ÉconomieLes 59 ans d’indépendance Mali: « De quelle souveraineté économique peut-on parler si la politique économique est conçue et pensée ailleurs ? «
Publié le vendredi 20 septembre 2019 | Mali Tribune
L’indépendance et souveraineté économique, l’abandon du Mali du franc malien au profit du CFA, l’adoption future par les Etats africains d’une monnaie commune dénommée « Eco », sont autant de préoccupations auxquelles l’expert comptable agréer, auditeur comptable-financier Siné Diarra apporte des éclaircissements dans cet article consacré au 59e anniversaire du 22 septembre.
« 22 Septembre 1960 – 22 Septembre 2019, 59 années après son accession à la « souveraineté nationale », peut-on parler vraiment de souveraineté en général pour notre pays ? Souveraineté politique, souveraineté militaire, souveraineté économique, souveraineté monétaire, etc.
S’agissant de la souveraineté économique, qui peut être résumée selon le dictionnaire d’économie et de sciences sociales (édition Nathan 2014, page 469) en filigrane, comme la capacité d’un pays à offrir, à ses populations l’essentiel des biens et services dont celles-ci ont besoin. Après avoir essayé tous les systèmes économiques : socialisme et capitalisme, on est en droit de se poser la question si la « souveraineté économique » n’est pas un « vain mot » pour notre pays. Tenez quelques exemples :
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Au plan agricole, examinons le contenu de nos assiettes.
Le riz, est peut être importé à 60 %,
La pomme de terre, est peut être importée à 40 %.
Le pain, avec une farine importée peut être à 60 %,
Le sucre, il est à quel taux de dépendance ?
La viande est de moins en moins à la portée du pouvoir d’achat des Maliens, le poisson qui se substitue de plus en plus, est importé peut être à 70 %.
Les fruits : papaye, banane, orange, pomme, poire, etc., sont aussi importés peut être à 70 %
L’eau sur la table, est elle aussi peut être importée à 50 %. A 100 km des villes, l’eau potable est une denrée rare.
Le lait et ses dérivés : yaourt, fromage, beurre, etc. sont importé à 70 %.
Etc.
La liste n’est pas exhaustive et chacun de nous peut en ajouter. Les taux retenus ont peu d’importance puisqu’ils peuvent varier d’une année à l’autre selon les sources statistiques.
Ainsi 69 années après l’accession à la souveraineté nationale et internationale, il apparait que notre pays est dans l’incapacité de nourrir ses filles et ses fils. Sommes-nous vraiment indépendants et souverains?
Le Mali risque la famine à tout moment, rien qu’avec les conditions draconiennes de paiement imposées par les fournisseurs étrangers de céréales, le changement de réglementation des pays exportateurs, les changements de nos propres conditions bancaires pour les importations, une guerre civile, un embargo, une dévaluation, etc.
Aussi, le risque d’une catastrophe alimentaire, véritable problème de santé publique, est présent et toujours croissant : lait frelaté, farine frelaté, conserves frelatées, jus de fruits frelaté, engrais frelatés utilisés par des producteurs inconnus, attirés de plus en plus par le rendement à l’hectare.
Au plan des services,
Notre système d’enseignement semble de plus en plus incapable de produire d’excellents techniciens professionnels, véritables soldats de la production industrielle et d’excellents cadres qui prendront en mains l’avenir du pays agricole, alors on a recours aux universités étrangères.
Nos structures de santé semblent incapables d’offrir des services de qualité à toutes ses populations, alors c’est la ruée vers les structures de santé d’autres pays.
Au plan industriel,
Nos maisons, bureaux sont remplis de productions industrielles importées : habillements, cuirs et peaux, médicaments, armoires, tables, salons et autres meubles, engrais, etc.
Il en est de même des matériaux de construction, etc.
Au final, la souveraineté économique, c’est-à-dire la prise en main par un peuple de sa consommation avec ses propres productions agricoles, fabrications industrielles et de services, est loin d’être une réalité pour notre pays.
La situation ne semble pas beaucoup gêner les Maliens moins patriotiques économiquement. En dehors des slogans politiques, on voit peu d’actions concrètes en faveur de l’émergence d’un tissu industriel national, peu d’actions pour la promotion des produits locaux agricoles, artisanaux, et peu d’actions en faveur de l’amélioration de la qualité des services dans l’enseignement, la santé.
La réflexion ne semble pas encore être engagée au niveau national pour la conception d’un « modèle économique« propre au pays. De quelle souveraineté économique peut-on parler si la politique économique est pensée et conçue ailleurs où les Institutions financières internationales conçoivent des standards pour des dizaines de pays du monde et dont l’échec est garanti ?
Il est vrai que le Mali a accédé à la « souveraineté politique » avec une économie essentiellement rurale peu mécanisée, caractérisée par des outils de production rudimentaires.
Sur le plan des ressources humaines, le pays souffrait de manques criards de cadres en nombre suffisant. C’est l’une des raisons d’ailleurs qui semble expliquer le recours à une équipe d’économistes de gauche (les Français Jean BENARD, Jean LORY, l’Egyptien Samir AMIN, le Portugais Da NOMBREGA et l’Israélien Eli LOBEL) dirigée par Jean BENARD pour poser les premiers jalons de l’économie de notre pays (Le Mali de Modibo Kéita, Cheick Oumar Diarrah, édition Harmattan 1980.
L’indépendance est une des plus hautes aspirations d’un peuple à la liberté. Aucun pays sous domination ne sera jamais prêt pour aller à l’indépendance. Puisque l’oppresseur fait tout pour maintenir le dominé dans son état. Il faut y aller, le nationalisme et le patriotisme aidant, à « cœur vaillant, rien n’est impossible » dit-on.
