Le maelstrom provoqué par un chevauchement d’agendas est en passe de refaire du Nord la poudrière qu’elle a toujours été depuis l’indépendance du Mali. Il y a les faucons et les colombes au sein de la Coordination des mouvements armés (CMA), d’une part, et, d’autre part, les partisans endurcis et récidivistes de l’application de la Charia ; le tout sur fond de lutte pour le contrôle des espaces à des fins de visées économiques à moyen et long terme, la paix précaire devient illusion.
L’Adresse à la Nation du Président de la République gardien de la Constitution, celui qui incarne l’unité nationale, le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, à l’occasion de la commémoration du 59e anniversaire de l’accession de notre pays à la souveraineté nationale et internationale, y est-elle vraiment pour quelque chose ? IBK, cédant probablement à l’impatience de la Communauté internationale, relativement à des avancées qui se font à vitesse d’escargot, en matière de mise en œuvre de l’Accord, mais aussi, à une indignation de l’opinion nationale, dans sa plus large expression qui voit dans l’Accord une prime à la sédition, a réaffirmé « l’attachement du Gouvernement malien à cet accord, quitte à en discuter certaines dispositions, l’essentiel étant d’en conserver l’esprit ».
Mais, cette annonce a été accueillie avec une obsession névrotique déconcertante de la CMA aussitôt montée sur ses grands chevaux pour dénoncer une « décision unilatérale ». Impératif communicationnel oblige, il faut biaiser l’idée du Président de la République. Dans sa déclaration, il n’y a aucune décision de prise ; mais elle ouvre la perspective de « discuter certaines dispositions », lors du Dialogue National Inclusif, creuset de toutes les sensibilités nationales. La décision n’est pas unilatérale, parce que le Gouvernement a signé l’Accord au nom de ceux-là qui seront présents au DNI. S’ils estiment que le Gouvernement a été distributeur ad libitum d’avantages indus et qu’il faudrait revoir certaines dispositions de l’Accord ; alors cette nouvelle donne s’imposerait à tous. Sans qu’il ne s’agisse bien sûr de remettre fondamentalement en cause l’Accord. C’est le scénario qu’abhorre la CMA et qui la fait tant courir pour vendre son obsession identitaire, de repli.
Ainsi, le report du 38e Comité de suivi de l’Accord (CSA) initialement prévu à Kidal, le 17 septembre dernier, et cette annonce présidentielle assimilée à un casus belli peuvent être légitimement perçus pour des exutoires. L’Accord invoqué à tout crin n’est pas écrit dans du marbre, il n’est pas un dogme, il n’est ni la Bible ni le Coran tel que l’a d’ailleurs souligné le Président IBK. Du reste, il ouvre la porte à un réaménagement en son article 65 : ‘’les dispositions du présent Accord et de ses annexes ne peuvent être modifiées qu’avec le consentement express de toutes les Parties signataires du présent Accord et après avis du Comité́ de suivi’’. Donc, sur le principe, ils peuvent être modifiés.
En fait, le corpus idéologique chez les ex-rebelles de la CMA est resté intact. Nonobstant la camisole de force imposée par la Secrétaire d’État américaine, lors des pourparlers d’Alger, des caciques de la CMA ou ceux qu’on présente comme tels, restent attachés à leur fantomatique État de l’Azawad. La réalité du terrain l’atteste à Kidal. En effet, même si une poignée de fonctionnaires occupent des postes techniques, ils ne font rien sans l’aval des responsables de la CMA. Les mouvements (MNLA, HCUA, MAA), toujours armés depuis qu’ils ont signé l’accord pour la paix il y a quatre ans, tiennent de facto la ville. Ils ont légiféré pour interdire la vente et la consommation d’alcool et pour imposer aux étrangers d’avoir un tuteur et posséder un titre de séjour délivré par la CMA. Idem pour les mariages, qui ne doivent plus être célébrés la nuit, comme les manifestations culturelles.
Les tenants de cette aile semblent résolument inscrits dans une dynamique de séparation d’avec le Mali. Pour eux, tout est matière à mettre de l’alcool sur des plaies mal cautérisées, tout est prétexte pour rompre avec la Mère Patrie.
D’un autre côté, nonobstant l’existence passerelles, il y a ceux qui n’ont jamais renoncé à leur projet d’érection d’un Califat au Mali, avec bien sûr comme loi fondamentale la charia. Certaines notes confidentielles nigériennes tendent à démasquer ce projet.
« Selon les autorités nigériennes, il (NDLR : le frère de l’Aménokal de Kidal) a participé à une réunion avec des émissaires du chef terroriste qui a fait allégeance à Daech : Abou Walid al-Saharoui. Le but : instaurer la charia à Ménaka, combattre les forces progouvernementales et « mener des attaques d’envergures au Niger » », rapporte Lepoint. fr.
Ce funeste projet n’émane ni de l’annonce présidentielle relativement à l’Accord pour la paix et la réconciliation en lequel les jihadistes ne se reconnaissent pas ni du report du 38e CSA prévu à Kidal.
Pour le Gouvernement (pas ce grand machin de Communauté internationale désormais connu sous toutes ses coutures), il y a urgence à reprendre la main. Il devrait être capable de proposer des réponses socialement et politiquement ajustées au plus près des aspirations des populations maliennes. La prudence et la procrastination remplaçant l’audace et la vitesse d’exécution, en la matière, ne sont pas les meilleurs alliés.