L’enquête financière réalisée à l’Ambassade du Mali à Madrid (Espagne) est sans appel : surfacturations à la pelle, vols et détournements de fonds. Auxquels s’ajoute, l’autoconsommation des recettes de la chancellerie, d’année en année. Autant de pratiques qui selon des fouilles « archéologico-financières » ont précipité cette représentation diplomatique du Mali en Espagne dans l’abîme. Avec à la clé, un trou béat de plus de 50 millions (51 047 885F) de francs CFA dans la caisse pendant les exercices 2015, 2016, 2017 et 2018 (1er semestre).
Élaboré par des experts, chargés de faire toute la lumière sur la gestion calamiteuse de ces fonds, ce dossier épingle Son Excellence, le Général Abdoulaye Koumaré, l’Ambassadeur du Mali à Madrid. Mais aussi, ses complices dont le Secrétaire Agent Comptable (SAC) ou le Chef comptable de la chancellerie.
À l’issue de leurs investigations, les enquêteurs sont tombés, à leur corps défendant, sur des zones d’ombre dans la gestion de ces 51 millions de francs CFA.
Décidemment, l’ancien ministre des Transports du Mali, sous la transition de 2012 et non moins Ambassadeur du Mali en Espagne, le Gal. Abdoulaye Koumaré et son chef Comptable sont mal barrés. Ils ont poussé la complicité jusqu’à se beurrer sur les caisses de l’État. Le gouffre financier ainsi creusé au niveau de cette chancellerie dépasse l’entendement. D’où la paralysie de la représentation diplomatique à tous les niveaux. Ou presque.
En clair, l’Ambassade du Mali à Madrid dans son histoire n’a jamais connu une telle hémorragie financière. Pire, elle n’a jamais été confiée à un homme, aussi controversé que le Gal. Koumaré : pendant 4 ans, les caisses ont coulé. Comme le fleuve Niger dans son lit. Et les détournements sont comptabilisés en dizaines de millions de nos francs.
Les objectifs de la Chancellerie, entre parenthèses
L’Ambassade du Mali à Madrid n’a pas seulement perdu de sa superbe. Elle a été vidée de son âme, vendue au diable. Et jusqu’aujourd’hui, le Représentant diplomatique du Mali à Madrid et ses sbires n’affichent qu’une image de ruine et de désolation. Et pour cause : jamais, les gaffes au sein de cette chancellerie n’ont atteint un tel degré.
Jugée, pourtant, stratégique par l’État malien dans ses liens de coopération, l’Ambassade du Mali à Madrid n’a pas échappé à l’appétit vorace de ses responsables.
Par petite touche, ils ont « sucé » les caisses, érigé le népotisme en mode de gestion. L’espoir tant suscité auprès des maliens résidant à Madrid, a viré au cauchemar. Un flop magistral.
Réputée comme l’un des points focaux dans la diplomatie de notre pays, l’Ambassade du Mali à Madrid a vite fait de taire ses ambitions. Raison invoquée par les enquêteurs : l’utilisation des fonds et des recettes de la Chancellerie à d’autres fins. Estimés à plus de 50 millions de francs CFA, ces sous auraient fondues comme du beurre au soleil. Et ce n’est pas tout. Loin s’en faut.
Même le paiement abusif de 10 millions d’indemnités de déplacement n’est pas de nature à tempérer les curiosités. S’y ajoutent, des modifications irrégulières de 25 millions sur la rémunération du personnel local.
Par ailleurs, les irrégularités administratives au sein de cette représentation diplomatique frisent le dol. Du coup, le cadre organique de l’Ambassade du Mali à Madrid n’est pas respecté et ne favorise pas un fonctionnement efficace. La suite est connue : l’Ambassade ne dispose pas de manuel de procédures et ne respecte pas les procédures de mise en réforme des biens et matériels de l’État. Plus grave, elle ne tient pas une comptabilité régulière et de comptabilité-matières. Au même moment, des agents non habilités procèdent à des recouvrements de recettes et certaines pièces justificatives relatives à la prise en charge des soins médicaux ne sont pas conformes. Cette faiblesse a entraîné des remboursements indus d’ordonnances ou d’ordonnances de personnes non éligibles.
