Les Maliens sont fatigués, pas seulement de cette guerre injuste à nous imposer par des aventuriers en quête de territoire à occuper et de peuples à soumettre, mais aussi et surtout de la mauvaise gestion de notre rêve de démocratie après la chute du régime militaire du général Moussa Traoré. Au point que nombre d’entre eux semblent regretter de plus en plus cette période pourtant pas reluisante en matière du respect des droits de l’homme. A qui la faute ? Les temps ne sont certes plus aux accusations futiles, car, nous avons collectivement failli, et c’est collectivement que nous pourrons rebondir sur de bons pieds. N’empêche que les responsabilités des uns et des autres, dans cette faillite de notre pays, doivent être clairement situées et sanctionnées. Il ne d’agit pas pour moi de chasse à la sorcière, mais de sonner une fois pour toutes la fin des « mussahaha« , des mensonges et des non-dits. De se parler droit dans les yeux, sans haine mais sans concession. Et de se pardonner, peut-être. Une question de vie ou de mort pour notre pays.
Dans les années 1990, une rébellion armée nait dans le nord du pays. Comme pour lui faire échos, des mouvements, sociaux suivis de revendications, voient le jour à Bamako et dans d’autres villes du pays. C’est la conséquence du fameux Sommet de la Baule, pourrait-on dire. Mais il faut dire que bien avant, les peuples africains souffraient de la dictature des présidents à vue. La jeunesse avait besoin du neuf, de changement positif dans la gestion de leur pays.
Justement, pour parler du cas spécifique du Mali, le fer de lance des mouvements de contestations est essentiellement composé de jeunes, élèves et d’étudiants, mais aussi de jeunes diplômés sans emploi, de déflatés de la fonction publique, compressés, partants dits volontaires à la retraite. Tous durement éprouvés par la précarité.
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Les mesures d’ajustements structurels imposées au pays par Le Fonds Monétaire international et la Banque Mondiale ne sont pas étrangères à cette situation.
Il faut dire que depuis 1980, voire bien avant, les enseignants, les élèves et les étudiants, lesquels n’ont jamais accepté le régime militaire, le combattaient. Certains y laisseront leur vie, d’autres leur santé.
Les mouvements de contestations dans le sud et la rébellion armée dans le nord finirent par terrasser le régime du Général Moussa Traoré, lequel dirigeait le pays d’une main de fer depuis 23 longues années. Cependant il est précisé que ce dernier réglait généralement ses comptes, en tout cas jusqu’aux tragiques événements ayant entrainé sa chute, avec ceux qui, civils ou militaires, s’en prenait à son pouvoir. La population civile était relativement épargnée de sa férocité. Ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui, où il ne se passe pas une semaine sans que des militaires et des civils soient sauvagement massacrés.
A la chute du général Moussa Traoré, notre aventure démocratique aurait pu être belle si tous les protagonistes avaient été réellement acquis à sa cause. Mais dès le lendemain de l’élection d’Alpha Oumar Konaré, l’opposition d’alors, un certain Coppo, « Collectif de l’opposition », jura de faire rendre gorge au nouveau chef de l’Etat « avant 6 mois !« La suite, on connait : nouvelle instrumentalisation de l’espace scolaire, grèves, marches violentes, destructions de biens publics et privés, incendies de sièges de partis politiques, d’établissements scolaires, de bibliothèques, de maisons d’éditions. Même notre Assemblée nationale n’a pas échappé à la hargne des vandales démocratisés, laquelle fut en partie saccagée. J’ai été personnellement stupéfié par la mort de cette pauvre villageoise, aide-ménagère de son état, qui fut brûlée dans le domicile du proviseur du Lycée Mamby Sidibé de Kati.
L’horreur absolue. La justice aurait dû s’emparer du dossier, mener des enquêtes et faire juger et condamner les auteurs de ce crime odieux. Mais personne n’a été inquiété. