Le dimanche 22 septembre 2019, le Mali a fêté son 59e anniversaire. Une autonomie acquise dans le sang par les pères de l’indépendance du Mali. Aujourd’hui, avec les maux qui gangrènent la société : corruption à ciel ouvert, crise sécuritaire et économique, pertes des valeurs sociétales, etc., le Mali est-il vraiment indépendant ? Ismaïla Samba Traoré, écrivain, éditeur et président de la maison d’édition Malivaleur/Pen Mali, fait une analyse objective.
“Lorsqu’on arrive à l’indépendance à 1960 après l’éphémère fédération du Mali. Le pays était prêt pour faire le grand saut. Il était mûr et bien préparé pour aller à l’indépendance. Les groupes des catégories sociales, qui avaient été particulièrement actifs, étaient pré positionnés pour faire renaitre le Mali.
C’est une renaissance en 1960 dans la mesure où près de 70 ans de colonisation et bien le Mali a retrouvé sa pleine souveraineté. Cela veut dire qu’il fallait que les esprits s’accordent pour aller dans le même sens que les visions politiques. Il fallait que les intelligences, les capacités et les ressources soient mobilisées. Tout cela a été fait sous le régime d’un politique de l’Union soudanaise rassemblement démocratique africain (USRDA) conduit par le président Modibo Keita.
L’indépendance du pays est survenue dans un contexte régional de lutte sous le régime de toute l’Afrique de l’Ouest francophone et même l’AOEF qui s’est mobilisé ensemble pour aller à cette indépendance.
Donc, les mêmes compétences ici étaient en ligne avec la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, la Haute Volta et le Niger. L’Union soudanaise n’était pas un parti national. En 1960, il avait beaucoup de défis et des atouts.
Le pays a été pris en main par le régime du président Modibo Keita qui, éminemment conscient des défis, a livré différents combats sur le plan politique pour affirmer la souveraineté et ce qui va de pair avec le développement de la diplomatie et affirme l’identité du pays naissant. Il y avait des défis économiques parce que le grand froid qui a prévenu dans les relations entre le Mali et le Sénégal a fait que le pays se trouvait pratiquement à succès. Le chemin de fer qui est vital pour l’économie et pour la vie politique, culturelle sociale. Ce cordon ombilical qui, est le chemin de fer, était à l’arrêt parce que la fédération qui liait le Mali et le Sénégal venait de se briser.
De nombreux défis ont été quand même relevés notamment le défis routiers. Des camions remorques, des citernes ont tenté de fournir le pays en denrées de première nécessité à partir des ports d’Abidjan, de Conakry, ainsi de suite. Donc, les défis ont été affrontés par la politique du moment surtout les plans politiques, économiques, culturels, sociaux ; dans la mesure où effectivement il y avait ce challenge qui était celui de toute l’Afrique noire colonisée à savoir la réaffirmation de notre identité et de notre souveraineté d’Homme noir. Ce combat a été mené par des écrivains et penseurs de la négritude. Donc, le relai pris par l’Etat malien par exemple a été un relai culturel très puissant, très structuré parce que des différents commissariats ont été mis en place comme commissariat à la jeunesse, commissariat à la culture afin de tenter de réhabiliter dans les esprits des identités bafoués et niés par la colonisation.
Le régime a donc ceinturé les problèmes. Il s’est projeté dans les actions extraordinaires et au nombre duquel il faut absolument citer toute la structuration économique à travers les sociétés d’Etat que le président Modibo va créer au cours des premières années de l’indépendance. 1960 pour moi, fut la lutte des géants. Des géants au nombre desquels il y avait beaucoup d’enseignants. Des géants ont effectivement construit un discours, établi les bases de la création d’un Etat appelé le Mali.
Nous sommes les enfants de cette période à peine conscient de tous ses enjeux, mais j’ai pu vous dire que l’enthousiasme était au-delà de toute limite.
