En raison du lundi férié, nous avons décidé de publier votre rubrique de chronique hebdomadaire ce mercredi, l’édito ayant été publié mardi.
“Marcel était dans le pays depuis le jour où le président de la nouvelle République de Watainbow avait débarqué d’un DC 6, brandissant du haut de la passerelle à l’immense foule hystérique venue l’acclamer à coups de tam-tams, de cors et de fusils à pierre, une sacoche de cuir luisant en criant : Je vous apporte l’indépendance
On hurla et on dansa des jours et des nuits durant. Dans les églises et dans les mosquées, on avait expliqué que cette indépendance n’était pas le signe de l’avènement de Satan, comme celle que les ”communistes” voulaient installer il y a deux ans.
Mais la sacoche était très petite pour contenir un objet de valeur, pensèrent certains à haute voix dans la foule. Peut-être l’indépendance était en or, répondirent d’autres.” Norbert Zongo in Le parachutage.
Les populations ont scandé des slogans ! Le nationalisme s’est exacerbé dans les différents pays nouvellement indépendants. On passa plus de temps dans des réjouissances populaires, plutôt qu’à se mettre vite au travail. Gnassingbé Eyadéma a chanté avec ses soldats : “Boire un petit coup, c’est agréable. Boire un petit coup c’est doux. Mais il ne faut pas rouler dessous la table. Boire un petit coup c’est agréable. Boire un petit coup c’est doux.
“J’aime le jambon et la saucisse. J’aime le jambon quand il est bon. Mais j’aime encore mieux le lait de ma nourrice”.
“Non, Julia, tu n’auras pas ma rose. Monsieur le curé a défendu la chose ! Non, Julia, tu n’auras pas ma rose”.
Et après, nous avons été gouvernés par des dirigeants incompétents qui ont chosifié le pouvoir d’État, à l’instar de l’ex-président togolais Gnassingbé Eyadéma . Les conséquences ont été fatales pour des millions d’Africains qui espéraient enfin être libérés du joug colonial. C’est ainsi que le colon “blanc” fit place à une autre, noir cette fois-ci, mais pire que son prédécesseur. De sorte qu’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui regrettent le “transfert de pouvoir” effectué dans nos États, il y a cinquante-neuf saisons. C’est donc plusieurs générations qui ont été sacrifiées sur l’autel de la colonisation et du néocolonialisme, aujourd’hui déguisé en “mondialisation de l’économie”. N’accusons pas une fois de plus la “France libérée”, comme aimait bien le répéter de Gaule en 1944, après le débarquement des alliés. C’est une question de survie et chaque peuple construit son histoire, parfois au détriment d’un autre.
Le plus alarmant, dans la quasi-totalité des pays d’Afrique noire, c’est le caractère flagrant des errements politiques et sociaux auxquels nos présidents nous ont habitués. De telle sorte que nous finissons par accepter ce qui est anormal comme étant le contraire. Le faux remplace le vrai. En réalité, les pays africains vivent tous les mêmes drames, à quelques exceptions près. Nos grands-parents ont lutté pour acquérir l’indépendance, mais nous, nous n’avons rien fait pour la préserver. Et nous, nous n’offrons aucune garantie pour nos enfants. Résultats, nous sommes plus pauvres en 2019 qu’il y a cinquante-neuf ans et nous le demeurerons encore…
Néanmoins, chaque pays, chaque peuple peut trouver des solutions durables à ses problèmes. En cultivant l’indépendance véritable. Pas celle de l’esclave affranchi qui remercie son maître de l’avoir libéré des chaînes de la honte. Pas celle du clientélisme politique qui considère un seul homme, le président, comme une chance pour un pays, une nation. Mais celle qui consiste à rappeler ceci aux dirigeants : “Vous avez mal agi là. La nation est en danger”. Disons-le clairement, l’Afrique n’a ni besoin de ces opposants de pacotille qui s’achètent avec quelques billets de banque ni de ces escrocs de masses qui endorment la conscience populaire. Le Mali, après cinquante-neuf années d’autonomie, n’arrive même pas à nourrir ses filles et fils, encore moins leur trouver un toit décent. N’en parlons même pas de les éduquer et soigner. Nous devrions avoir honte de nous-mêmes et de nos dirigeants. Si nous méditons sérieusement sur notre sort, nous trouverons les réponses adéquates, chez nous. Au lieu de célébrer des fêtes nationales à coup de millions.
Vive l’indépendance, celle que Modibo Keita nous a ramenée, pas dans une sacoche à l’instar de son voisin Maurice Yaméogo de la Haute-Volta. Vive l’indépendance, pas celle que nos artistes ont chantée et dansée : indépendances tcha ! tcha ! Tables rondes tcha ! tcha ! Vive la vraie indépendance, celle qui va nous délivrer et nous ouvrir le chemin royal vers la liberté, la démocratie et la justice pour tous. Nous espérons être un jour témoin d’un “Mali brisé, outragé, mais d’un Mali libéré…” pour reprendre la célèbre formule de De Gaule, quand il évoquait la libération de Paris, en août 1944.