Ce samedi 22 juin 2019, a lieu la troisième édition de la Journée nationale des blessés de l’armée de Terre. Le capitaine Erwann, des écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan, dans le Morbihan, est l’un d’eux. Il raconte.
Le capitaine Erwann est chef de section à l’école militaire interarmes (EMIA) de Saint-Cyr Coëtquidan, à Guer, dans le Morbihan. Le militaire de 27 ans, se souviendra toute sa vie du 22 mars 2018 comme du 14 juillet 2018.
Pour la première date, le capitaine est en mission à Kidal, au nord-est du Mali. « Il est 6 h 50. Une pluie d’obus s’abat sur notre camp, huit au total, nous sommes attaqués. Je sors de ma tente afin de me mettre à l’abri dans un véhicule blindé léger », retrace le militaire, d’une voix posée, prenant le temps de détacher chaque mot.
Très vite, il se rappelle que c’est son peloton qui est de garde. « Il faut que je me rende à l’autre bout du camp pour coordonner nos points de défense. »
« Je suis comme un légume porté sur une civière »
Sur le chemin, un obus explose à 20 mètres de lui à peine et le projette très violemment au sol. « Sous l’effet de l’adrénaline, je parviens à me relever, à rejoindre le poste d’entrée, à faire le point avec mes hommes à la radio. Mais la tête me tourne, j’ai besoin de m’asseoir, je m’écroule et perds connaissance… »
Le camp comptera 17 blessés. Le capitaine Erwann est transporté à l’infirmerie. « Lorsque je reprends connaissance, mes membres ne répondent plus, je suis comme un légume porté sur une civière, se remémore-t-il. Deux médecins constatent que je n’ai pas d’éclats d’obus mais pensent que ma moelle épinière a pu être touchée par le souffle » de l’explosion.
Le capitaine est inquiet pour ses hommes, « mais aussi, cela peut paraître futile, par des notations que je n’ai pas eu le temps de remettre »…
Des examens dans un hôpital de campagne à Gao, au Mali, montrent qu’il n’y a rien de cassé. « Des camarades de promotion sont venus me voir, cela me fait chaud au cœur. Je vois de l’inquiétude dans leurs yeux, je me rends compte que mon état peut être définitif. »
« Pas de blessures physiques sans blessures psychiques »
« Je suis rapatrié très rapidement en France, à l’hôpital d’instruction des armées de Percy, seulement 24 heures après l’explosion », poursuit-il. À la sortie de l’avion, quatre camarades de régiment sont présents : « Je suis touché par cette surprise, le mot fraternité prend tout son sens. »
Une batterie d’examens montre qu’il n’y a aucune lésion définitive. Vient le temps de la rééducation, « avec l’aide de personnels médicaux exceptionnels, je dois me relancer, vaincre mes peurs, me mettre debout. Je pense à mon grand-père, mon modèle militaire, plusieurs fois blessé qui s’est toujours relevé. »
Mi-juin, il sort. « J’ai réussi à remarcher. J’ai récupéré 95 % de mes facultés. Je suis en vie. Je suis toujours suivi sur le plan physique et psychologique, car il n’y a pas de blessures physiques sans blessures psychiques. »
Pendant son hospitalisation, il n’y a pas un jour où il n’a pas eu de visites, confie-t-il : « En avril, mon chef de corps est venu me voir. Lui aussi a failli laisser sa vie à Kidal, un mois plus tôt. Son véhicule a sauté sur une bombe artisanale, tuant nos deux frères d’armes qui étaient à l’avant. Mon chef de corps a été gravement blessé. »
« Même meurtri dans la chair et dans l’esprit, on peut se relever »
Mais si son colonel était présent, c’était pour lui faire une requête bien particulière : « Il m’a demandé, si j’étais rétabli, d’être son porte-étendard lors du défilé du 14-Juillet. Très honoré mais marchant peu, je ne voyais pas comment nous allions défiler l’un et l’autre… »
Le capitaine Erwann lors du défilé du 14-Juillet en 2018, où il a été porte-étendard derrière son colonel. (Photo : Communication 1er RS / DR)
Pourtant, « nous avons pu le faire », poursuit le capitaine Erwann. « Lui, malgré sa douleur, a laissé sa canne pour défiler à la tête de son régiment. J’étais fier derrière mon colonel. D’autres blessés étaient dans les rangs. Une belle preuve que même meurtri dans la chair et dans l’esprit on peut se relever. »
Le capitaine Erwann n’a jamais baissé les bras. Malgré ce fait de guerre à Kidal, la question de tout quitter ne se pose même pas, explique-t-il : « Sans l’armée je serais tout simplement malheureux. Cette journée nationale [des blessés de l’armée de Terre] reste importante. Nous honorons nos morts, c’est normal. Cependant, il est important de donner de la visibilité à cet événement, car les blessés militaires on en parle peu ou pas. »