Le Pr Issa N’Diaye nous a accordé une interview, samedi dernier, au Mémorial Modibo Kéita. C’était à la fin de la conférence organisée par l’Association pour la Promotion des Idéaux des Pères des Indépendances Africaines et l’Association REPERES. Le thème portait sur l’histoire de Modibo Kéita et de ses compagnons.
Peut-on aujourd’hui parler d’un Mali vraiment indépendant ?
Non ! Aujourd’hui, il est clair que le Mali n’est indépendant sur aucun plan. On le voit à partir de ce qu’on constate de visu. Il n’y a qu’à voir la présence des troupes étrangères, c’est l’aspect le plus manifeste, on voit beaucoup d’uniformes militaires de pays étrangers circuler. Deuxièmement, si on voit les réalités économiques, la présence des sociétés étrangères, si vous vous promenez à travers la ville, vous voyez que les stations Total, les stations Shell, se sont multipliées à l’infini. Vous le voyez même au niveau des discours, quand on nous dit : les partenaires techniques et financiers, les bailleurs de fonds, ceci ou cela, ça veut dire que, de plus en plus, dans beaucoup de domaines, ce pays a perdu sa souveraineté. Même dans les réunions officielles que l’on tient vous êtes souvent surpris de constater qu’il y a beaucoup de visages étrangers, ça veut dire donc que le Mali n’a aucune souveraineté à l’heure actuelle. On ne peut pas parler d’un pays indépendant, c’est plutôt un vieux souvenir.
Si on applique l’Accord pour la Paix, quelles en seront les conséquences ?
Souvent, certains disent l’Accord de Bamako, issu du processus d’Alger. Je leur dis non ! C’est l’accord d’Alger, parce que c’est un accord qui a été pensé, conçu de l’extérieur et imposé au Mali. On nous a imposé sa signature. Je pense justement que cet accord renforce la domination étrangère sur le Mali, parce que ça nous fait obligation de réviser notre constitution, d’y introduire des dispositions, qui, à termes, nous le savons pertinemment, conduiront à la partition, dans la mesure où cette politique de régionalisation conduira nécessairement, dans un premier temps, à une autonomie et par la suite, à une indépendance, puisque les décisions prises par l’assemblée régionale ne peuvent, en aucune façon, être contestées par l’exécutif national. Donc, c’est la partition programmée du Mali, on l’a dit assez souvent, mais il est étonnant que certains Maliens continuent à dire que s’il y a des choses qui sont bonnes dans l’accord, c’est la paix. Avec cet accord, nous n’aurons pas la paix, parce que les populations des zones concernées ne vont jamais accepter que leur espace, leur héritage territorial, soit bradé et donné à une minorité, pour en faire ce qu’elle veut. Ça ne marchera jamais, au contraire, ça risque d’être une guerre civile sans fin.
Pourquoi avez-vous décidé d’aller au dialogue politique inclusif ?
Je faisais partie de ceux qui n’y croyaient pas, au début. Mais en discutant avec les uns et les autres, nous nous sommes dit « allons-y et essayons d’ouvrir cet espace. » C’est parce que nous avons pu mener cette bagarre, que l’idée de dialogue politique inclusif a été abandonnée. On a dit d’abord, dialogue national, parce qu’il y a eu des gens qui n’étaient pas des politiques. Nous ne sommes pas inscrits dans aucun camp politique. Nous n’avons aucun agenda électoral, nous avons dit que la situation du pays est telle qu’il faudrait que ce dialogue ait un caractère national et soit ouvert à tous les sujets concernant le pays et cette mobilisation a été menée. Nous avons vu les facilitateurs sur ce plan et ils ont consulté qui de droit et le pouvoir a accepté cette ouverture du dialogue politique inclusif au dialogue national. On peut donc dire que c’est grâce à la mobilisation, essentiellement de certains individus de la société civile, évidemment, aujourd’hui chacun revendique cette victoire, des partis politiques de l‘opposition disent que c’est parce que, etc, etc. qu’on a accepté, mais le dialogue est devenu national, c’est un pas. Ça veut dire que le pouvoir accepte aujourd’hui d’écouter tous les Maliens. Maintenant, la seconde étape, la seconde bagarre qui reste à mener consiste à dire : qu’est-ce qu’on va faire des résultats de ce dialogue, c’est une question essentielle. Nous, nous faisons partie de ceux qui sont en train de se battre pour dire : il ne faut pas que ce soit un dialogue de plus, que les conclusions qui vont sortir de ce dialogue soient retenues comme étant exécutoires, parce que ce sera l’expression de la volonté populaire. A cet effet, nous avons proposé la mise en place d’un mécanisme de suivi et d’évaluation qui va permettre de savoir, à tout moment, est-ce que ces conclusions sont appliquées par le gouvernement, quel qu’il soit et par les gouvernements qui vont venir ? Un mécanisme de suivi permanent, mais indépendant, qui ne va pas dépendre de l’exécutif, qui ne va pas dépendre d’un parti politique et qui va être composé de gens crédibles dans ce pays, parce que, malheureusement, la société civile aussi, est ce qu’elle est, elle est à mettre en cause, parce qu’elle a perdu toute autonomie, donc, il y a cette bagarre à mener, nous sommes là-dessus, j’espère que nous arriverons à l’emporter. Si nous y arrivions tant mieux, si nous n’y arrivions pas, en ce moment-là, peut-être qu’il va falloir chercher d’autres moyens par lesquels le peuple peut se faire écouter par les dirigeants et imposer sa volonté. C’est ça la bataille à mener.