Dialoguer oui ou non avec les djihadistes ? La question est désormais posée à Bamako, mais elle ouvre aussi la voie à une polémique. Mais, dans un rapport publié, le 28 mai 2019, le think tank International Crisis Group (ICG), avait recommandé d’entamer des négociations avec des djihadistes. Alors la stabilisation du Mali passe-t-elle forcement par des négociations avec Iyad Ag Ghaly ?
En effet, c’est une vieille polémique qui refait surface avec un rapport. Celui publié le mois dernier par l’International Crisis Group. Le groupe d’analyse recommande d’établir un dialogue avec les djihadistes pour mettre fin aux violences dans le centre du pays. Ainsi, depuis quatre ans, l’État peine à défaire par la force les combattants islamistes, qui ont multiplié les attaques. S’y greffent des violences entre communautés, causant de nombreuses victimes parmi les populations civiles. Pour sortir de ce qu’il qualifie d’«impasse», le groupe de réflexion recommande donc comme piste possible au gouvernement d’engager un dialogue avec les djihadistes maliens. Certains défendent la même démarche, précise-t-il. Sont ainsi concernés par cette demande de dialogue : le prédicateur peul Amadou Koufa, dont le groupe opère dans le centre du Mali et Iyad Ag Ghaly.
L’ICG préconise cette démarche parallèlement aux efforts militaires pour imposer la paix. Une telle idée avait été proposée il y a deux ans lors d’une conférence nationale mais elle a été rejetée par le gouvernement.
Les actions menées sur le plan politique jusqu’à présent «s’enlisent et il reste peu de bonnes options. Le gouvernement malien devrait envisager d’échanger avec les islamistes et leurs partisans, que ce soit en établissant des lignes de communication avec les dirigeants de la Katiba Macina ou en lançant un large dialogue avec les couches sociales les plus favorables à leur cause», avance ICG dans ce rapport de 42 pages.
Conscient qu’une telle démarche se heurte à de nombreuses difficultés, le think tank admet qu’elle risque d’être confrontée à une résistance au sein des communautés durement affectées par les attaques des djihadistes maliens et ceux venus de l’étranger, mais également «au fait qu’Amadou Koufa lui-même a, jusque-là, rejeté le dialogue».
Réagissant aux recommandations d’ICG, le gouvernement a indiqué que des passerelles pour dialoguer étaient déjà établies au niveau local. Il est d’ailleurs en train d’étudier la meilleure méthode pour formaliser cet échange et d’identifier «ce qui est négociable» et ce qui ne l’est pas, a affirmé Boubacar Alpha Bah, le ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, à Radio France Internationale (RFI).
«On a des expériences dans la région du Centre: à Djenné, à Mopti, à Dialloubé, où les représentants de nos chefferies locales ont pris langue avec certains membres de ce groupe-là [Katiba Macina, ndlr]. Donc, le dialogue existe. Maintenant, comment le formaliser? Quelle pédagogie —j’insiste sur le mot pédagogie- il faut pour qu’il y ait un dialogue véritable entre eux et nous, au plus haut niveau de l’administration? Nous y travaillons, nous n’avons pas encore trouvé la bonne formule pour se parler et trouver des points sur lesquels on peut discuter», a déclaré le ministre Bah.
Désarmer par la force…
Comme le prévoyait ICG, cette perspective a suscité des réserves. Séga Diarrah, un politologue malien interviewé par Sputnik, (journal Russe) pense que ce serait «une perte de temps» de dialoguer avec Amadou Koufa ou avec Iyag Ag Ghaly, qui dirige une alliance affiliée à Al-Qaïda. Cette alliance est née de la fusion, annoncée en mars 2017, de plusieurs groupes armés dont ceux d’Iyad Ag Ghaly, d’Amadou Koufa et de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, rallié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI Ils avaient déjà, séparément, revendiqué plusieurs attentats sanglants, au Mali et en Algérie notamment.
«Ces terroristes-là n’ont aucun intérêt à négocier, parce qu’ils sont dans une logique» de ne pas dialoguer, et «dire qu’on va négocier avec les groupes radicaux serait une perte de temps. (…) Le véritable problème d’Amadou Koufa, c’est qu’il ne veut pas que le Mali se fasse, il ne veut pas de l’unité du Mali. Je ne vois pas comment on pourrait négocier et qu’est-ce qu’on pourrait négocier avec cette personne-là», a déclaré Séga Diarrah, également journaliste et président du mouvement malien Bi-Ton qu’il présente comme engagé «pour la démocratie, la lutte contre la pauvreté et l’emploi des jeunes».
Pour Alou Campo, chef de la mission de réconciliation entre Dogons et Peuls, la recommandation du groupe ICG est marquée par des insuffisances. “Le Mali a opté pour la laïcité et je crois que le dialogue avec ceux qui veulent imposer la charia n’est pas compatible“, estime-t-il. “Il faut que l’Etat s’impose, il faut désarmer ces groupes armés“, insiste-t-il.
Mamadou Diouara, un sociologue et chercheur malien, a également exprimé des réserves sur la recommandation d’ICG, dans un entretien à Studio Tamani, Pour lui, un dialogue pourrait être envisageable sous plusieurs conditions à déterminer, «un cahier de charges très clair» pour les discussions.
Il faudrait notamment «qu’on sache quelles sont les limites à ne pas franchir. (…) Sur quoi peut-on dialoguer? Que peut-on accepter? Quelles lignes ne pouvons-nous pas franchir? Tant que cela ne sera pas clair, ce serait hasardeux et dangereux d’engager le dialogue» avec les djihadistes, a affirmé Mamadou Diouara à Studio Tamani.
Mais au contraire, cette idée de dialogue est la bonne et la seule valable, réagissent d’autres. “Ce n’est pas avec les militaires qu’on peut ramener la paix sur le long terme“, estime Ousmane Sy, ancien ministre de la décentralisation et directeur du Centre d’études et de réflexion au Mali (CERM).
“L’islam est présent dans cette zone depuis des siècles, alors face aux évolutions actuelles, il faut faire discuter les adeptes d’un islam rigoriste avec les modérés, les autorités locales et nationales“, conseille Ousmane Sy.
En 2017, le chef de l’Etat s’était montré ouvert à l’idée d’un dialogue, avant de changer de position après la visite de ministres français en allemand. En effet, le premier ministre de l’époque, Abdoulaye Idrissa Maïga avait initié ce type de discussions avec certains djihadistes tant dans le Nord qu’au Centre du pays à travers ce qu’il avait appelé les « missions de bons offices » dirigées par l’Imam Mahmoud Dicko. Et ces missions ont été ensuite désavouées par le chef de l’Etat. Ce qui a, du reste, été l’un des éléments de discorde entre IBK et l’ex-président du Haut Conseil Islamique et l’ex-Premier ministre.
Dans leur rapport, les analystes d’ICG reconnaissent que l’initiative de dialogue qu’ils recommandent n’entraînera pas «une cessation immédiate des hostilités» et pourrait même prendre du temps à porter ses fruits. Cependant, jugent-ils, il serait louable de «lui donner une chance pour réduire les effusions de sang dans le Centre du Mali», actuellement la région la plus affectée par les violences perpétrées dans le pays, qui ont fait des milliers de morts au cours des quatre dernières années.