Faute de moyens suffisants ou de volonté, le Gouvernement est réduit à un mutisme assourdissant face à un problème aussi prégnant que la série noire d’incendies qui angoisse les populations depuis une semaine.
La semaine dernière, un camion-citerne qui se renverse et déclenche un incendie causant des pertes en vie humaine et d’importants dégâts matériels à Badalabougou. Le lendemain, un autre camion-citerne manque de peu de se renverser réitérant probablement le sinistre de la veille. Plus tard, un camion transportant des bâches et des chaises a été totalement consumé. Ce lundi matin, un véhicule 4×4 de transport de lait a pris feu sur la route de Koulouba, côté Jardin zoologique. Il a été totalement calciné. Hier, un car qui prend feu, entre Diéma et Didiéni. Vraiment, ça fait beaucoup. Ça fait même trop pour sortir du cadre d’incidents isolés et s’inscrire en bonne place des priorités les plus pressantes. D’autant plus qu’il s’agit de la sécurité des personnes et des biens publics comme privés.
Dans cette situation bombesque, l’on assiste aux spéculations des plus hasardeuses au plus ensorceleuses : du kérosène dans nos réservoirs de véhicule ; une vengeance des partisans de Bakary TOGOLA, en détention ; des actes de sabotage aux fins de semer la psychose au sein de la population ; un châtiment divin. Des gens incriminent l’état lamentable de la plupart des routes ou pointent du doigt des défaillances techniques des engins… Tout y passe. Parce qu’il faut trouver des réponses. Ainsi est faite la nature humaine. En l’absence de réponse satisfaisante, l’on s’en crée de toutes pièces. Cela aussi relève de la nature humaine. D’ailleurs ne dit-on pas que la nature a horreur du vide ? Il faut donc coûte que coûte trouver une explication à cette série noire d’incendies touchant les véhicules. Et dans cet exercice insolite, les Maliens ont l’imagination particulièrement fertile.
La quête de réponse qui s’inscrit dans l’ordre normal des choses (l’homme a besoin de réponses) ne manque pas de révéler certains comportements : la fatalité, la paresse intellectuelle, l’incurie… Est-on blâmable du comportement que l’on a devant un phénomène inexpliqué ? Assurément pas.
Par contre, comme dans une épidémie de choléra, d’intoxication alimentaire, mettant gravement en péril la vie des populations, l’État est interpellé et devrait réagir avec célérité. Il était attendu de l’État malien d’ouvrir rapidement une enquête pour déceler les causes exactes de ces incendies, afin d’y mettre un terme aussi rapidement. C’est vrai qu’après le premier incendie à Bamako, celui du camion-citerne, le Gouvernement, dans son communiqué, a annoncé l’ouverture d’une enquête. Tout en ne lui déniant pas le bénéfice du doute (tout présumé coupable y a droit), l’on serait tenté à porter plus de crédit à ce proverbe rwandais : ‘’les promesses engraissent les oreilles, pas les joues’’. Cela, sur la foi à d’une ribambelle de problèmes en chaîne jamais résolus, d’une constellation d’enquêtes ouvertes, jamais refermées.
Depuis la fameuse annonce, la spirale négative des incendies s’est accélérée sans que l’on n’ait aucune réponse irréfragable. L’État malien manquerait-il à ce point d’expertise pour avoir recours à son sport favori, à savoir la fuite en avant ? Serait-il aussi irresponsable pour grossir la foule des spectateurs des véhicules en feu et de la mort de personnes dont le seul tort est souvent de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment ? Et nous revoilà à la case départ : des questions sans réponse.
Alors, serions-nous les damnés de la terre obligés d’affronter avec stoïcisme tous les malheurs ? Dans l’attente d’hypothétiques réponses, l’on peut s’accorder sur un fait, sans procès d’intention aucun : cet Etat est défaillant sur toute la ligne. Non pas parce qu’il est responsable des drames qui angoissent la population, mais par son incapacité coupable de diligenter un diagnostic exact et d’appliquer la mesure qui s’impose. Parce que les citoyens ont droit à la sécurité : ‘’la personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne’’ (article 1er de la Constitution du 25 Février 1992). Cela n’est pas négociable.