La campagne agricole en cours est sérieusement menacée par la présence sur le marché d’intrants agricoles obsolètes et particulièrement dangereux pour les plantes que pour les êtres vivants. Un lobby est à la manœuvre pour faire valider la marchandise surannée. Pour avoir refusé d’accepter le coup fourré, le PDG de la CMDT est acculé et poussé à la démission. Le Procureur anti-corruption est sur la liste d’une prétendue vaste mutation des Procureurs de la République près les six Communes du district de Bamako, à la faveur d’un probable Conseil supérieur de la magistrature, prévu en principe aujourd’hui mardi.
Le scandale qui flotte encore en l’air est su de certaines hautes autorités ou du moins celles qui sont plus proches du dossier. La scabreuse affaire porte sur l’importation par une dizaine d’opérateurs économiques, qui ont pignon sur rue dans la production et l’importation des intrants agricoles, de dizaines de millions de tonnes de produits périmés. La valeur est estimée à plus de 20 milliards de nos francs. Parmi ces opérateurs économiques dont nous nous gardons de citer pour le moment les noms, certains sont au-dessus de tout soupçon dans ce genre de trafics frauduleux. Pourtant, ils se sont faits des centaines de milliards de F CFA en un laps de temps, dans cette activité avec des investissements colossaux enviés même au-delà de nos frontières.
Ces intrants composés de différentes catégories d’engrais, pesticides, etc. ne sont rien d’autres que des déchets toxiques. Le qualificatif n’est pas trop fort, c’est la vérité limpide. Les normes et réglementations européennes en vigueur étant strictes en matière d’environnement, il est plus loisible pour un producteur européen, de donner même à cadeau ce genre de marchandise encombrante, que de la détruire sur place. Les coûts de destructions reviennent plus chers que la production et le transport combinés. Donc notre pays est un dépotoir à ciel ouvert, à offrir aux plus offrants. Les importateurs en cause ont sauté sur l’aubaine pour s’approprier à vil prix la vilaine marchandise, en vue de réaliser des profits excessifs au péril de la vie des populations, ainsi que des intérêts des paysans maliens.
Le colis suspect une fois atterri au Mali, l’équation qui se posait à eux consistait à réussir à l’homologuer et le faire passer dans le lot des engrais et autres intrants dans les prévisions de la campagne agricole 2019-2020. La stratégie idoine était de faire adhérer des acteurs clé au deal, condition sine qua non de leur paiement par les banques partenaires.
Le premier acteur incontournable saisi a été Bakary Togola, le puissant président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture du Mali (Apcam) et de la fameuse association des “cotonculteurs”. Mais celui-ci a agi au nom d’un groupement d’intérêt économique (GIE) appelé : “GIE-Approvisionnement en intrants et appareils de traitements”. Comme à son habitude, il a mordu à l’hameçon en apposant sa signature de validation sur les documents. La deuxième phase, la plus compliquée cette fois-ci, était d’avoir la caution du PDG de la CDMT, Baba Berthé. Puisque ce dernier est connu pour son inflexibilité sur des principes de gestion transparente, a été contourné de la manière la plus malicieuse. Il a été victime d’un vrai faux, à travers l’imitation de sa signature. Un acte qu’il n’a pas pu découvrir lui-même au regard du forfait monstrueux. Devant le faux document, le PDG grugé, a tout simplement dit qu’“il ne se souvient jamais avoir apposé sa signature à un tel document” tout en passant que c’était sa signature, tellement le montage était grotesque.
