C’est au lendemain du 1er tour de l’élection présidentielle de 2002 que jacques Chirac a réfléchi sur le choix d’un Premier ministre.
Le 22 avril 2002, en fin de matinée, il réunit à l’Élysée l’état-major de l’Union en mouvement (UMP) lancée à Toulouse deux mois auparavant, sous l’impulsion d’Alain Juppé et de Jérôme Monod.
Au cours de la rencontre, Jacques Chirac demande aux différents responsables réunis, d’anticiper la création du grand mouvement de la majorité présidentielle ‘qui incarne ce que nous pensons collectivement’.
Sous son impulsion, un conseil des fondateurs de la future UMP se met en place. Sa première tâche est de préparer les investitures pour le futur scrutin législatif de juin. À ses yeux, la création de ce mouvement est un signal clair de changement majeur de la vie politique qu’il veut montrer aux Français qui s’apprêtent à lui confier un second mandat. Il doit désigner un Premier ministre le mieux à même de l’incarner.
Plusieurs noms lui viennent en tête : Nicolas Sarkozy, Jean Pierre Raffarin et Philipe Douste-Blazy.
Pour Jacques Chirac, Philippe Douste-Blazy présente l’avantage de ne pas être issu du RPR. Aussi, en tant que Président du Groupe parlementaire UDF à l’Assemblée Nationale, il a fait preuve d’une grande énergie et d’une grande capacité de persuasion en ralliant tous les députés UDF à la nouvelle union, en dépit de la vive opposition de son Chef François Bayrou. Cependant, Chirac hésite à le choisir car, il est persuadé qu’il n’aurait pas l’autorité nécessaire pour s’imposer à Matignon. La carte Philippe Douste-Blazy abandonnée, il reste deux autres choix.
Nicolas Sarkozy paraît à ses yeux le mieux préparé à occuper cette fonction. Il a des qualités : sa force de travail, son énergie, son sens tactique, ses talents médiatiques qui font de lui l’un des hommes les plus doués de sa génération. Son expérience gouvernementale, son dynamisme, son insatiable appétit d’action plaident aussi en sa faveur. Mieux, certains membres de l’entourage de Jacques Chirac comme Dominique Galouso de Villepin sont favorables à ce choix, l’estimant utile pour lui permettre de faire ses preuves.
Cependant, ils sont plus nombreux à déconseiller vivement à Jacques Chirac de le nommer à l’Hôtel de Matignon, le jugeant peu fiable par rapport à ce qu’un Président de la République, conformément à l’esprit de la constitution, peut attendre de son Premier ministre : une loyauté, une transparence totale dans leurs relations.
Le risque pour Chirac serait de se trouver confronté à un Premier ministre prompt à affirmer son autonomie, à lui disputer ses propres prérogatives, sans s’interdire de paraître déjà briguer sa succession. Or, il doit avoir un Premier ministre avec lequel il se sent en parfaite harmonie et sur lequel il peut s’appuyer en toute confiance. Jacques Chirac se rallie aux opposants de ce choix reconnaissant lui-même qu’il existe trop de zones d’ombre entre lui et Sarkozy pour lui confier une si grande responsabilité.
C’est tout naturellement qu’il nomme Jean-Pierre Raffarin qu’il considère comme un homme neuf. Sénateur, Président de Région, représentant de cette République de proximité, détestée par les élites parisiennes et qui aspire à plus d’écoute et de reconnaissance. Ce choix s’explique aussi par son brillant passage au gouvernement de Juppé, comme ministre des petites et moyennes entreprises, du Commerce et de l’Artisanat. Son plan PME pour la France est considéré comme un grand succès. Mieux, Chirac éprouve de l’admiration pour cet homme calme, patient, astucieux, habile à se ménager des appuis, à organiser ses réseaux, qui sait avancer sans se mettre en avant, ni paraître déranger personne. En plus, il n’est pas l’homme des coups d’éclat et de l’arrogance politicienne. Mais celui de la méthode, de la volonté sûre, du pragmatisme équilibré. Sa finesse d’analyse va de pair avec une fermeté de caractère que ne laissent pas toujours présager ses apparences de bon vivant, jovial, consensuel. Pour Jacques Chirac, son choix illustre le retour du bon sens, du sens commun, de l’ordre juste et mesuré, la revanche de l’humilité sur la prétention, de la modestie sur la vanité.
Secrétaire Général de l’UDF, fidèle d’entre les fidèles de Valérie Giscard d’Estaing, Jean Pierre Raffarin joue un rôle de premier plan dans le rapprochement entre Chirac et son mentor, deux hommes qui se détestaient froidement depuis le lourd contentieux historique de 1981. Giscard ne pardonne jamais à son ancien Premier ministre démissionnaire, de l’avoir trahi entre les deux tours de l’élection présidentielle qui a consacré la victoire du socialiste François Mitterrand.
Avec le temps et surtout grâce à la perspicacité de Jean Pierre Raffarin, les deux hommes enterrent la hache de guerre. Et au nom de ce que Chirac lui-même qualifie du principe de la dernière haine, Giscard concentre désormais sa féroce animosité sur Édouard Balladur, manifestant une indulgence momentanée à Chirac, se traduisant par un certain apaisement dans leur rapport, ponctué de rencontres régulières à son domicile parisien. Raffarin était le témoin et l’organisateur de ces rencontres. Il est avec Dominique Perben, Michel Barnier et Jacques Barot, les premiers architectes de l’UMP, ce mouvement qui ambitionnait de faire de la droite, le creuset fécond de l’unité dans l’action, la force invincible qui se donne pour vocation de changer le visage et l’âme de la France.
Le second quinquennat, loin d’être un long fleuve tranquille pour Jacques Chirac et sa nouvelle majorité, ouvre un nouveau chapitre de tourments, d’instabilité, de querelles de clans, de luttes fratricides et de positionnement.
Comme en 1981, lorsque Jacques Chaban Delmas et Giscard l’accusaient d’avoir été Brutus, il quitte l’Elysée en 2007, non sans cacher son amertume et son agacement pour Nicolas Sarkosy, le nouveau Président, le fils rebelle prêt à brader l’héritage qu’il a construit de sa main, patiemment et obstinément et auprès duquel il ne bénéficiera d’aucune mansuétude particulière.
Jacques Chirac se voit dans un champ de ruines. Général au milieu d’une troupe en débandade, lui, l’homme-orchestre de la droite depuis plusieurs décennies, le tueur silencieux, le stratège, voit le pouvoir lui quitter, ses principaux lieutenants éjectés sans ménagement par le nouveau Chef décidé à prendre ses marques et à marquer son territoire. Il range ses armes et se reconstruit. Après le pouvoir, la vie continue….