violemment prise à partie par cette dernière qui l’a fait sortir du rang où les jeunes filles attendaient sous le soleil leurs trousseaux. Ce jour-là, elle fut la dernière des 700 internes à être servie au motif qu’elle ne parlait pas bambara. Elle dit avoir vécu cet incident comme un traumatisme qui l’empêchera longtemps d’apprendre le bambara.



Le deuxième incident s’est passé moins d’un mois après, toujours au lycée de Jeunes filles. Elle raconte : “J’étais en 10e A 5. Nous les nouvelles avions trouvé que les anciennes avaient un petit nom pour chaque professeur. L’un d’eux s’appelait «Chakara» du nom de l’album du musicien nigérian…

Notre professeur de math avait son petit nom en bambara, et je n’avais aucune idée du sens. Or, c’était une insulte. Un jour il m’a entendu dire le nom. Il m’a demandé de sortir de la classe et a déposé plainte contre moi à la direction. Un conseil de discipline fut convoqué auquel j’étais invitée en personne. A genou, en larmes et demandant pardon, j’ai expliqué en vain au corps professoral que je ne suis pas de Bamako, que j’ai fait le DEF à Diré, que je suis arrivée à la fin du mois de septembre, que je ne parle pas un mot de bambara, que j’ai compris le sens du petit nom après l’incident, quand les filles redoublantes me l’ont expliqué… Mais rien à faire. Le conseil de discipline a décidé de me renvoyer purement et simplement du cours de math, coefficient 5 (tronc commun) pour le reste de l’année. Et nous étions au mois de novembre. C’était cruel, disproportionné, inhumain et franchement irresponsable de la part d’éducateurs dont la mission était de former pour l’avenir, les enfants du Mali. Par la grâce d’Allah j’ai passé en 11e année avec la moyenne, en dépit des zéros interminables du professeur de math. Ces deux incidents m’ont appris une chose : si je suis venue pour vivre à Bamako, il me fallait rapidement apprendre à parler le bambara”.



Papa Oumar Sylla, l’idole

A la question de savoir comment est venue sa vocation de journaliste, Fatim Sidibé répond : “Quand j’étais au second cycle à Diré, j’ai pris l’habitude d’écouter le dimanche l’émission des disques demandés de Papa Oumar Sylla, ‘L’Explosif’. Papa Oumar Sylla était tout ce qu’un animateur devait être : cultivé, brillant, intelligent avec une bonne dose d’humour. Chaque dimanche, on pouvait entendre sur Radio-Mali : “Mlle Fatoumata Sidibé dite Fatim à l’Ecole fondamentale de Diré est priée de se mettre en piste pour danser Kaful Mayaye de Rochereau. C’est de la part de sa jumelle Bintou Maïga à Lafiabougou, Bamako”. Mon amie Bintou qui est venue s’établir à Bamako chez sa grande sœur Mme Dramé Koumba Maïga, savait que j’aimais les morceaux zaïrois Kaful Mayaye, Zalé, Pichouma, etc. Et donc me les demandait chaque dimanche. A force d’écouter Papa Oumar Sylla, j’ai eu envie de faire comme lui, parler à la radio. A l’époque, je n’avais jamais entendu le mot journaliste. On disait seulement “parler à la radio”. Un jour j’ai écrit à Papa Oumar Sylla pour lui demander ce que je devrais faire pour parler à la radio comme lui. En bon père, il m’a répondu que la première chose à faire, c’était de passer le DEF, puis le bac. J’avais compris que c’était deux conditions sine qua non pour parler à la radio. Alors je me suis mise à préparer le DEF que j’ai obtenu, Dieu merci. Orientée au lycée de Jeunes Filles à Bamako, j’ai rapidement demandé à un cousin de me conduire à Radio-Mali. Là, j’ai rencontré Papa Oumar Sylla, mais aussi un certain Lamine Coulibaly, Karfala Kouyaté, Boubacar Diallo qui animait une émission de justice «La société et nous», Tiémoko Macalou qui animait «Magazine-Jeunesse-Variétés MJV», Oumar Cissé, le directeur général et d’autres encore. J’étais comme Alice au Pays des Merveilles. Le studio, les micros, les casques, les va-et-vient des animateurs qui rentraient et sortaient de studio. Tout était merveilleux pour moi. J’ai compris que c’était ce travail que je voulais faire, et ici à Radio-Mali et nulle part ailleurs.