Aussi, l’Ambassade du Mali à Madrid a procédé à une mauvaise imputation budgétaire. Ce qui a favorisé le Secrétaire Agent Comptable (SAC) a imputé des dépenses sur un chapitre budgétaire inapproprié. Il s’agit des droits payés à l’interprète, suite à son licenciement, des honoraires du cabinet de conseil en matière de droit de travail payés, sur la rubrique budgétaire « autres dépenses ». Ces dépenses devraient être financées, sur le chapitre budgétaire 3-629-41 « Frais de contentieux » sur les charges communes. Cette situation a été source d’indiscipline budgétaire.
Et comme si cela ne suffisait pas, la représentation diplomatique du Mali à Madrid n’a pas respecté des procédures d’acquisition des biens et services. Ainsi, des acquisitions n’ont pas été effectuées sur la base des bons de commande dûment établis par son Excellence. Du coup, il y a eu des acquisitions qui ne répondent pas aux besoins réels de la chancellerie.
S’y ajoute, la non adoption de l’Arrêté fixant le détail de la prise en charge des indemnités de déplacement et de mission. Cette absence d’Arrêté fixant les détails a conduit à une mauvaise interprétation dudit texte et à des paiements indus d’indemnités de déplacement.
Succession d’irrégularités financières
Le montant des irrégularités financières s’élève à 51 047 885 FCFA et elles impliquent Son Excellence, le Gal. Abdoulaye Koumaré et le Chef Comptable de l’Ambassade du Mali à Madrid. En effet, l’Ambassadeur, le Gal. Koumaré, a irrégulièrement modifié les rémunérations du personnel local. Dans le but de s’assurer que les rémunérations perçues par le personnel diplomatique et local de l’Ambassade correspondent aux mandatements et aux transferts de fonds effectués en leurs noms, les enquêteurs ont rapproché les états de virement et les états de paiement des salaires. Du coup, ils ont constaté que les bulletins de salaire édités par le Trésor Public sont différents de ceux confectionnés par l’Ambassadeur et fournis au personnel local. En effet, l’Ambassadeur a procédé à des modifications de salaire sans tenir compte des procédures budgétaires. Sur la base de nouveaux contrats proposés et signés avec des agents administratifs, des secrétaires, des traducteurs et des chauffeurs, les salaires ont été modifiés sans que cela soit pris en compte dans le budget.
Ainsi, certains membres du personnel local ont vu leur salaire diminuer alors que le Trésor Public, à travers la Paierie Générale du Trésor, continue à leur payer le même niveau de salaire dont ils bénéficiaient avant la conclusion de nouveaux contrats de travail. D’autres membres dudit personnel reçoivent depuis le mois de septembre 2017 des salaires supérieurs à ceux qui leurs sont destinés suivant les états de virement de la Paierie Générale du Trésor analysés pour la période sous revue. Ainsi les agents titulaires des matricules n° 0133757X, n°011411415Z et n°0141423H ont vu leurs salaires diminués respectivement de 1 436 900 FCFA, 391 080 FCFA et 537 470 FCFA soit une diminution totalisant la somme 2 365 450 FCFA. Par contre, les titulaires des matricules n°0141399F, n°0145482W et n°0147738J ont bénéficié d’augmentation respectivement pour la somme de 1 970 260 FCFA, 759 850 FCFA et 721 250 FCFA soit une augmentation se chiffrant à 3 451 360 FCFA. Aussi, les salaires de l’Assistant administratif et du chauffeur licenciés depuis les mois de février 2018 et septembre 2017, pour respectivement 13 538 950 FCFA et 5 911 175 FCFA sont virés par le Trésor Public sans qu’ils fassent partie de l’effectif de l’Ambassade. Pourquoi cette situation ? Seul Son Excellence, le Gal. Koumaré et le Chef Comptable pourraient y répondre. Du moins à l’heure actuelle.
