L’affaire de la rénovation et de l’équipement des hôpitaux a tout l’air d’être un nouveau scandale au compteur du régime. Elle est relative à un marché de plus de quinze milliards (15 000 000 000 de nos francs) passé par le gouvernement dans les conditions les plus opaques pour ne pas dire mafieuses et par entente directe avec un opérateur économique étranger qu’on qualifie de toxique, en raison d’une affaire de déchets toxiques dans laquelle il avait été trempé. Son nom : Adama Bictogo, Pdg du groupe Snedai.
Les dessous : d’insolentes rétro-commissions divisées entre copains et coquins. Conséquence : un gouvernement complaisant à la limite de la complicité, mis devant le fait accompli et pris dans la spirale des dénonciations, qui tente maladroitement de corriger l’incorrigible entorse aux règles de la transparence. Pour respecter les règles violées ou pour couvrir la magouille ?
Le gouvernement se décide enfin de prendre à bras-le-corps l’équipement des hôpitaux serait-on tenté de dire. A priori. A priori seulement.
La COM au service de la magouille
Après le scandale du bébé amputé faute de soins appropriés à l’Hôpital Gabriel Touré, le gouvernement a décidé, lors du conseil des ministres de mercredi dernier (14 août) de débloquer ce mercredi 14 août 15 milliards de francs CFA pour rénover et équiper certains hôpitaux dont le Centre hospitalier universitaire Gabriel TOURE, la Polyclinique des Armées de Kati et le Centre hospitalier universitaire du Point G.
L’Objectif, selon le communiqué du conseil des ministres, est de contribuer au renforcement du plateau technique de la pyramide sanitaire. Il s’agira, dans un délai de 8 mois, de mettre à niveau le plateau technique avec l’acquisition, entre autres, de deux scanners, des échographes, des équipements pour les blocs opératoires, explique le ministère de la Santé. Mais selon des sources proches du dossier rapportées par Rfi, aucun appareil de type IRM (imagerie par résonance médicale) n’est encore prévu. Donc, le juste minimum pour un hôpital des pauvres comme si le progrès n’était pas fait pour les Maliens. Mais bon, puisque les riches peuvent toujours aller se faire soigner ailleurs, alors tant pis pour les bougnoules que nous sommes.
Pour cette opération présentée comme une urgence sociale, le gouvernement consent un effort financier de 15,7 milliards FCFA ; coût total et confie le marché à « la Société MARYLIS BTP CI pour un délai d’exécution de 08 mois ».
En terme de communication, l’affaire est brandie comme une prompte et adéquate réponse du gouvernement au délabrement insultant et au sous-équipement révoltant de nos structures sanitaires, notamment l’Hôpital Gabriel Touré qui vient de faire la Une de l’actualité. Comme pour dire, en attendant
les résultats de l’enquête sur l’affaire du Bébé amputé, le gouvernement, soucieux des conditions de vie des populations et de la prise en charge des malades, prend le taureau par les cornes pour résoudre le problème en 8 mois…
De sulfureuses rétro-commissions…
Mais à la vérité, ne s’agirait-il pas là d’une tentative de recadrage d’un scandaleux de marché passé de gré à gré, de la couverture ou régularisation a posteriori d’une scandaleuse attribution hors-norme d’un marché de plus de 15 milliards attribué en catimini à un toxique opérateur économique étranger ? Toutes choses qui, au pire, ne seraient rien d’autre qu’une opération de blanchiment d’une magouille intolérable ?
Un marché au cours duquel d’insolentes rétro-commissions auraient été perçues par certains hauts placés du gouvernement. Des hauts placés, du haut de leur soudaine arrogance, qui ont été pris de panique suite à la révélation récente (dans le pamphlet intitulé « Soumeylou Boubèye Maïga, un homme double). Révélations qui font état de deux milliards de commissions perçues par l’ex-Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga sur un marché des Hôpitaux (Point G, Gabriel Touré, et Kati) attribué à l’ancien ministre et homme d’affaires ivoirien Adama Bictogo. Une affaire de retro-commission éventrée non encore démentie qui a fait dit-on grand bruit dans le milieu mafieux malien. Et pour cause ? Parce que bien que dénoncé et bien qu’ayant gardé le silence face aux rafales subies (peut-être par solidarité), l’ancien Premier ministre Sbm serait loin d’être le seul mouillé dans l’affaire. D’autres aussi ont fait le tour d’Abidjan pour prendre leur part… leur milliard ! Parce qu’au Mali, on se mouille désormais à coup de milliards. Cette affaire en est une illustration.
