Quelques mois après les massacres des civils du centre du pays, la Minusma a publié son rapport d’enquête sur la situation. C’est un document de 20 pages qui fait l’état des lieux sur les violences intercommunautaires et les présumés auteurs.
C’est un rapport d’une vingtaine de pages qui est beaucoup plus détaillé. Et je ne pourrais pas effectivement donner plus de détails. D’abord, au niveau du déroulement des faits, le 1er janvier, à la fin de la prière du matin, soit aux environs de 5h30- 5h50, au moins une centaine d’individus armés identifiés par des témoins oculaires comme étant des chasseurs traditionnels (dozos), accompagnés d’individus en tenue civile qui ont été reconnus comme venant des villages avoisinants. C’est ce groupe qui a conduit cette attaque meurtrière dans le village de Koulongo-Peul.
L’attaque s’est distinguée par son caractère planifié, organisé et coordonné. Elle a été exécutée – et ça c’est le résultat de nos expertises balistiques – avec des armes diverses, dont des fusils de chasse traditionnels, des armes à feu automatiques, des machettes et des couteaux. « Il faut dire que ces assaillants étaient arrivés au village à pied, et ils ont d’abord commencé à encercler le village Koulongo-Peul, puis ils se sont dispersés en deux groupes pour conduire l’attaque. Dans leur avancée, ils ont systématiquement ouvert le feu sur les hommes appartenant à la communauté peule. Les exécutant chez eux, certains à l’intérieur des cases où ils s’étaient réfugiés alors qu’ils fuyaient. Selon le témoignage des femmes du village, la majorité d’entre elles a été épargnée, donc il n’y a pas eu vraiment d’attaque ciblant les femmes. Certains villageois, notamment un groupe d’hommes qui sortaient de la mosquée ont pu s’enfuir du village vers la brousse…», explique la Minusma.
En termes de violations des droits de l’homme, il faut dire que le groupe d’assaillants a fait sortir les femmes se trouvant dans la case de la 3ème épouse du chef du village. Ensuite, ils ont tiré sur huit personnes qui se sont réfugiés dans la case du chef de village et l’ont incendié. L’enquête bien sûr n’a pas pu déterminer si les victimes ont été tuées par balle puis brûlées ou si elles sont décédées à cause de l’incendie. « Les assaillants ont aussi visé les habitations, ils ont incendié 173 cases et 59 greniers des 61 greniers du village - soit près de 80% des bâtiments du village. Ensuite, ils auraient volé du bétail et quelques biens appartenant à la population ».
Au cours de cette attaque aussi, l’analyse que nous avons faite, c’est que ces actes qui sont commis contre les populations civiles du village de Koulongo qui sont en majorité peule, constitue des atteintes sérieuses au droit international des droits de l’homme, à savoir des meurtres qui ont été effectivement commis, des mutilations et autres.
« Je tiens ici à donner quelques illustrations en ce qui concerne le meurtre, puisqu’on a dit que les personnes avaient tiré à bout portant, et certaines cases incendiées. On voit vraiment que ces faits constituent des meurtres. Aussi, l’enquête a permis d’établir qu’au moins 3 personnes, 3 victimes peules tués lors de l’attaque ont été mutilées: deux ont eu les mains coupées et un autre les mains et les parties génitales tranchées. Donc, les villageois ont imputé ces mutilations aux dozos, comme faisant partie de leurs pratiques rituelles… »
De plus, au moins 9 personnes appartenant à la même communauté ont été blessées durant l’attaque et notamment un garçon de moins de 10 ans qui a été blessé, intentionnellement par un assaillant.
En ce qui concerne les auteurs, sur la base des informations que nous avons collectées et corroborées par des sources, les auteurs des abus décrits dans ce rapport ont été identifiés en majorité comme des chasseurs traditionnels (dozos). Ils étaient reconnus par leurs tenues traditionnelles de chasseurs.
Par ailleurs, le fait que des mutilations aient été pratiquées sur les corps de trois victimes ; et que les membres mutilés aient été emportés par des assaillants peut être rattaché aux pratiques rituelles de certains chasseurs traditionnels. Les dozos étaient accompagnés par des individus en tenues civiles, dont plusieurs ont été reconnus, donc venant de villages avoisinants.
Mais nous donnons juste des indications qui permettent de donner des pistes. L’enquête a aussi conclu que les assaillants s’exprimaient en dogon et en bambara et à quelques reprises en peul. Ce qui exclue l’hypothèse selon laquelle il y avait des chasseurs traditionnels qui parlaient en langue anglaise et autres. Il s’agit là en fait de chasseurs traditionnels, qui venaient dans le village.
Les assaillants étaient armés de fusils automatiques, de type AK47, de fusils de chasse ... Les analyses de la police scientifique et technique de la Minusma démontrent que 48 sur 71 douilles collectées et analysées proviennent d’armes automatiques, et 23 étuis de cartouches de calibre 12, utilisées pour les fusils de chasse traditionnels. Et c’est ce type d’arme que nous avons effectivement constaté dans nos enquêtes antérieures dans d’autres incidents similaires qui se sont passés dans la région.