Toutefois, les irrégularités financières issues des modifications indues de salaires ainsi que les salaires non perçus par les bénéficiaires et non reversés au Trésor Public s’élèvent à 25 266 935 FCFA.
Plus grave, le Secrétaire Agent Comptable a payé des dépenses non éligibles. Il a effectué des dépenses indues de frais de restauration et d’hébergement tant pour le personnel de l’Ambassade que pour le personnel extérieur au service.
Concernant le personnel de l’Ambassade, les auditeurs ont relevé, sur la période 2015 à 2017, que le Chef Comptable a irrégulièrement payé des frais de restauration à ce personnel lors de ses différentes missions, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la juridiction. Les frais de restauration indûment perçus par le personnel s’élèvent à 4 063 089 FCFA. Pour ce qui est du personnel extérieur à la mission diplomatique, suivant Décisions n°20/2017/AMM et n°20/2017/AMM (BIS) des 23 et 24 mai 2017, l’Ambassadeur Koumaré a ordonné au Chef Comptable le paiement respectif de 785 430 FCFA et 1 141 890 FCFA destinés à la prise en charge des dépenses d’hébergement, et de restauration d’une délégation du Ministère de la Sécurité Intérieure et de la Protection Civile. Ainsi, les crédits de l’Ambassade ont été utilisés pour faire face à des dépenses déjà prises en charge sur les crédits dudit Ministère. Le total des dépenses inéligibles s’élève à 5 990 409 FCFA.
Double payement de dépenses
Le Chef Comptable, autrement appelé, le Secrétaire Agent Comptable a effectué des dépenses irrégulières.
Selon le point 2.1.2 du guide pratique sur la comptabilité des ambassades du Mali, le Secrétaire Agent Comptable est personnellement et pécuniairement responsable des opérations qu’il effectue. Dans cette dynamique, la mission a constaté que le Chef Comptable a effectué des dépenses irrégulières relatives à l’acquisition et l’entretien du véhicule de l’Ambassadeur.
En effet, l’Ambassade a reçu de la Paierie Générale du Trésor le montant de 50 millions de FCFA soit 76 224 51 Euro, destiné à la prise en charge de l’acquisition de véhicule de commandement de l’Ambassadeur, le Gal. Koumaré et des frais de déplacement de l’Ambassade. En réalité, l’acquisition a coûté la somme de 84 301,6 Euro, soit 55 298 225 FCFA. Ainsi, il se dégage un écart correspondant à un dépassement de 5 298 225 FCFA non supporté par une notification de crédit supplémentaire. De plus, cette dépense a été comptabilisée en janvier 2018 alors qu’elle a été exécutée au mois de mars de la même année.
En outre, le Chef Comptable a effectué d’autres dépenses relatives au véhicule sur la base de document de budget d’atelier n°7040, en l’absence de facture et d’attestation de service fait pour la somme de 2 844,83 Euro soit 1 866 086 FCFA en date du 4 avril 2018. Le montant des dépenses irrégulières ainsi déterminées est de 7 164 311 FCFA.
Pour s’assurer que les paiements effectués par le Chef Comptable sont supportés par des pièces justifiant la réalité des dépenses, la mission a analysé les différents dossiers d’acquisitions de biens et des prestations de services. Ainsi, les enquêteurs ont constaté que le Chef Comptable a doublement payé des dépenses d’entretien pour des prestations dont le montant s’élève à 2776 80 Euro soit 1 821 461 FCFA. Ces dépenses d’entretien ont fait l’objet d’un double paiement pour la même prestation au profit du même fournisseur de l’offre de services du 4 avril 2018 et de la facture n°1512990450 en date du 3 mai 2018.
