n n’en parle pas autant que la situation des Haratines (maures noirs) en Mauritanie mais l’esclavage est une pratique qui survit au Mali. A Bamako, Ouestaf News est parti à la rencontre d’hommes et de femmes forcés de quitter leur village natal pour avoir remis en cause leur statut d’esclaves.
«Tout est parti de notre déclaration faite aux notables où nous les avons informés que nous ne sommes plus des esclaves et que nous sommes tous égaux», affirme Dounery Diakité, un père de famille de 55 ans.
Une déclaration qui sonne comme une rébellion dans une société inégalitaire et conservatrice, et qui va marquer le début d’un long calvaire pour lui et les siens. Dépossédés de leurs champs, ils seront aussi interdits d’aller puiser de l’eau au puits du village.
La situation devenait intenable pour Dounery qui a finalement pris le chemin de l’exil, laissant derrière lui son village natal Kaïnéra, peuplé d’environ 3.000 habitants, situé dans la région de Kayes à l’Ouest du Mali et aux confins de la frontière avec le Sénégal.
Sous l’ombre des espaces verts du palais des sports de Bamako, barbe poivre et sel, vêtu d’un boubou bleu sans manches, Dounery nous livre tranquillement le récit du calvaire qu’il a vécu.
«Toutes les autres familles qui ont dit non à l’esclavage ont subit le même sort», ajoute-t-il. Interdits de cultiver, privés d’eau potable, la sentence des notables du village finira par prendre la forme d’une assignation à résidence. «Nous n’avions plus le droit de circuler librement dans le village. Des ruelles nous avaient été interdites, on avait plus le droit d’aller à la boutique», se souvient le natif de Kaïnéra.
Pour se ravitailler en vivres, lui et les siens devaient se rendre à Diancounté Camara, un village situé à 7 km du leur. Après un an d’embargo et de calvaire, la décision a été prise par les «nobles» de les chasser du village au mois de novembre 2018.
Selon les observateurs, la situation est d’autant plus difficile que l’esclavage est un sujet tabou au Mali. Cette pratique existe dans la majorité des communautés disséminées à travers le pays, selon l’anthropologue malien, Dr. Naffet Keïta qui a dirigé en 2012 la publication d’un ouvrage intitulé : «L’esclavage au Mali».
Maltraitances et exil forcé
Pour Dounery Diakité et les siens, il ne s’agit pas que d’un objet d’étude. C’est une triste réalité. Et il se souvient comment lui et d’autres chefs de familles sur ordre du chef de village de Kaïnéra ont été battus par des jeunes après le passage d’un journaliste venu s’enquérir de la situation des esclaves de Kaïnéra.
«Après le départ du journaliste, le chef de village m’a invité dans son vestibule. Il m’a fait asseoir par terre. Ses conseillers et des jeunes étaient présents. Il m’a dit que je l’ai insulté au micro du journaliste», explique-t-il.
Un calvaire qui n’a pas épargné les femmes et les enfants. Rencontrée à Bamako, Matia Demba, est une mère de famille quinquagénaire, encore meurtrie et hantée par les larmes de sa fille.
«J’ai ma fille mariée à un notable. Elle venait pleurer pratiquement tous les jours devant notre maison. Je n’avais pas le droit de sortir et elle ne pouvait pas rentrer dans la cour sans s’exposer à des sanctions notamment paiement de 100 mille FCFA ou même des violences physiques de la part des jeunes du village qui veillaient à la bonne exécution de l’embargo», confie-t-elle à un collaborateur d’Ouestaf News.
Forcés à l’exil après des mois de privations et de brimades physiques et psychologiques, les sept familles de Kaïnéra considérées comme «esclaves» ont rejoint la ville de Diéma, toujours dans la région de Kayes.
Après neuf mois dans la ville de Diéma, la possibilité d’un retour paisible à Kaïnéra est évoquée. Informés par le préfet de Diéma qu’un terrain d’entente a été trouvé avec les notables de Kaïnéra, les exilés étaient ravis et s’affairaient pour leur retour au bercail. Un espoir vite tombé à l’eau.
«Arrivé à Diacounté Camara (chef lieu de la commune), le maire nous a informés qu’il a oublié d’informer la population de Kaïnéra de notre retour. Il a aussitôt appelé là-bas. Le chef de village a dit qu’il n’est pas prêt à nous recevoir dans notre village. Il a menacé que nous serons responsables de tout ce qui arrivera là-bas», explique Famoukirou Sissoko, un jeune homme de 23 ans.
Dès lors un retour à Diéma s’impose aux sept familles et leurs nombreuses progénitures. Une fois replié dans le village où elles vivaient à Diéma, les notables de ce dernier village changent leur fusil d’épaule et leur ordonne de vider les lieux.
«Quand nous sommes retournés à Diéma, le chef de village nous a exigé de partir. Les locataires nous ont fixé un ultimatum d’un jour pour libérer les maisons», souligne le jeune Sissoko, qui loin d’avoir le moral en berne, a confié à Ouestaf News sa détermination de se battre et de retourner vivre librement dans le village de ses ancêtres.
Chassés de Kaïnéra, désormais indésirables à Diéma, les exilés n’ont pas eu d’autres choix que de migrer vers Bamako, la capitale (située à 346 km de Diéma) où ils sont arrivées fin juillet 2019, et logés dans un centre de déplacés sis dans la commune VI.
Un endroit qu’ils partagent avec d’autres exilés qui ont fui le centre du Mali, ravagé par les violences interethniques et les attaques terroristes qui ont fait des centaines de morts depuis le début de l’année 2019.
Avec ses 3.000 habitants, Kaïnéra est un village habité par la communauté Soninké, connu pour sa propension à l’émigration.
Dans un reportage réalisé en septembre 2018 (période de l’embargo) dans ce village par le quotidien malien “Le Pays”, le fils du chef de village de Kaïnéra, Séma Traoré rejetait les accusations d’esclavage et d’exploitations parlant plutôt de «pratiques culturelles».
«S’il y a une cérémonie dans une famille, ce sont eux “ceux qui pensent qu’ils sont considérés comme esclaves” qui doivent travailler, mais quand eux aussi ont une cérémonie, c’est nous qui travaillons dans leur famille. Cela existe il y a longtemps», a déclaré Séma Traoré.
Dans ce reportage, les notables de Kaïnéra soulignent que l’harmonie dans laquelle ils vivaient a été rompue depuis l’arrivée des idées véhiculées par «Gambano», un mouvement d’émancipation au sein du peuple Soninké, née en Mauritanie en 2010 qui veut lutter contre certaines traditions assimilées à de l’esclavage.
En l’absence de chiffres récents, l’ouvrage dirigé par Dr. Keïta, qui s’appuie sur une enquête de terrain est souvent cité quand il s’agit de déterminer l’ampleur du phénomène. Selon ce texte, il y a au moins 300.000 esclaves dans tout le Mali, un pays peuplé actuellement de 18,5 millions d’habitants (Banque mondiale).
Dans la région de Kayes (1,9 millions d’habitant, selon le dernier recensement général de 2009) où est situé le village de Kaïnéra, l’esclavage concerne 12 à 15% de la population tandis que les chiffres atteignent 30% chez les populations du nord et du centre, selon la même source.