Les manifestations organisées ici et là vont au-delà de contestations à l'endroit du gouvernement. Elles visent maintenant directement les contingents sur place de militaires onusiens et français.
La mort de plusieurs dizaines de soldats abattus le 1er octobre par des groupes terroristes au cours d'une attaque de deux garnisons proches de la frontière du Burkina Faso ne finit pas de faire des vagues au Mali. D'abord au plus haut sommet de l'État. Six jours après cette sanglante défaite militaire, inédite depuis l'arrivée des troupes françaises de l'opération Serval en 2013, le président Keïta s'est senti obligé de démentir les rumeurs de coup d'État qui courent à Bamako. Pendant les trois jours de deuil national, des femmes ont manifesté devant le palais présidentiel pour exiger des nouvelles de leur mari, accusant la hiérarchie de rester planquée à l'arrière et le pouvoir de ne pas donner les moyens à la troupe pour effectuer ses missions. Elles n'ont pas cru aux communiqués officiels qui varient au fil des jours. De 11, puis 20, les pertes annoncées atteignaient 40 et les chiffres sont restés confus concernant les 60 disparus. Le ministre de la Défense a beau annoncer que 33 ont été retrouvés, les populations n'y croient pas. Un chiffre mis à mal par l'organisation terroriste, le Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans du Touareg Iyad Ag Ghali qui regroupe quatre autres mouvements dont les chefs apparaissaient sur une vidéo en mars dernier.
Les djihadistes terroristes à la fête
En fusionnant sous la bannière d'Al-Qaïda, les organisations terroristes du nord et du centre du pays, en particulier la Katiba peul Macina, le chef touareg a augmenté sa puissance de feu, qui lui permet désormais de lancer, non plus des embuscades, mais des attaques en règle contre des camps militaires en coordination, apparemment, avec les groupes qui mènent des actions au Burkina Faso. Cette fois-ci, Ag Ghali savoure sa victoire en revendiquant la double attaque. Selon lui, c'est plus de 80 soldats maliens qui ont été tués par ses hommes, soit le double de la version gouvernementale. Ils auraient même, affirme-t-il dans un communiqué, capturé plusieurs soldats et un colonel, qui commandait probablement le détachement, et saisi une quinzaine de mitrailleuses, 76 kalachnikov, 2 mortiers et plusieurs caisses de munitions. Une guerre, cette fois-ci de l'information sur Internet, que les terroristes maitrisent désormais. Une stratégie qui accentue le trouble dans l'opinion qui n'a pas confiance à son gouvernement, déjà discrédité par ses échecs face aux groupes terroristes. Il n'est pas le seul.
Les troupes étrangères en difficulté...
Les troupes étrangères sont aussi régulièrement conspuées depuis quelques mois. Le 10 octobre, un millier de manifestants marchent dans Sévaré, dans la région centre où se déroulent les combats. Ils se sont rassemblés à l'appel de plusieurs associations de la société civile qui réclament le départ de la mission de maintien de la paix des Nations unies, la Minusma, et du dispositif militaire français Barkhane qui, selon des participants, n'arrivent pas à faire face aux terroristes. En revanche, ils souhaitent la venue de la Russie au Mali, susceptible pour eux d'être plus efficace pour résoudre la crise. Un appel minoritaire, pour le moment, qui s'appuie en fait sur l'offensive tous azimuts de Moscou en Afrique, qui cherche à étendre son influence sur le continent.
... les Russes en embuscade
Même si les résultats sont mitigés, la diplomatie russe, et ses mercenaires, ont fait signer un accord entre les milices en République centrafricaine, d'autres pour exploiter l'or en échange d'une coopération militaire et le don d'armements. La garde présidentielle est désormais russe tandis que la présence française se réduit comme peau de chagrin. Pour les Maliens, la « méthode russe », qui ne s'embarrasse pas trop des droits de l'homme, serait à même de venir à bout des groupes islamistes, comme en Syrie où les bombardiers russes ne font pas de distinction entre les civils et les islamistes. Au Mali, le résultat n'est pas certain ne serait-ce qu'au regard de ce qui s'est passé jadis avec le corps expéditionnaire soviétique en Afghanistan.
Défiance de plus en plus forte à l'endroit de Barkhane
À Sévaré, qui abrite pourtant un camp militaire, la peur a en fait gagné les esprits depuis que la région, y compris les accès à la ville de Ségou, sont passés sous le contrôle des djihadistes. À chaque attaque de village, l'armée n'arrive parfois que le lendemain de peur de tomber dans une embuscade. Déjà en 2018, plusieurs manifestations avaient éclaté à Bamako contre la présence militaire française. L'une a même eu lieu devant l'ambassade de France au nom de l'anti-impérialisme. Une autre a défilé avec des banderoles de l'Union des jeunes patriotes. La participation était beaucoup plus importante en avril dernier, ou 30 000 à 50 000 personnes ont manifesté dans la capitale pour protester contre le massacre de 160 habitants peuls dans le village d'Ogossagou.
Associations d'opposition, de la société civile, chefs religieux, ont protesté contre la violence, en mettant aussi en cause les troupes françaises. » Ceux qui sont venus nous aider doivent le faire en toute franchise ou quitter le Mali », a dit l'imam Dicko, à l'époque président du Haut Conseil islamique du Mali. Après la prière, des femmes voilées de noir ont brandi des pancartes sur la place de l'Indépendance, demandant l'application de la charia, le départ de la France et l'aide de la Russie. Un leitmotiv qui risque de placer les responsables des opérations françaises dans l'embarras. Après chaque revers meurtrier essuyé par les forces maliennes, le dispositif français dans la lutte antiterroriste devient de moins en moins confortable,. Le risque pour les troupes françaises : être accusée par une opinion versatile d'être responsable de la faillite de son allié sur le terrain.