En marge de l'Assemblée générale de l'ONU, une réunion de chefs d'État africains, en présence du secrétaire général de l'ONU et du ministre français des Affaires étrangères, a conduit à un constat alarmant de la situation dans le Sahel. Par Patrick Forestier
En décembre 2009, Barack Obama annonçait au cours d'un discours devant les élèves officiers de l'Académie de West Point que 30 000 hommes supplémentaires allaient être envoyés en Afghanistan pour frapper vite et fort Al-Qaïda et les talibans. Un « surge » qui devait permettre d'affaiblir les insurgés avant de se retirer et confier la sécurité du pays aux forces afghanes. Dix ans après, des milliers de morts et plusieurs milliards de dollars dépensés, les troupes américaines sont parties dans leur grande majorité et les talibans sont aux portes de Kaboul, qu'ils martyrisent à coups d'attentats kamikazes.
Il est urgent d'agir…
Aujourd'hui, c'est un autre « surge » sur un autre continent, l'Afrique, que demandent les pays du Sahel pour tenter d'arrêter les groupes terroristes islamistes affiliés à la même idéologie d'Al-Qaïda. Devant l'urgence de la menace, ils se sont réunis en marge de l'Assemblée générale de l'ONU autour du secrétaire général Antonio Gutteres qui a véritablement sonné le tocsin, sans mâcher ses mots. « Je crains que nous ayons collectivement échoué à enrayer les causes profondes de la crise. Partout, les civils en payent le prix », a-t-il lancé devant le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian, son homologue algérien, et les présidents africains qui répètent depuis des années le même discours sans être vraiment entendus.
Pour eux, les tergiversations de la communauté internationale pour lutter contre ce fléau auront des conséquences désastreuses pour la planète. Le président malien Ibrahim Boubakar Keïta a rappelé qu'il y a urgence à ériger « une digue » contre le terrorisme, rejoint par Roch Marc Christian Kaboré, le chef de l'État burkinabé qui préside le G5 Sahel et le président nigérien Mahamadou Issoufou qui estime que « la communauté internationale est de plus en plus consciente de la gravité de la situation sécuritaire au Sahel qui se dégrade », appelant à une mobilisation optimale afin de barrer la route au terrorisme. Un discours alarmiste appuyé sans réserve par Antonio Guterres qui a rappelé que le soutien du monde n'est pas suffisant pour la force conjointe du G5, toujours pas opérationnelle faute de financements malgré les promesses. Seuls des fonds arabes d'un montant de 323 millions de dollars ont été décaissés. Bien loin des 2,4 milliards de dollars promis lors de la réunion des donateurs en février 2018 à Bruxelles, réitérée en décembre dernier à Nouakchott. Une réunion de relance des requêtes a même été organisée à la mi-septembre 2019 de nouveau dans la capitale mauritanienne. Sans résultats vraiment concrets.
... pour permettre la mise en œuvre des projets économiques
Les grands projets de développement concernant les routes, l'électricité, les ports ou l'eau sont toujours pratiquement au point mort. Devant cette inertie, et le décalage entre les discours incantatoires des pays européens sollicités par Emmanuel Macron qui ne veut plus que la France supporte seule la lutte contre le terrorisme, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), élargie au Tchad et à la Mauritanie, a décidé le 14 septembre dernier de prendre son destin en main en montrant l'exemple. Alors que les donateurs européens rechignent à mettre la main au portefeuille, la Cedeao annonce un plan d'action 2020-2024 d'un milliard de dollars sur cinq ans pour la lutte contre les groupes terroristes islamistes qui menacent désormais les accès à Ouagadougou et les villes du centre du Mali. Un plan ambitieux avec partage du renseignement, la base de la lutte insurrectionnelle, mutualisation des moyens, et démantèlement du trafic de drogue, source importante du financement des réseaux terroristes dans le Sahara. Avec un corolaire non écrit qui implique une chasse, sinon un coup d'arrêt à la corruption et l'arrestation de complices dans les forces de sécurité et les classes politiques des pays concernés. Avec désormais à sa tête le dynamique président nigérien Issoufou, la Cedeao demande au FMI et à la Banque mondiale de considérer ces dépenses sécuritaires comme des investissements, en ayant donc droit au soutien de ces organismes financiers.
La responsabilité de la communauté internationale engagée
Pour Mahamadou Issoufou et ses homologues, si le Sahel est plongé dans la guerre, c'est la faute de la communauté internationale, en premier lieu la France, qui a chassé le colonel Kadhafi sans avoir accompagné la reconstruction politique et économique de la Libye. À peine le dernier missile tiré, les forces alliées ont quitté la zone, laissant les trafiquants piller les gigantesques stocks d'armes du dictateur fantasque. Un arsenal désormais aux mains des terroristes partout au Sahel en proie à une offensive djihadiste sans précédent sur le continent. Une dette occidentale du point de vue des leaders, et de l'opinion africaine, qui imputent à cette expédition militaire lancée par le président français de l'époque Nicolas Sarkozy la source aujourd'hui de leur malheur. Huit ans après, le sursaut africain, accompagné par un secrétaire général de l'ONU qui tire comme jamais la sonnette d'alarme auprès des pays donateurs menacés eux aussi, sera-t-il en capacité d'inverser la situation en s'impliquant davantage auprès du dispositif Barkhane qui marque le pas ? Le surge américain financé jadis en Afghanistan à une hauteur qui ne sera probablement jamais atteinte par les Européens n'a pas pu gagner la bataille contre les djihadistes, qui sont maintenant aux portes de Kaboul. Un combat similaire avec des moyens moindres va se dérouler au Sahel. Une bataille incertaine qui concerne les peuples des deux côtés de la Méditerranée.