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Résolution de la crise au «centre» du Mali : Des tensions interethniques de cohabitation dues aux effets des changements climatiques
Publié le mercredi 9 octobre 2019  |  Le Matin
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«Conflits intercommunautaires au Centre du Mali : Pourquoi la batterie de solutions ne fonctionne pas ?» ! Tel est le titre d’une étude réalisée par M. Ousmane Kornio au compte du programme «Policy Paper» de la Fondation Friedrich Ebert (FES, août-septembre 2019). Elle pose clairement la problématique de la crise au «centre» du Mali. Et selon l’auteur, cela est plus large qu’un «simple problème de sécurité».
Pour Ousmane Kornio (consultant et expert sur les questions de sécurité, de conflits et de développement ; auteur de plusieurs études et réflexions sur les conflits au Mali) la situation du centre du Mali est «un problème systémique» comportant des sujets culturels, sociaux, de développement, de gouvernance… Elle est aggravée par les tensions interethniques de cohabitation dues aux effets des changements climatiques qui imposent aux populations des changements de comportements, de modes de vie et de formes et pratiques professionnelles d’agriculture, de pêche et de d’élevage.

Les populations n’ont malheureusement pas été préparées à ces changements. Ainsi, préconise l’auteur de cette étude (entièrement disponible sur le site de la FES : https://www.fes-mali.org/images/Centre-FES-PolicyPaper.pdf), la solution passe par «une analyse profonde de tous ces aspects et leurs corrélations pour bien dégager les différentes hypothèses : celles des acteurs et de leurs comportements, mais aussi celles des différents facteurs favorisant leurs difficultés de cohabitation pacifique comme cela a toujours été le cas sur cet espace de vie».

Et de préciser que, pour comprendre la situation du centre et les événements qui s’y produisent depuis quelques années, «il est nécessaire de fractionner le problème en ses différentes composantes et de l’appréhender au niveau de chaque composante, à savoir les acteurs, leurs comportements et les motifs de ces comportements». Pour ce faire, les réponses aux questions suivantes sont indispensables.

Qui sont ceux qui s’attaquent (les auteurs et les victimes) ? Autour de quoi ils s’affrontent (les enjeux et motifs/causes profondes des affrontements) ? Qu’est-ce qui alimente ces attaques (les facteurs favorisants) ? «Pour répondre à ces questions, on ne peut s’épargner de voir l’espace dont il est question de manière holistique en le décomposant en ses différentes parties identitaires dont chacune vit la situation à sa manière, avec ses acteurs caractéristiques et pour des motifs qui lui sont propres», explique le consultant.

L’harmonie brisée par l’occupation anarchique de l’espace

Ici, nous nous intéressons à la zone exondée sud (4e zone) qui est passée de « l’inter complémentarité à l’affrontement». Elle s’étale au sud du delta et est composée des zones agro-écologiques du «Séno», du «Gondo», du «Haïré» et d’une partie du plateau Dogon. Il s’agit des cercles de Douentza, Koro, Bankass et d’une partie de Bandiagara.

La zone exondée s’étend un peu au-delà de la frontière du Mali pour couvrir une partie des régions nord du Burkina-Faso. Elle était considérée, dans le système de gestion de l’espace agropastoral de la Dina de Sékou Amadou, comme la zone de retrait des animaux du Delta pendant la période de crue. Donc elle était «une zone de non droit» d’autant plus que, à cette période, la zone était peu peuplée par des communautés d’agriculteurs sédentaires dogons et des communautés d’éleveurs peuls, toutes étaient aussi semi nomades. Aussi, la densité de peuplement de ces zones était faible, donc le besoin de terre agricole n’était pas bien marqué justifiant ainsi le système de complémentarité intercommunautaire entre agriculteurs Dogons et éleveurs Peulhs. Ces derniers n’avaient pas d’animaux et gardaient les animaux que les sédentaires agriculteurs leur confiaient.
C’est la raison pour laquelle il était aisé de constater que, à côté de chaque village sédentaire dogon, il y avait un hameau d’éleveurs peuls chargés de garder les animaux des Dogons. Ainsi, chaque famille Dogon avait sa famille Peulh et vis-versa. Compte tenu de l’inter complémentarité entre ces deux communautés, il était impensable qu’il puisse y savoir des affrontements meurtriers entre elles. Cependant, au fil du temps, trois phénomènes vont impacter sur cette cohabitation harmonieuse : l’occupation anarchique de l’espace par les communautés d’agriculteurs dogons !

