SociétéMahamoud Dicko : « Mon problème, c’est ceux qui ont trahi le peuple malien. C’est à eux que je m’adresse. Mon combat, c’est d’abord (contre) eux»
L'imam Mahmoud Dicko, éminente figure religieuse malienne, a dénoncé "la gouvernance catastrophique" du pays en lançant samedi à Bamako un mouvement fortement soupçonné de servir les visées politiques prêtées à ce tenant d'un islam rigoriste et bête noire du pouvoir.
Les débuts de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l'imam Dicko passent pour un défi lancé au président Ibrahim Boubacar Keïta, au pouvoir dans ce pays confronté depuis 2012 aux insurrections indépendantistes, salafistes et jihadistes, et aux violences interethniques meurtrières.
"Mon problème, c'est ceux qui ont trahi le peuple malien. C'est à eux que je m'adresse. Mon combat, c'est d'abord (contre) eux", a-t-il déclaré à la tribune du palais de la culture où il a fustigé une "corruption à ciel ouvert et endémique" et une "gouvernance catastrophique".
L'influent prêcheur s'est défendu d'être un "faiseur de rois" et a persisté dans le langage de réconciliation le rangeant du côté de ceux qui condamnent les agissements des jihadistes, mais prônent un dialogue nécessaire avec eux, contrairement à un pouvoir qui le refuse.
"Je ne suis ni faiseur de rois ni président, je veux faire la paix", a-t-il proclamé sous les ovations de plus de 3.000 partisans dans un bâtiment où avaient également pris place des personnalités de la majorité et de l'opposition, mais aussi bon nombre de policiers.
Volontiers présenté comme marquant la véritable entrée en politique de celui à qui sont prêtées des velléités présidentielles, le meeting de l'imam Dicko ne peut qu'interpeller le pouvoir.
Président jusqu'en avril du Haut conseil islamique, principale organisation islamique d'un pays à 90% musulman, l'imam Dicko a entretenu pendant des années des relations en dents de scie avec le président.
Par le passé, il a fortement contribué à faire reculer les gouvernants sur l'octroi de davantage de droits aux femmes, l'interdiction de l'excision et un projet de manuel scolaire prônant la tolérance envers l'homosexualité.
"Refondation"
Né il y environ 65 ans, il incarne face au rite malékite dominant au Maghreb et en Afrique de l'Ouest, plus ouvert, la tendance inspirée par la doctrine wahhabite, en vigueur en Arabie saoudite où il a mené une partie de sa formation théologique.
Il a été engagé dans les efforts de médiation quand le nord du pays est tombé aux mains des jihadistes en 2012. Il a soutenu l'intervention militaire internationale lancée à l'initiative de la France en 2013, et assisté, aux côtés d'autres dignitaires religieux, en 2015, à la signature de l'accord de paix au Mali, ou en 2017 à la conférence d'entente nationale prévue par cet accord.
Mais, avec le chérif de la localité de Nioro, Bouyé Haïdara, il est aussi entré en fronde contre l'ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, poussé à la démission en avril après le massacre de quelque 160 civils à Ogossagou et une série de manifestations contre l'incompétence imputée à l'Etat.
Si le mouvement qu'il a lancé samedi n'est pas officiellement un parti, son coordonnateur général, Issa Kaou Djime, porte-parole de Mahmoud Dicko, a souligné à la tribune que la CMAS avait pour "idéaux" les "visions religieuses, sociétales et politiques" de l'imam.
Dans une possible indication de la signification accordée à ce lancement, la Cour constitutionnelle avait publié par avance, vendredi, un communiqué prévenant que "les partis politiques ne doivent pas porter atteinte à la sécurité et à l'ordre public" et qu'aucun "parti politique ne peut se constituer sur une base ethnique, religieuse, linguistique", sous peine de sanctions. Le communiqué ne citait pas nommément la CMAS.
Face à la situation malienne, l'imam Dicko prône "une refondation" sur la base de valeurs sociétales et religieuses.
"Nous sommes ici aujourd'hui pour soutenir Dicko parce que la société civile et la classe politique ont échoué. Dicko veut une société juste. Une société sans corruption , une société où on discute avec tous les frères pour avoir la paix", a dit à l'AFP, Amadou Diallo, 34 ans, ingénieur et sympathisant présent au meeting de samedi.