En annonçant, dans une interview accordée à Rfi, la tenue de la 38e session du Comité de suivi de l’Accord (CSA), à Bamako, dans un mois, Tiébilé DRAME insinue un gage de l’Algérie qui briderait les conditions posées par la CMA, à l’issue de sa session extraordinaire du 16 septembre dernier. Mais l’envers de ce tableau en apparence reluisant pourrait révéler un ouragan.
L’initiative du ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale de se rendre à Alger, pour discuter avec son homologue, ce 5 octobre, au regard de la tempête de sable qui déferle sur le processus de paix et de réconciliation, après l’ouverture de la porte, par le Président IBK, à des amendements de certaines dispositions de l’Accord, à la faveur du Dialogue National Inclusif (DNI), est à saluer.
De même, le comportement du Chef de la diplomatie, dans l’interview accordée à Rfi, a été impeccable. Il a été le bouclier impénétrable du Président de la République et l’Avocat inébranlable de la cause d’un Mali Un et Indivisible. À une exception près tout de même : son annonce de la tenue prochaine de la 38e session du CSA, initialement prévue à Kidal, le 17 septembre dernier et reportée in extremis, à la demande du Président IBK, pour des raisons d’État. Il déclare à cet effet : « oui, cette annulation ne signifie pas que le processus était sur le point de dérailler. Nous nous sommes entendus avec la présidence algérienne du Comité de suivi de l’Accord. La prochaine session du Comité de suivi de l’accord se tiendra à Bamako dans un mois. Donc, nous nous retrouverons à Bamako dans quelques semaines pour reprendre les travaux, pour accélérer la cadence ». À la question de savoir si ce CSA annoncé se tiendra avec la participation de la CMA, le Chef de la diplomatie répond : « bien entendu que c’est hautement souhaitable que tout le monde soit présent, il n’y a pas de Comité de suivi sans tous les partis signataires ».
À l’enchaînement des idées, il y a un accord avec le ministre algérien des Affaires étrangères pour la tenue du prochain CSA dans la capitale. Un accord d’autant plus important, faut-il le souligner, que l’Algérie est le Chef de file de la Médiation internationale ? Or, pour le ministre algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum : « cet accord constitue le cadre idoine pour résoudre la crise dans le nord du Mali dans le cadre d’une approche inclusive qui allie la concrétisation de la paix et de la stabilité et la relance du développement dans le pays ». Pour les observateurs avertis, c’est un verrou diplomatique que le ministre algérien oppose aux velléités d’amendements de certaines dispositions de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Toutes choses qui ont du reste motivé le retrait de la Coordination des mouvements armés (CMA) du processus de Dialogue National Inclusif. Il semble donc y avoir un quiproquo sur l’objet de l’entente entre les deux ministres qui ne semblent pas capter l’info sur la même fréquence. Ce, d’autant plus que la CMA, dans sa déclaration du 16 septembre dernier ‘’demande aux organisations et pays membres de la médiation d’observer une stricte neutralité vis-à-vis des parties, il y va de leur crédibilité’’. Difficile d’imaginer l’Algérie braver cette ligne rouge des ex-rebelles ; d’autant plus qu’il y a des signes à peine dissimulés que ce pays ami et frère s’accommode très mal de la tendance à l’émancipation du Mali ; de son projet de briser l’image de condominium qui lui colle à la peau et qui heurte la fibre patriotique de plus d’un.
Mais ce tortillage diplomatique n’est pas la seule contrariété pour la tenue du 38e CSA dans la capitale. Il faut rappeler à cet effet que le Comité Directeur de la CMA, réuni le 16 Septembre 2019 en session extraordinaire, à Kidal, suite à l’annulation de la tenue de la 38ème réunion du CSA, a demandé : ‘’une réunion urgente avant toute autre étape avec la communauté internationale et les autres parties de l’Accord dans un lieu neutre pour clarifier l’ensemble des questions pendantes notamment la « raison d’État impérative » qui a motivé l’annulation de la 38ème session du CSA, afin de procéder à une évaluation transparente de la situation actuelle et de la gouvernance de l’accord’’. À ce qu’on sache, cette condition n’a pas été satisfaite. Et ce ne sont certainement pas les appels guillerets du Chef de la diplomatie, Tiébilé DRAME, qui transformeront les faucons de la CMA en colombes.
Dans le pire des scenarii, la CMA pourrait prendre l’annonce faite par M. DRAME comme une énième bravade pour se braquer davantage. L’ancien ministre des Affaires étrangères, Zahabi Sidi Ould Mohamed, avait pourtant mis en garde : il y a des extrémistes au Nord qui n’attendent qu’un atermoiement de Bamako pour sortir de l’Accord. Du coup, cette annonce, pour le moins rocambolesque, est beaucoup plus périlleuse que salutaire pour un Accord qui est dans le creux de la vague, en dépit de certains jugements plutôt accommodants. La passion a-t-elle pris le pas sur la raison ; dans la mesure où depuis l’esclandre de l’Hymne national, le 25 mai dernier, Tiébilé et la CMA se regardent en chiens de faïence ? Après tout, ce ne serait pas le scandale du siècle de se rendre dans un pays neutre (Algérie ?) pour remettre le processus de paix et de réconciliation sur les rails, puisque l’Accord de mai et juin 2015 a lui-même été négocié durant 8 mois à Alger ; un Accord a été signé à Ouagadougou le 18 juin 2013 entre le Gouvernement et les groupes rebelles pour permettre la tenue de l’élection présidentielle de 2013 ; un accord a été signé le 4 juillet 2016 à Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal… La fierté nationale ? Elle est depuis belle lurette entre parenthèses. Quand on perd la guerre, on passe sous les fourches caudines. La pilule est amère, il faut bien l’avaler.