Avec la forte démographie des Dogons, les villages ont commencé à se décentraliser et à occuper tout l’espace par la création de hameaux de cultures qui, au fil du temps, se sont érigés en villages. «Cette forme d’occupation progressive de l’espace par les agriculteurs dogons excluait les éleveurs peuls», explique Ousmane Kornio. Et pendant la période de «décentralisation» de nouveaux hameaux dogons, les Peuls, qui gardaient initialement les animaux des Dogons, ont pu entretemps constituer leurs propres troupeaux.

Ainsi, pour les éleveurs peuls, le fait d’avoir leurs propres troupeaux «leur confère légitimement le droit d’avoir des espaces pastoraux». Les Dogons ayant occupé presque tout l’espace avec les nouveaux hameaux de culture et ayant décidé de retirer leurs animaux aux peuls pour les garder eux-mêmes, les communautés peuls se sont retrouvées sans espaces pastoraux. Et, qui plus est, sans terres agricoles pour ceux qui, après le retrait des animaux des Dogons, ont voulu se lancer dans l’agriculture pour survivre.

«Cela crée une situation d’exclusion de fait des communautés peuls de l’accès à l’espace aussi bien pour ceux qui sont devenus propriétaires d’animaux que ceux qui voudraient, par la force des choses, se reconvertir dans l’agriculture», explique M. Kornio. Originaires et autochtones de ces zones, ces communautés de peuls éleveurs se sont vues dans le devoir de réclamer leurs parts d’espace pastoral pour leur cheptel et agricole pour ceux qui voudraient pratiquer l’agriculture.

Des attaques entre communautés appuyées par des renforts venus du Delta ou de Bamako

D’où la tension entre les communautés peuls et dogons autour de l’accès à l’espace. Une tension exacerbée par la présence des extrémistes religieux harcelés au nord et en quête d’espace. En effet, lors de l’occupation des régions dites du nord et du centre par les groupes armés djihadistes, les communautés peuls de cette zone auraient profité de la situation pour s’allier avec les forces d’occupation (MUJAO) afin de combattre les communautés sédentaires dogons dans l’espoir de reconquérir les espaces convoités.

«Pour les communautés sédentaires, cet engagement est un acte de traitrise qu’elles ne sauraient comprendre de la part de leurs anciens alliés et qu’elles n’ont jamais digéré. Ainsi, dès que les djihadistes ont été chassés suite à l’intervention de l’opération Serval et tout ce qui s’en est suivi, les deux communautés ont eu du mal à rétablir la confiance d’antan. Cette crise de confiance est devenue l’élément déclencheur des altercations, d’abord isolées entre éleveurs et hameaux d’agriculteurs», souligne l’expert.

Et naturellement avec l’absence de l’intervention préventive de l’Etat pour circonscrire les attaques anodines de part et d’autre, le phénomène s’est amplifié en s’érigeant en affrontements inter communautaires entre peuls éleveurs et dogons agriculteurs. Chaque communauté, pour se défendre ou attaquer, s’est constituée en groupes d’autodéfense ou milices, malheureusement soutenus par des élites dans les grandes villes, notamment à Bamako.

Comme dans le delta, autant des jeunes éleveurs du Haïré, du Gondo et du Séno avaient prêté mains fortes aux éleveurs du Delta, autant on a assisté à l’action inverse : de jeunes Peulhs éleveurs infiltrés par des éléments djihadistes ont rejoint le Séno, le Gondo et le Haïré pour prêter mains fortes à leurs communautés. Donc les attaques se font entre communautés peuls éleveurs appuyées par des renforts venus du Delta et d’ailleurs et des communautés sédentaires majoritairement dogons, lesquelles auraient aussi reçu des appuis de leurs cadres et associations de ressortissants installés dans les grandes villes comme la capitale.

Moussa Bolly

Source : Le Matin

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