Tout commence en début d’année. L’ancien ministre ivoirien de l’intégration africaine limogé par le président Alassane Dramane Ouattara en mai 2012 suite à l’affaire du Probo Kouala (déchets toxiques) dans laquelle 4,6 milliards ont été carottés sur les indemnités versées par la multinationale Trafigura, affréteur du navire, redevenu homme d’affaires toxiques, est à Bamako. Ici, il connaît les décideurs et leurs mœurs pour y avoir fait un tour en 2012, pendant le plongeon qu’avait connu notre pays. Il sait donc comment tirer son épingle du jeu.
15 milliards de gré à gré
À la tête du Groupe Snedai (groupe ivoirien avec un capital social de 100 millions qui œuvre essentiellement dans les technologies de l’information et de la communication, l’énergie, le transport, l’immobilier et les travaux publics et qui dit-on, compte une dizaine de filiales), Adama Bictogo n’a aucune difficulté à convaincre les autorités de lui donner le marché de la rénovation et l’équipement de nos hôpitaux (Gabriel Touré, Point G et Kati) au cœur du programme d’urgence social du président IBK.
L’affaire est dans le sac : plus de 15 milliards FCFA lui sont affectés moyennant de généreuses rétro-commissions, des milliards dit-on.
Une scandaleuse affaire qui avait pourtant été ébruitée avant l’article mettant en cause Sbm par notre confrère le Sphinx dans sa parution N° 741 du 5 juillet 2019 dans un article intitulé « marché de gré à gré de 15 milliards : déjà plus de 4 milliards ponctionnés ». À la date d’aujourd’hui, aucune mise en cause, aucune autorité concernée par l’affaire (ni le ministère de la Santé, ni la Primature, ni le ministère des Finances) et l’opérateur économique en question n’ont daigné répondre à plus forte raison contesté les dénonciations. Au contraire !
Côté officiel, on déballe le tapi rouge devant l’honorable opérateur économique député d’Agboville, Adama Bictogo, président-directeur général de la société SNEDAI. Comme le 1er juillet dernier lors de sa visite au Centre hospitalier et universitaire (CHU) Gabriel Touré de Bamako. L’objectif de cette visite était, dit-on, de permettre au PDG de SNEDAI de constater de visu l’état du CHU Gabriel Touré, dont la réhabilitation est confiée à Marylis BTP, filiale de sa société.
Cette visite intervient 72 heures après la visite du Premier ministre, le Dr Boubou Cissé, en Côte d’Ivoire où il avait échangé avec Adama Bictogo, PDG de la société SNEDAI, dont la filiale Marylis BTP assure la réhabilitation du CHU Gabriel Touré de Bamako, CHU Point G et de l’Hôpital de Kati, pouvait-on lire sur la page Facebook officielle du ministère de la Santé et des affaires sociales.
Des travaux avant le contrat ?
C’est au cours de cette visite que le ministre Sidibé révélera publiquement, pour la première fois que l’État s’est engagé avec la société de Bictogo : « Nous avons un contrat avec la société SNEDAI. Nous avons voulu qu’elle vienne voir ce que c’est que Gabriel Touré. Nous voulons faire en sorte que l’accidenté qui arrive ici puisse avoir l’espoir d’y sortir guéri. Il faut une rupture de fond en terme de gestion pour que l’hôpital puisse produire des résultats pour les pauvres ». Mais le ministre Michel Hamala Sidibé, qui n’avait certainement pas les éléments de langage antérieurs justifiant le pacte avec Adama Bictogo, dévoile le pot aux roses sans préciser la date et les délais contractuels. Logique, il n’était pas là.
