La cordonnerie demeure encore dans l’informelle, et la formation se fait rare même si ce métier peut s’industrialiser comme dans d’autres pays comme le Maroc.
La fabrication d’une paire de chaussures est un travail de longue haleine. Pour la confection d’une paire de chaussures, le fabricant doit tout d’abord couper le cuir à la forme du pied du client puis, le coudre à l’aide d’une machine avant de placer la doublure. Le cordonnier réalise ensuite manuellement une première chaussure d’après le modèle choisi. « Nous mettons les semelles manuellement parce que la machine qui permet de le faire vaut beaucoup d’argent et très de peu de personnes peuvent se l’offrir », constate le cordonnier, sans préciser son coût sur le marché. Selon ce dernier, ses outils de travail sont entre autres, la meule, perforateur, les mannequins pour chaussures, la ponceuse, les ciseaux, la coupeuse. Des instruments servant à monter la doublure, talonnette, baguette, contrefort, cambrions, bon bout, sous-bout, bout dur, languette… Les matières premières qui entrent dans la confection des chaussures s’achètent essentiellement dans notre marché local. Les prix de ces matières varient en fonction de la qualité du produit à l’image du cuir.
Cela dit, une fois terminées, les babouches et les chaussures produites sont étalées sur un présentoir dans l’enceinte de l’atelier. Dans cet espace, on y retrouve des cirages de qualité, des semelles, des rouleaux de fil, des brosses et une gamme riche et variée de souliers. Principalement la coupe carré, bout pointu, mat James… Des ventes qui, selon Sissoko, un cordonnier à l’artisanat de Bamako, se passent plus ou moins bien à cause de la présence de la friperie et des chaussures en provenance de la Chine sur le marché malien. « Les gens ne se chaussent plus « made in Mali » comme par le passé ; ils préfèrent les souliers issus de la friperie ou en provenance de l’Asie », regrette Modibo Fofana, non sans souligner la concurrence déloyale des ressortissants d’autres pays comme le sénégalais.
Par ailleurs, des clients, parfois pour des raisons inavouées, abandonnent durant plusieurs mois voire plusieurs années leurs chaussures entre les mains des cordonniers. Ce qui n’est pas sans conséquences puisqu’il est parfois arrivé que certaines personnes reviennent réclamer leur chaussure après des années. « J’ai comme l’impression qu’il y a des clients qui ont fait de notre atelier leur magasin ; sinon qu’est ce qui explique toutes ces chaussures abandonnées ? », s’interroge un bottier. En plus de la rude concurrence du marché, les savetiers disent être confrontés à la rareté des matières premières de bonne qualité et au manque de financement pour faire grandir leurs entreprises. Des difficultés, qui plongent l’industrie de la chaussure dans l’informel, voire dans la débrouillardise. Ce contrairement, à certains pays d’Afrique comme le Maroc, où, apprend-on auprès des membres du Syndicat, a depuis une trentaine d’années mis en place des stratégies pour développer ce secteur. « Au Maroc, l’industrie de la chaussure s’est dotée d’un matériel moderne très important ; elle a pris un essor gigantesque. La promotion qui est faite autour des chaussures fabriquées localement au Maroc, est bien encadrée », analyse un membre du Syndicat. D’ailleurs, selon des chiffres relevés en 2011 par la Fédération des industries du cuir (Fedic), près de 22 millions de paires de chaussures fabriquées par les cordonniers marocains, ont été exportés à l’étranger. Ces exportations au cours de l’année 2011, représentaient 75,5% du secteur du cuir. La production en chaussure des cordonniers marocains, avait atteint 60 millions de paire de chaussures. Des chiffres qui « devaient encourager les industrielles à s’intéresser davantage à ce secteur plutôt porteur, qui semble être négligé », regrette le membre du Syndicat.
En plus du manque d’industrialisation du secteur de la cordonnerie, se greffe l’absence criarde de la formation. Elle est davantage assurée la plupart du temps par des associations ou des syndicats. Pourtant, en occident d’où sont fabriquées les chaussures qui envahissent le marché malien, il existe des écoles professionnelles de formation. Ainsi, les passionnés de la fabrication de chaussures, peuvent acquérir un Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) Chaussure, CAP Cordonnerie multiservice et CAP Cordonnier bottier, éventuellement suivi par un Baccalauréat professionnel Cordonnier-bottier et Bottier main (BM) Cordonnier-réparateur. Au Mali, une telle école n’existe pas et le peu de formation bénéfique qui existe dans ce domaine coûte très cher pour les artisans dont le prix de la formation varie entre 200 000 FCFA et 400 000 FCFA.
Les souliers fabriqués par les artisans locaux restent très mal connus des populations, faute de promotion. La vente des chaussures « made in Mali » ne se porte plus bien comme par le passé. C’est du moins ce qu’affirme M. Sissoko, cordonnier à l’artisanat de Bamako. D’après ce dernier, il est bien loin le temps où le cordonnier pouvait vivre pleinement de son art. « Je me souviens qu’à l’époque, nous vendions une trentaine de paires de chaussures au cours d’une même semaine », se souvient-il. Même son de cloche du côté de Modibo Fofana, responsable d’une cordonnerie à Bamako. Il relève que son chiffre d’affaires a beaucoup chuté ces dernières années, passant de 400 000 FCFA le mois pour atteindre 100 000 FCFA. « Je n’arrive même plus à vendre une paire de chaussures au cours d’une semaine ; les Maliens préfèrent les chaussures venues de l’étranger », perçoit Bouba.
Dans tous les cas, plusieurs Maliens interrogés affichent leur préférence pour les marques de chaussures venues de la France, l’Italie, l’Espagne et surtout des pays asiatiques. La principale cause de ce désamour serait le manque de fiabilité du « made in Mali », selon les consommateurs. « Les paires de chaussures fabriquées par nos cordonniers ne sont pas de très bonne qualité ; or celles venues de l’Europe sont plus résistantes », disait un client de passage.