Il le reconnait volontiers : « je suis plus un actif qu’un contemplatif ». En effet l’Ambassadeur Christian Rouyer ne s’embarrasse pas de cette « camisole de force diplomatique » qu’est l’obligation de réserve. Et au risque de déranger et même de déplaire dit tout haut ce qu’il pense, comme il en avait la preuve le 11 décembre dernier devant la presque totalité de la classe politique, au détour d’une conférence sur le Nord Mali. Voilà donc un diplomate « tous terrains » qui se refuse à rester enfermé dans ses lambris quand ce pays pour lequel il voue un attachement viscéral traverse des moments difficiles. Il dit ses vérités et son espoir au Républicain.
Le Républicain : Que pensez-vous des déclarations du Chargé d’affaires de l’UE sur la Transition en cours et sur le Gouvernement ?
Il n’est pas d’usage de commenter les déclarations d’un collègue.
Le Républicain : Après la déclaration d’indépendance, le MNLA vient de publier la liste de son «gouvernement»: que pense la France de cette nouvelle escalade des séparatistes ?
Cette publication ne modifie en rien la position de la France sur le fond. La souveraineté de l’Etat malien sur le Nord Mali ne saurait être remise en cause. L’intégrité du territoire malien et l’unité du pays ne sont pas négociables. Il appartient à l’ensemble des communautés vivant dans le Nord Mali de définir avec les autorités de Bamako le futur statut des trois régions du Nord Mali. Il est urgent que, par le dialogue, le MNLA et les autorités de la Transition créent les conditions de ce forum.
Le Républicain : M. de Raincourt, votre ancien Ministre de la Coopération, a reconnu que des membres du MNLA ont été reçus au Quai d’Orsay en décembre dernier, le nouveau gouvernement socialiste va-t-il continuer la même politique de soutien aux indépendantistes touareg ?
Comme je l’ai à maintes fois répété, recevoir des interlocuteurs à leur demande ne signifie pas qu’on souscrit à leurs propos, encore moins qu’on les soutient. Ce procès en sorcellerie instruit contre la France doit cesser une bonne fois pour toutes. Si, en discutant avec les uns et les autres, nous pouvons aider à faire émerger une solution à la crise, je ne vois que des avantages à recevoir toutes les parties qui le demandent. Si, dans le passé, les autorités de Bamako n’avaient pas fait la sourde oreille à certaines préoccupations qui ont surgi au grand jour lors du colloque organisé fin 2011 par le PARENA, si elles avaient opté pour un réel dialogue et non pour des manœuvres dilatoires, nous ne serions pas là où nous en sommes.
Le Républicain : L’Afrique s’apprête à saisir le Conseil de Sécurité pour l’envoi de troupes au Mali. La France est prête à voter une telle résolution ou va-t-elle opposer son veto ? Si la résolution passe, allez-vous envoyer des troupes au Mali dans le cadre de cette mission ?
La France a été le premier pays à saisir le Conseil de sécurité de la question du Nord Mali, dès que la rébellion a éclaté. Plusieurs déclarations ont été publiées à son initiative. La France se félicite que le Conseil de sécurité ait engagé l’examen d’un projet de résolution destiné, selon elle, à appuyer les efforts des autorités de Bamako, de la CEDEAO et de l’Union africaine pour parvenir à résoudre la crise du Nord Mali qui menace la stabilité de toute la région sahélienne. Il n’a, à aucun moment, été envisagé l’envoi de troupes françaises au Mali.
Le Républicain : La France et le Mali avaient des divergences sur le dossier de la présence des Maliens en situation irrégulière dans l’Hexagone. Le changement de gouvernement dans les deux pays va-t-il améliorer l’examen de ce dossier ?
Il est de l’intérêt des deux pays de renouer la discussion sur cette question sans esprit polémique.
Le Républicain : Qui sera le premier ministre du Gouvernement Hollande à visiter le Mali ? Quand aura lieu une telle visite ?
La question n’est pas encore posée. Pour l’heure, c’est le Premier ministre malien qui est en déplacement à Paris.
Le Républicain : Le Président Dioncounda Traoré sera-t-il reçu à l’Elysée avant son retour au Mali ?
Il est actuellement en France en visite privée. Cela étant, comme les autres chefs d’Etat qui viennent en France en visite privée, il pourra être reçu à l’Elysée, de toute évidence, s’il en fait la demande.
Le Républicain : La France prendra-t-elle des mesures (des gendarmes du GIGN et des commandos du SPHP) pour assurer la sécurité du Président de la Transition ?
Il appartient au premier chef aux forces de l’ordre maliennes d’assurer la sécurité des organes de la Transition. Leur responsabilité est engagée.
Le Républicain : Vous êtes un ambassadeur particulièrement actif. Ceci est-il dû à votre tempérament personnel ou au dynamisme de la politique française au Mali.
Vous l’aurez compris, je pense, je suis plus un actif qu’un contemplatif. Plus sérieusement, je dirai que le Mali et la France sont unis par des liens très forts en raison d’une histoire commune, de valeurs communes, d’une langue commune, de réseaux exceptionnels de solidarités qui s’expriment à travers une coopération décentralisée très dense et une diaspora malienne dynamique et nombreuse. Il est normal dans ces conditions que la politique française au Mali soit réactive, quand le Mali souffre.
Le Républicain : Le Mali traverse une des périodes les plus sombres de son histoire. Êtes-vous pessimiste pour la suite, ou plutôt optimiste ?
La France a, elle aussi, connu des heures sombres. A force de volonté, de sacrifices aussi, et avec l’aide de ses amis, elle a surmonté les épreuves. Il en sera de même pour le Mali. Il importe que les organes de la Transition puissent se concentrer sur leurs missions principales : restaurer la souveraineté de l’Etat sur l’ensemble du territoire et organiser des élections libres et transparentes. Pour cela, il faut que l’ordre constitutionnel soit respecté, que l’état de droit soit pleinement rétabli, que les militaires se consacrent enfin à leur vraie mission : assurer la défense du pays et non se substituer au pouvoir politique, qui seul peut procéder à d’élections démocratiques.