A l’indépendance, notre pays a opté pour le « système économique socialiste » dans lequel l’Etat est le seul agent économique, faisant tout à la place des citoyens. De beaucoup de mes interlocuteurs, le système socialiste n’a pas été le choix personnel du Président Modibo Kéita. Il lui aurait été imposé par le Parti.
Les pères de l’indépendance de notre pays rêvaient de voir un Mali qui fabrique sur place, l’essentiel de ce que les populations consomment.
Le corollaire de ce rêve, c’est « le modèle économique » basé sur l’industrialisation. Le pays a vu naitre un tissu économique comprenant de nombreuses industries légères : sucrerie, cimenterie, huilerie, savonnerie, radioélectrique, textiles, tannerie, briqueterie, matériaux de construction comme les tôles, les peintures, agroalimentaires, etc.
Ce « modèle économique » était appuyé par une politique d’infrastructures visant à sortir le pays de l’enclavement intérieur et extérieur : compagnie aérienne, compagnie de transport routier, ferroviaire, fluvial, réforme de l’éducation, etc.
Une des principales fonctions de la monnaie c’est de servir de moyens d’échanges, de circulation des biens et des services. Les pères de l’indépendance ont estimé que la production locale et les biens manufacturés issues de la politique d’industrialisation naissante doivent être écoulés dans une monnaie nationale pour mieux asseoir sa souveraineté politique.
Alors le Mali quitte la Zone Franc (CFA) en 1962, bâtit sa Banque Centrale et crée sa propre monnaie, le Franc Malien (FM) par :
La loi N° 62 – 54 du 30 Juin 1962 portant réforme monétaire en République du Mali. Son article premier dispose :
« La République du Mali, soucieuse de renforcer son indépendance politique et d’assurer son développement économique harmonieux crée pour compter du 1er Juillet 1962, sa monnaie nationale, ayant désormais seul cours légal et pouvoir libératoire sur toute l’étendue de son territoire « .
L’article 2 donne la contrevaleur du FM en or, soit 0,0036 gramme d’or fin tandis que l’article 5 fixe le taux de change avec le FCFA, soit 1 FM contre 1 FCFA
L’article 4 dispose que « Pour compter du 1er Juillet 1962, l’Agence de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Bamako cesse toute activité sur l’étendue du territoire de la République du Mali. Les fonctions précédemment exercées par cet organisme, notamment le service de l’émission sont assurées exclusivement par la Banque de la République du Mali ».
Dans les années 80, le Mali abandonne l’économie socialiste, dit-on sous le poids des difficultés économiques (notamment les sécheresses de 1973 – 1974 et 1980) et financières et suite à l’intervention de la Banque Mondiale. De grandes réformes économiques aboutissent à l’économie libérale.
Sur le plan monétaire, le Mali souhaite retourner dans la Zone Franc. Par l’Ordonnance N°84 / 11 P – RM du 17 Mai 1984, autorisant ratification de l’Accord d’adhésion de la République du Mali à l’UMOA, le Mali abandonne sa monnaie le Franc Malien et regagne la Zone Franc.
Est-ce-que cet abandon a été une erreur ? Je ne crois pas que notre pays ait fait un bilan du Franc Malien (F.M) comparé à un bilan du Franc CFA à une certaine date (par exemple 10 ans après l’abandon) pour tirer des leçons.
On peut tout même soutenir que le Mali aurait dû rester avec notre monnaie pour au moins trois raisons:
Une des manifestations de la « souveraineté monétaire » serait, justement la possibilité pour un pays de pratiquer une politique des taux d’intérêts, permettant de relancer la croissance. En abandonnant sa monnaie, le Mali a perdu cette possibilité.
Le solde du « compte d’opérations » ouvert dans les livres du Trésor Français pour la convertibilité du Franc Malien, était largement en faveur du Mali, contrairement aux autres pays qui avaient leurs soldes du « compte d’opérations » en rouge, selon son excellence Monsieur Drissa Kéita, Docteur en économie du développement, ancien Ministre des Finances et du Commerce, ancien Ministre du développement industriel et du tourisme, ancien Secrétaire Général de la CEAO, l’ancêtre de l’UEMOA. Donc rien ne s’opposait à l’approvisionnement correct du pays en biens et services non disponibles localement et donc importés
Enfin, il n’est de secret pour personne que les pays de la Zone Franc affichent de plus en plus la volonté d’abandonner le Franc CFA pour bâtir leurs propres monnaies.
Effectivement, il est de plus en plus question d’abandonner le FCFA pour une monnaie panafricaine, « ECO », par les Etats de la Cédéao
« Aucun récit n’est écrit d’avance », dit-on. Malin celui qui peut prédire le succès ou l’échec de cette nouvelle monnaie. L’industrialisation des pays pour réduire à moyen et long terme la dépendance des économies de la Zone Franc à l’extérieur est une stratégie pour garantir le succès. C’est ce que nous avons soutenu depuis 2017 par la publication d’un article dans Business Africa n°146 – avril 2017 lors du sommet extraordinaire des Chefs d’Etat sur l’avenir du CFA tenu à Abidjan sous le titre : « L’après FCFA ne s’improvise pas cela se prépare ».
Le succès de la nouvelle monnaie, à court terme dépend de « l’état de préparation » de chaque pays à affronter l’introduction de la nouvelle monnaie pour faire face aux flambées inévitables des prix dans les 3 à 12 mois du changement de monnaie. Nous avons invité les responsables de notre pays à « Préparer le Mali à l’après CFA » dans une publication parue dans les « Echos Hebdo » n°1530 du 8 février 2019 par la constitution de stocks de sécurité minima de 6 à 12 mois dans tous les produits stratégiques : les hydrocarbures en premier lieu pour éviter l’asphyxie de l’économie du pays, les denrées alimentaires, les médicaments, etc. « .