Pendant toutes mes années de lycée, je venais régulièrement à Radio-Mali où le Directeur Général Omar Cissé dit OC me donnait des pages entières de L’Essor à lire, en me disant sur quel mot mettre l’accent, à quel endroit il faut respirer, etc. Parallèlement, la direction du lycée de Jeunes filles a créé un journal appelé Tabalé, et naturellement je suis devenue une des rédactrices du journal. C’était sous la houlette de notre professeur de philosophie Ignace Diarra, qui jouait le rôle de rédacteur en chef. Vint le mois de mars ou avril 1979 avec l’organisation par le ministère de l’Information du concours d’entrée à l’école de journalisme, le Cesti Je me suis présentée, et j’ai été admise”.



En 2004, l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop a écrit un article sur Fatim Sidibé qu’il a intitulé : “La femme qui voulait devenir Homme de radio”. Ce titre à lui seul résume Fatim Sidibé et la passion qu’elle a du journalisme. Munie du diplôme supérieur de journalisme du Cesti, Fatim Sidibé rentre au pays où on la découvre pour la première fois l’après-midi du 22 septembre 1983, au lancement de la Télévision malienne, comme nous l’avons écrit plus haut.



Ses plus beaux

souvenirs



Quand on lui dit “il parait que vous avez été beaucoup brimée à l’ORTM…”. Elle répond presque fâchée : “Mais c’est faux. J’ai été suspendue d’antenne pour un oui ou pour un non, mais ce sont les galons du bon journaliste, les suspensions, punitions, etc. J’ai passé à l’ORTM les plus beaux jours de ma vie, entre la découverte du monde des adultes, les exigences du pouvoir politique, la lâcheté de beaucoup et la violence sur soi pour résister et ne pas avoir peur. Et il y avait une grande amitié entre nous. Avec mes aînés Daouda Ndiaye, Djibril Mbodge, Lamine Coulibaly, Baba Daga, Tiona Mathieu Koné, Baba Diourté, Oumar Touré et Tosso Diarra, plus Badji Touré, qui est de la même génération que moi, j’ai tissé des relations fraternelles qui continuent d’émerveiller ma vie. On riait et se moquait de tout : les mises en garde de la direction, les punitions… C’était leur problème pas le nôtre”.

En 1992, à la faveur des premières élections pluralistes issues des événements de mars 1991, on se rappelle encore l’interview musclée que Fatim Sidibé a eue avec Me Demba Diallo, arrivé dernier “Maribatrou même a fait mieux que vous. Alors êtes-vous un homme fini ?” D’aucuns prétendent que Demba Diallo est mort ce jour-là, et Fatim Sidibé l’a tué.

Peu de temps après cette interview mémorable, Fatim Sidibé décroche une bourse d’études pour faire un 3e cycle aux USA. De retour au pays, elle reprend à l’ORTM le temps de “gagner” une nième suspension de toute activité à l’ORTM, jusqu’à nouvel ordre. C’était sous la direction d’Abdoulaye Sidibé, et cette sanction n’est toujours pas levée, selon Fatim.

Entre-temps Fatim Sidibé est nommée directrice générale de l’Agence nationale de communication pour le développement (ANCD, ex-Cespa) que dirigeait d’ailleurs son aîné, ancien professeur d’histoire (au lycée de jeunes de filles), et ancien collègue, Seydina Oumar Dicko, aujourd’hui à la retraite.

Fatim Sidibé est mariée à son cousin maternel Ousmane Amion Guindo, ancien ministre, ancien directeur général de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT). Elle parle le français, l’anglais, le sonrhaï, sa langue maternelle, et un bambara châtié. Immergée dans la pratique de la religion musulmane, elle porte le voile et s’adonne à la lecture du Saint Coran et à la découverte des Merveilles de l’islam.

En nous accompagnant au bas de l’escalier, Fatim nous fit une confidence par rapport à la rubrique “Que sont-ils devenus ?” Elle envisage d’animer à la télé une émission similaire. Pour le premier numéro, elle a promis de nous inviter sur le plateau pour témoigner et parler de tous les paramètres qui entourent la rubrique. En attendant ce jour, nous lui gratifions de toute notre reconnaissance.

O. Roger Sissoko

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