Le Gouvernement a fait état de l’ouverture d’une enquête judiciaire près du tribunal de grande instance de Mopti et a déclaré avoir arrêté 12 suspects dont quatre seraient encore en détention et huit sous contrôle judiciaire à ce jour. Les chefs d’accusation comprennent, par rapport à ce que nous avons décrit comme violation des droits de l’homme, l’assassinat, l’association de malfaiteurs, coups et blessures volontaires, incendies volontaire, détention illégale d’arme et munitions et complicité...
Alors que notre enquête donne des informations probantes sur les violations des traités internationaux ratifiés par le Mali, il revient maintenant à l’enquête judiciaire de clarifier certains aspects que nous n’avons pas pu élucider par notre enquête, tels que l’implication des autorités locales, le degré de la planification de l’attaque ou la provenance des armes utilisées. Enfin bien sûr, identifier de façon non équivoque et punir les responsables de ces graves abus des droits de l’homme. Entre l’incident de Koulongo et le 31 mai 2019, la Division des droits de l’homme a documenté pas moins de 92 incidents. Donc, 92 incidents sur fond de tensions communautaires dans l’ensemble des régions de Mopti et Ségou dont 82 sont attribuables à des membres de groupes armés d’auto-défense. Ces incidents ont conduit à la mort d’au moins 250 civils, dont plusieurs dizaines de femmes, d’enfants, et à des déplacements répétés de populations.
La présence et les actions de groupes armés d’auto-défense communautaire, dont certains n’hésitent pas à s’arroger des pouvoirs régaliens de police et de justice, continuent à déstabiliser les régions du centre du Mali. Le recours de plus en plus de ces groupes à des armes de guerre, comme nos enquêtes de Koulongo-Peul ou d’Ogossagou l’ont démontré, reste une véritable préoccupation. Donc à cet égard, la Minusma encourage bien sûr les efforts entrepris par le Gouvernement malien pour endiguer ce phénomène, notamment pour assurer le désarmement total des milices.
Le deuxième développement important pour nous, c’est la situation de Heremakono. Vous avez certainement entendu que dans la nuit du 13 mai dernier, le village de Heremakono avait fait l’objet d’une attaque meurtrière. A la suite de cet incident, La Minusma a déployé immédiatement une équipe spéciale d’enquête composée de chargés des droits de l’homme, de la police technique et scientifique des Nations Unies et des collègues de l’information publique du 17 au 19 mai, pour justement établir les faits. Je me permets de partager avec vous les conclusions préliminaires qui sont les suivantes :Le samedi 13 mai 2019, entre 7h45 et 8h00 du matin, un groupe composé d’environ 80 hommes, identifiés comme des chasseurs traditionnels (dozos) de la communauté bambara, arrivés à bord des motos et armés de fusils de chasse et fusils automatiques, a mené une attaque planifiée, organisée et coordonnée sur ce village d’Heremakono. 13 personnes, dont le chef du village et sa femme, ont été tuées au cours ou des suites de l’attaque, et huit autres personnes ont été blessées dont 3 femmes et un enfant. Les assaillants, toujours dans le même modus operandi, ont incendié volontairement 7 habitations et pillé des biens appartenant aux victimes.
Les autorités locales et les forces de défense et de sécurité maliennes ont montré une réactivité positive en faveur des victimes, en déployant notamment une équipe d’intervention dès l’alerte. Même si les assaillants sont parvenus à s’enfuir avant leur arrivée, cette intervention a permis néanmoins de secourir les blessés à l’aide de 3 ambulances qui ont été mis à leur disposition et certains ont été évacués auprès du centre médical de Niono ainsi que de Ségou. Mais il faut noter néanmoins qu’aucune arrestation n’a été effectuée à ce jour dans le cadre de cet incident.
Bien que les pertes et dommages occasionnés par cette attaque ne soient pas comparables à ceux des attaques de Koulongo-Peul ou d’Ogossagou, il convient de noter des similitudes dans le mode opératoire des assaillants, c’est-à-dire le ciblage spécifique de membres de la communauté et plus particulièrement des autorités traditionnelles, dans le cas d’espèce, le chef du village.
Les types d’abus des droits de l’homme documentés sont similaires, avec des meurtres, des blessures, des destructions par incendie et autres pillages.
Finalement, permettez-moi de restituer et de situer cet incident dans son contexte. En effet, comme de nombreuses attaques que vous connaissez, je pense que les journalistes publient régulièrement des articles sur ces incidents du Centre. Cet incident n’est pas isolé, mais il s’inscrit bien sûr dans une dynamique d’accentuation de tensions entre communautés dans les cercles de Macina, Niono, Djenné et Ténenkou. Ces tensions sont aussi particulièrement attisées par des actions d’éléments affiliés à la mouvance extrémiste « Groupe de soutien à l’islam et au musulman », plus connu sous le nom de Jnim, et des membres de confréries de chasseurs traditionnels.
Zan Diarra