Coumba* a quitté le Mali à 16 ans. Après avoir été séquestrée par un membre de sa famille en France, elle retrouve les rangs de l'école et devient prodige de la coiffure. Elle gagne la médaille d'or du concours régional de meilleures apprenties de France. Mais aujourd'hui elle est menacée d'expulsion. Elle raconte son histoire à InfoMigrants.
"Je m’appelle Coumba, j’ai 21 ans. Je suis arrivée en France à l’âge de 16 ans.
Je vivais à Bamako avec ma famille et à la mort de mon père on a eu de graves difficultés financières, ça se passait mal entre ma mère et les co-épouses. Un jour un cousin que je ne connaissais pas est venu proposer à ma mère de m’offrir un avenir meilleur parce qu’il me trouvait courageuse. Il m’a proposé de m’emmener en France. Je n’ai pas hésité un instant. Il fallait que j’aide ma mère.
La France, je ne la connaissais qu’à travers la télévision, les séries comme 'Plus belle la vie', ou le film 'Fatou la malienne'. Je n’avais jamais voyagé de ma vie. Je ne sais pas comment ce cousin a fait pour obtenir un visa pour moi.
On a pris l’avion. C’était excitant de se dire que j’allais découvrir un nouveau pays même si j’étais triste de laisser ma mère. Je ne savais pas tout ce qui m’attendait. Si j’avais su… je n’aurais jamais accepté de partir.
"Chaque jour, je me disais que bientôt, moi aussi j’irai à l’école"
Arrivés en France, mon cousin m’a emmenée dans l’appartement où il vivait avec sa femme et ses enfants. Je ne sais même pas où je me trouvais exactement. De ma fenêtre je voyais des jeunes qui allaient à l’école avec leurs sacs sur le dos et je demandais à mon cousin : 'Quand est-ce que j’irai à l’école moi aussi ?'. Il me répondait : 'Ne t’inquiète pas, tu iras. Tu viens juste d’arriver'.
Chaque jour, j'espérais y aller bientôt, je me disais que je me ferais des amis. Mais le cousin partait travailler le matin, revenait le soir et rien ne changeait. Ça a duré plusieurs mois. Je n’avais pas le droit de sortir et j’ai commencé à me demander s’il ne m’avait pas fait venir là uniquement pour garder ses enfants.
Avant de quitter le Mali, ma mère m’avait dit que j’avais un oncle en France et m’avait donné son contact. Mais j’avais perdu son numéro. La femme de mon cousin me prêtait son téléphone de temps en temps, j’en ai profité pour contacter ma meilleure amie de Bamako sur Facebook pour lui demander de me faire parvenir le numéro de téléphone de mon oncle. Je lui ai aussi fait promettre de ne rien raconter à ma mère.
À cette époque-là, je ne voulais pas que ma mère sache. J’avais le droit de l’appeler de temps en temps, mais je ne lui disais rien. Elle pensait que j’étais parti pour l’aider, pas pour souffrir. Partir était mon choix, je ne voulais pas qu’elle culpabilise.
"J’ai demandé à des gens dans la rue de m’aider"
Quand j’ai eu le numéro de mon oncle, je lui ai tout raconté. Il m’a demandé si je savais où je me trouvais. Il m’a dit d’essayer de sortir de là, de lui donner une adresse. J’ai eu beaucoup de chance : quelques jours plus tard, la femme de mon cousin a oublié de fermer la porte à clef. Je me suis enfuie, sans rien, j’ai couru jusqu’au marché. Là-bas j’ai demandé à des gens dans la rue de m’aider. Ils ont appelé mon oncle et lui ont donné une adresse précise. Il est venu me chercher.
On a fait un long voyage en voiture car mon oncle habite en Alsace. On a traversé la campagne, j’ai vu des vaches et des moutons. Je n'en revenais pas, moi qui croyais que la France, c’était une ville sans fin.
Dès le lundi suivant, mon oncle m’a emmenée dans un CIO (centre d’information et d’orientation) où on m’a fait passer des tests de maths et de français. Puis j’ai été orientée vers un collège avec une classe spéciale pour les étrangers.
Dans ma classe, il y avait des Chinois, des Laotiens, des Irakiens, et j’étais la seule Malienne. J’avais un professeur très gentil, il nous apprenait les subtilités du français. Avant, je ne parlais pas correctement le français.
Après cette année au collège, on m’a orientée vers un lycée avec une classe pour les jeunes qui ne savent pas encore quelle filière choisir. J’ai pensé à un CAP petite enfance. J’ai fait des stages en crèches. J’avais vu qu’il existait une école de coiffure (un lycée professionnel privé) mais c’était trop cher pour moi. La directrice de l’école a quand même insisté pour que je suive un stage chez un coiffeur.
"Je te prends en alternance tout de suite !"
J’ai toujours aimé la coiffure. Au Mali, avec ma famille on faisait des concours de tresses. C’était à qui ferait la plus belle création.
J’avais un peu honte car je ne comprenais pas toujours ce que me disait mon maître de stage en français. Mais je coiffais bien et il appréciait mon travail. Il m’a dit : "Appelle le lycée professionnel, inscris-toi, je te prends en alternance tout de suite !" En me renseignant, je me suis rendue compte que j’avais le droit à une bourse d’étude.
Mes problèmes administratifs ont commencé dès ma rentrée au lycée professionnel de coiffure. J’allais avoir 18 ans trois mois plus tard, j’ai donc fait une demande de carte de séjour. Mais elle m’a été refusée et j’ai reçu une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) en février 2017. Je n’ai pas compris pourquoi. J’ai fait un recours avec un avocat avec l’aide d’un professeur. Le lycée m’a beaucoup soutenue. Par contre pas toujours les élèves… Certains garçons me disaient : "Rentre chez toi".
Je me sentais 'sans-papiers' et un peu à part. Dès que je voyais des policiers, j’avais mal au ventre, surtout quand je prenais le train pour aller au lycée.
Médaille d’or régionale de la meilleure apprentie
Durant cette période difficile, le concours régional de la meilleure apprentie de France de coiffure m’a fait beaucoup de bien. J’ai gagné la médaille d’or de la région. Puis j’ai représenté ma région à Paris. Je n’ai pas eu de prix mais j’étais fière. C’est mon maître de stage qui m’avait poussée à le faire.
J’ai refait une demande de carte de séjour et je n’avais pas de nouvelles depuis un an, jusqu’à la semaine dernière. La préfecture m’a appelée pour déposer des documents et prendre mes empreintes. J’espère que c’est positif.
Mon maître de stage veut me prendre en apprentissage dans son salon, je pourrais alors passer un BEP coiffure. Dans ma classe, six élèves n’ont pas trouvé de contrat en apprentissage. Moi, un contrat m’attend, mais si je n’ai pas de papier, je ne pourrai pas travailler. Mon patron est sympa, il patiente déjà depuis plusieurs mois, là il ne peut plus attendre.
Je rêve vraiment d’ouvrir mon propre salon, de proposer un mixte de coiffures européennes avec des touches africaines, des tresses et des chignons. Je voudrais aussi pouvoir profiter de la vie, ne plus avoir peur de me déplacer ou de partir en vacances parce que ça fait des années que la situation m’étouffe."
*Son prénom a été modifié pour préserver son anonymat à sa demande.
Coumba a fait l'objet de plusieurs articles de presse. Elle a accepté de raconter son parcours de migration à InfoMigrants.