Imitation de la signature du PDG de la CMDT
Le PDG de la CMDT qui a failli se faire avoir, a alors bloqué le sulfureux dossier. Ce qui menace dangereusement les intérêts des gros manitous, qui espéraient récolter leurs vingtaines de milliards de F CFA de dividendes au bout de la chaîne. Pour se rassurer de la pertinence du faux dont il a été victime, M. Berthé a convoqué Bakary Togola dans son bureau de la CMDT. De façon intelligente, il lui a tranquillement demandé s’il était au fait de ce montage. Il a reconnu avoir effectivement imité sa signature, en lui expliquant sur la base du cousinage à plaisanterie, que lui “étant Gana (ressortissant du Ganadougou, une zone située dans la région de Sikasso), il est plus intelligent que Baba Berthé, qui n’est qu’un Sénoufou et qui ne sait pas comment s’enrichir et donner la part des décideurs qui ne cherchent pas mieux”.
Depuis plus de trois mois que le scandale “agro-business” a éclaté, Baba Berthé et le Procureur anti-corruption, Mahamadou Bandiougou Diawara sont dans la mire de ces gros bonnets de l’agro-business malien. Ils sont plus que jamais sur un fauteuil éjectable. Le PDG de la CMDT, qui n’a eu aucun soutien de ceux censés le couvrir, en l’occurrence ses supérieurs hiérarchiques du ministère de l’Agriculture, s’est vu esseuler et même pousser à prendre la porte.
Malgré toutes les manœuvres aux relents de corruption et autres pressions inimaginables, les deux hommes n’ont pas voulu céder d’un iota. Cependant, le seul réconfort moral pour M. Berthé et non des moindres, a été l’appui venant du président de la République, Ibrahim Boubacar Kéita, à qui il a eu le réflexe d’aller exposer les faits. Ce dernier lui a donné carte blanche de pousser les enquêtes jusqu’au bout. Mieux, IBK a saisi la tribune du 9e Conseil supérieur pour l’agriculture, tenu à Koulouba le 27 mai 2019, pour taper du poing sur la table.
Pour marquer sa satisfaction sur les 15 millions de tonnes de céréales récoltées la saison dernière, IBK a déclaré, “Ce résultat me réconforte dans mon choix d’allouer 15 % du budget national au secteur de l’agriculture […]. Mais aucunement et jamais pour nourrir une spéculation de quel que ordre que ce soit”. La mise en garde était belle et bien à l’endroit de ce réseau mafieux en intrants agricoles, dont il a eu vent des agissements.
Le Procureur de la République près le tribunal de la Commune III en charge du Pôle économique et financier, a été acculé de toute part avec des offres financières ostentatoires, des tentatives de corruption des membres de sa propre famille, victime de chantages afin de “choisir entre son fauteuil et le dossier en instruction sur sa table”. Aujourd’hui, son sort semble scellé, puisqu’il est appelé à une révocation en douce, sous prétexte d’une “promotion” au poste de Substitut général à la Cour d’appel de Bamako.
Les intrants, pour le moment sont bloqués avec les milliards de F CFA de leurs propriétaires en souffrance. Ce qui attise la panique dans leur rang, en ce sens que si la pilule ne passe pas à partir de la mi-juillet, tout leur espoir sera mis dans l’eau. Mais d’ici là, Baba Berthé de la CMDT et le Procureur Mahamadou Bandiougou Diawara vont garder leur poste pour combien de temps encore ?
Si les présumés auteurs parviennent à leur fin, ce serait le gros scandale de ces 10 dernières années dans le monde agricole. A voir loin, ce genre de trafic n’a pas commencé aujourd’hui. Les commanditaires tapis à l’ombre et qui ne sont pas le plus souvent inquiétés, sont certainement à l’œuvre depuis des dizaines voir trentaine d’années.
On se souvient de cette autre affaire d’engrais et pesticides frelatés, importés et vendus à nos paysans sous l’ex-président ATT. Les pesticides qui devaient servir à lutter contre les criquets pèlerins s’étaient révélés inefficaces. Le ministre de l’Agriculture, qui était en fonction à cette époque, du nom de Seydou Samaké, avait pris le sobriquet moqueur de “Seydou criquet”. Les présumés auteurs dont certains se retrouvent encore dans le même dossier scabreux aujourd’hui, n’ont même pas été inquiétés.