Depuis l’année 1960 jusqu’à nos jour, le Mali a évolué dans tous les sens du terme. La première République a été animée par un régime avec des engagements sociaux très prononcés avec des revendications de souveraineté fortement revendiquées avec les défis de créer l’Etat et de créer des instruments de souveraineté dont l’armée, la monnaie, etc. Les acteurs de la première République étaient effectivement très engagés, patriotes, très déterminés et très passionnés. Ils ont vraiment investi tout ce qui était en leur pouvoir et ils ne pensaient pas à autre chose que le Mali.
Le Mali primordial c’était ça leur pensée profonde. Donc ces acteurs étaient des gens d’une race particulière. C’est pourquoi, je préfère parler du temps des géants. On en a connu et même les derniers géants se sont couchés il n’y a pas si longtemps. Maintenant, l’histoire du Mali s’est emballée à un certain moment parce que cette première République n’a pas été sans contradiction, sans tiraillement, sans friction. Lorsqu’en 1968, un push militaire renverse le régime de Modibo Keita et bien ça a été une sorte de fracture violente dans la mesure où l’irruption de la force armée dans le jeu national et politique a marqué une sorte de rupture qui a fait basculer toute l’intelligence politique en tout cas toute la clientèle politique.
Mais, la deuxième République a construit en intégrant ce qu’il a pu intégrer, en renforçant ce qu’il pouvait renforcer. Mais fondamentalement, il est resté d’une sorte de goût inachevé dans l’esprit de beaucoup de catégories dont celles des enseignants, des élèves et étudiants, des intellectuels et écrivains qui étaient assez nostalgiques du mystique de la première République d’une part et qui acceptaient mal le dicta imposé par l’armée nationale.
Quelque part on admet généralement que les fractures politiques, sociales et les crises de valeurs politiques ont entrainé le pays dans une forme de recule de sa souveraineté.
Nous sommes un pays envahi aujourd’hui par toutes les formes militaires possible et imaginable. Nous sommes un pays sans souveraineté parce que la monnaie qui préside est là du fait de l’abandon d’une monnaie souveraine qui fut la nôtre en occurrence le franc malien.
Le pays est sous domination d’une forme de capitalisme incroyable. Regarder aujourd’hui le coût de la vie selon la volonté de ce capitalisme féroce et pitoyable. Le billet d’avion est maintenant à un million de franc et quelle que soit la destination, alors qu’il était à 50 % beaucoup moins cher. Quelque part il y a une forme de capitalisme qui nous fouette sans cesse et qui nous viole. Ceci est assez intolérable aujourd’hui au-delà de ses aspects macroéconomiques. Il y a des réalités en soi qui portent atteinte à notre capacité. C’est la corruption généralisée. Elle est absolument endémique. Pire, la corruption est d’autant plus inadmissible, inacceptable qu’elle se passe dans un contexte d’impunité absolue.
Nous sommes un pays dominé par beaucoup d’autres formes de capitalisme sauvage qui nous met à genou, forme d’abandon de soi, qui prévale au niveau du citoyen, des groupes organisés et même des associations des formations politiques.
Ce n’est plus la même rigueur, la même éthique, le même patriotisme et valeur qui étaient là en 1960 et après.
On est dans une période justement où nous sommes dominés dans tous les sens du terme. Il y a différents facteurs qui peuvent conduire à la mauvaise gouvernance. De toutes les façons lorsque certaines valeurs sont corrompues à l’échelle même de l’élève, de l’étudiant, du jeune cadre, du jeune leader, du fonctionnaire qui arrive à la porte de l’Etat pour se mettre à son service.
Lorsque les valeurs sont corrompues et qu’on a à faire à des citoyens chaussants, mettant des petits pieds dans les grandes portes. Quelque part il y a vraiment un constat terrible de l’échéance qui est là. Les valeurs qui fondent l’individu, les capacités, les qualités, le sens de l’éthique, le patriotisme, la foi en soi au pays ne sont plus là. Elles ont été basculées, mises en arrière par des antivaleurs de comportement. A la limite de l’indécence où une petite poignée de personnes, une famille, des individus en réseau, en groupe en grin s’invitent au sommet de l’Etat pour prendre ce qu’ils veulent ou viennent au-dessus de tout le monde sans aucune considération pour ceux qui crient à la famine et la soif “.