Par ailleurs, le Chef Comptable a procédé à des paiements indus d’indemnités de déplacement. En effet, l’article 9 du Décret n°2016-0001/P-RM du 15 janvier 2016 détermine le montant, par catégorie des indemnités de déplacement et de mission octroyées à l’occasion des missions à l’extérieur. L’article 10 du même décret indique que les missions du personnel des services extérieurs en dehors du pays de résidence, dans la juridiction de compétence donnent droit au paiement d’une indemnité égale à 50% de celle prévue à l’article 9 du présent décret. Mais ce fut autre chose dans la pratique au sein de l’Ambassade du Mali à Madrid.
À l’occasion des missions du personnel diplomatique à l’intérieur de l’Espagne (pays de résidence et juridiction de compétence) le Chef Comptable a appliqué des taux pleins d’indemnités de déplacement qui ont été payés au demeurant aux missionnaires. Alors que l’article 10 du décret de 2016 prévoit le paiement de la moitié dudit taux pour les déplacements hors du pays de résidence et dans la juridiction de compétence. Le montant ainsi indûment payé s’élève à la somme de 10 804 769 FCFA.
En bloc, la gestion de l’Ambassade du Mali à Madrid révèle des dysfonctionnement internes et des irrégularités financières. Pire, la gestion financière et comptable de cette Chancellerie n’est pas adaptée au contexte d’une gestion axée sur le résultat, ni à celui de l’exécution du budget en mode programme.
C’est face à cette mauvaise gestion financière érigée en mode à la Chancellerie du Mali à Madrid que les enquêteurs, à l’unanimité, ont adressé une dénonciation de faits au Pôle Économique et au Président de la section des comptes de la Cour Suprême.
Depuis des lustres, l’Ambassade du Mali à Madrid est au bord du précipice. Les caisses sont vides. Désespérément, vide.
Et pire, quand il y a décaissement c’est sans rapport avec les besoins réels de la chancellerie. En clair, l’argent coule de source. Et dans d’autres sources. De telles pratiques, indiquent les enquêteurs, ont causé une perte sèche de 51 millions de francs CFA à la représentation diplomatique de notre pays à Madrid.
Bref, l’Ambassade du Mali à Madrid a été sacrifiée sur l’autel d’intérêts égoïstes. En somme, la caisse de la chancellerie a subi une saignée financière de plusieurs dizaines de millions.
Cette mauvaise gestion est le fruit d’un système bien huilé, mis en place par le « prince » de l’Ambassade du Mali à Madrid.
Selon ce système, les responsables de la chancellerie veillent aux « bons soins » de leurs pots et de leur propre personne: enveloppes de fin du mois, marchés de gré à gré, bons de carburant à gogo, voyages et autres cadeaux en nature. Du moins, s’ils veulent éviter les « ennuis ».
Face à de telles pratiques qui ont mis à genoux l’Ambassade du Mali à Madrid, les enquêteurs à l’unanimité exigent à ce que le dossier de la chancellerie soit tranché afin que les responsables rendent à César ce qui n’est pas à eux. Et cela dans un bref délai. Passé ce temps, des poursuites seront engagées. Et ce dossier qui reste pendant est relatif, à la prise en charge des frais de restauration indus du personnel de l’Ambassade pour un montant de 4 063 089 FCFA ; à la prise en charge indue des frais de restauration et d’hébergement de la délégation du Ministère de la Sécurité Intérieure et de la Protection Civile pour un montant de 1 927 320 FCFA ; au dépassement du coût d’acquisition d’un véhicule pour un montant de 5 298 225 FCFA ; au paiement en l’absence de facture définitive et d’attestation de service fait pour un montant de 1 866 086 FCFA ; au double paiement de frais d’entretien pour un montant de 1 821 461 FCFA ; au paiement d’indemnités de déplacement indues pour un montant de 10 804 769 FCFA ; aux modifications irrégulières de rémunération du personnel local pour un montant de 25 266 935 FCFA. Soit au totale, des irrégularités financières de 51 047 885F CFA.
C’est dire que les responsables de la représentation diplomatique du Mali à Madrid risquent gros. Très gros. Comprenne qui pourra.