Quant au patron du Groupe SNEDAI, Adama Bictogo, en très bon communicateur, il se contente juste de rassurer le peuple malien avec une promesse de livrer dans les prochains mois un hôpital répondant aux standards internationaux dignes d’une structure hospitalière de 3e référence.
Il dira : « je suis venu m’enquérir de tout ce qu’il y a ici comme défi à relever. Je voudrais rassurer le ministre Michel Hamala Sidibé, le Premier ministre Boubou Cissé, les populations maliennes, la direction de l’hôpital, les travailleurs que je remercie pour leur patriotisme. Je vous invite dans les prochains mois à venir constater l’engagement qui est pris devant le peuple malien et le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta en faveur du CHU Gabriel Touré ».
Mais voilà, l’opération de communication gaillardement montée a du mal à passer au regard de la cacophonie due au fait que tout le monde n’est pas au même niveau d’information. Parce que les travaux de rénovation ont déjà commencé depuis mars, indique la direction de l’hôpital Gabriel-Touré à RFI.
En effet, comment Adama Bictogo en compagnie du ministre de la Santé vient « constater de visu l’état du CHU Gabriel Touré dont la réhabilitation et les travaux ont commencé depuis mars» ? On fait l’état des lieux avant les travaux ou c’est l’inverse ? Comment se fait-il que durant tout ce show médiatique destiné à manipuler l’opinion ni le ministre ni l’opérateur économique n’ont fait état des travaux en cours depuis mars ?
Derrière les beaux discours, la réalité n’est-elle pas tout autre ?
En effet, les relations étroites « entre nos deux pays, entre nos deux chefs d’État (Alassane Ouattara et Ibrahim Boubacar KEITA), nous imposent d’offrir au Mali un hôpital qui donne vie, un hôpital qui donne un environnement de commodités », vont-elles empêcher de livrer à notre pays du matériel réformé des hôpitaux ivoiriens ? Comme le laissent croire certaines sources proches de l’Hôpital Gabriel Touré, parlant de vieux lits d’un hôpital ivoirien déjà livrés ?
Où est la vérité ?
SNEDAI dispose peut-être d’une expertise dans le domaine sanitaire pour avoir travaillé avec ELSMED qui a en charge la réhabilitation de 210 hôpitaux en Afrique, dont celui d’Abobo (en Côte d’Ivoire) qui était dans les mêmes dispositions que Gabriel Touré. Mais était-ce une raison suffisante de pactiser avec elle dans la totale opacité et par gré à gré.
Y a-t-il eu délit d’initié ou entente mafieuse dans cette affaire de rénovation et d’équipement de nos hôpitaux ? Sinon, quand est-ce que le contrat dont le ministre de la Santé faisait référence le 1er juillet dernier avec SNEDAI a-t-il été conclu et à quelle condition ? Parce qu’à notre connaissance, l’engagement officiel de l’État malien avec la société de Adama Bictogo date de ce 14 août 2019. Et les termes du communiqué du Conseil des ministres sont clairs. Il ne s’agit ni d’avenant ni de réattribution, mais bien d’approbation de marchés : de « deux marchés (…) conclus entre le Gouvernement de la République du Mali et la Société MARYLIS BTP CI pour un délai d’exécution de 08 mois et un montant de : – 3 milliards 909 millions 997 mille 850 francs CFA toutes taxes comprises pour la réhabilitation de certains services ;
– 11 milliards 856 millions 442 mille 500 francs CFA hors taxes pour la fourniture et l’installation d’équipements médicaux. »
Comme il n’y a pas deux Sociétés MARYLIS BTP CI avec laquelle le gouvernement a conclu pour réhabiliter, rénover et équiper ces trois hôpitaux, faut-il croire alors qu’il y a eu deux marchés en deux étapes avec le même opérateur économique ? Il faut croire que non. Il s’agit, selon plusieurs recoupements, du même marché attribué au même Adama Bictogo. Dans un premier temps en catimini et dans un second temps, ce 14 août 2019, pour couvrir cette magouille.
Affaire à suivre