La sollicitude des pouvoirs publics aux créateurs d’entreprises au Mali a été longue à venir et nous avons souvent désespéré de l’obtenir un jour. Aujourd’hui, elle est là, consciente, raisonnée, organisée et tutélaire. Mais elle risque, par son mécanisme administratif inévitable, de broyer quelques initiatives. Notre modeste contribution, c’est de montrer au moins cinq pièges dans lesquels elle risque de tomber : trop aplanir les obstacles ; pousser tous les candidats sans “discrimination” ; prétendre juger les produits ; technocratiser les créateurs ; rationaliser la création.
Trop aplanir les obstacles
Si les obstacles à la création d’entreprise ont été depuis toujours bien trop hauts et réservés aux seuls meilleurs sauteurs, il ne faut pas et surtout pas les aplanir totalement et livrer le passage à quelques marcheurs, même éclopés. La création d’entreprise doit rester essentiellement une course de haies. Un parti politique dans un des pays de la sous-région avait récemment proposé un “Bureau national” de la création d’entreprises, où celles-ci ne s’effectueraient plus dans la douleur mais dans la joie, sous la tutelle sans recours d’une banque d’investissement et sur un projet jugé par un aréopage de bureaucrates. Ainsi serait née l’entreprise idéale, aseptisée, fignolée, parrainée, financée à hauteur de souhaits.
Pousser tous les candidats sans “discrimination”
Le second risque, c’est de pousser trop de jeunes vers la création d’entreprise sans “discrimination” et sans élimination sélective de ceux qui ne présentent pas les qualités essentielles pour entreprendre et mettre en œuvre des projets pertinents et viables ; et comme l’affirment certains, bancables. C’est le risque des mesures ou des aides générales dont le seul critère serait encore une fois un diplôme qui n’en est en rien le garant des qualités d’entrepreneur. Si l’engouement et le prosélytisme devenaient trop forts et indifférenciés, on verrait se multiplier les naufrages des moins doués.
Prétendre juger les produits
Une méthode appréciée aujourd’hui est l’attribution d’un prix par un jury au cours d’une cérémonie officielle qui, par bonheur, met en évidence la création, fait connaître les heureux gagnants, voire parfois les membres du jury. Le danger de ce choix c’est que, fort souvent, outre les qualités du candidat, l’aréopage croît pouvoir juger le produit lui-même. Or, il s’agit là d’une erreur monumentale car le créneau est spécifiquement le secret de l’entrepreneur.
S’il paraît bon à un groupe de sages, de gens raisonnables et même compétents, c’est qu’il est déjà dans l’air du temps, donc dépassé. C’est sûrement un mauvais créneau. Au contraire, s’il parait incongru, non conformiste, peu raisonnable ou farfelu, il a quelques chances de réussir.
Technocratiser les créateurs
Le quatrième danger de la sollicitude des pouvoirs publics se trouve dans le risque de technocratisation, de formalisation et de bureaucratisation, de la création elle-même. L’administration ne peut exercer sa sollicitude même bienveillante que par des lois, des arrêtés, des décrets, des papiers, des dossiers, des examens à n’en pas finir, des primes, des remboursements et autres formalités vite abruptes dans leur amoncellement. Or, le créateur doit rester un indépendant certes dans une dynamique d’interdépendance qui supporte mal les contraintes trop lourdes et qui a besoin, pour réussir, de toute sa liberté d’esprit. Et comme dirait l’autre, “la liberté canalisée” n’est déjà plus la liberté.
Rationaliser la création
Enfin, il est à craindre que saisie par des universitaires et des auteurs, la création d’entreprises, phénomène aussi spontanée que la naissance d’un petit animal, devienne conceptualisée, “intellectualisée”. On verrait alors de nouvelles races de penseurs tenter leur chance dans l’économie marchande avec le succès que l’on devine. Sur ce point, oserais-je rappeler une fois la recette qu’un entrepreneur indien a donné à des jeunes avides de réussir qui l’ont interpellé lors d’une conférence thématique à Bombay pour connaître le dosage des qualités les plus indispensables pour créer une entreprise :
– 5 % de finance.
– 15 % de compétences.
– 40 % de “flair”.
– 40 % de courage fait de sueur, que de sueur et toujours plus de sueur.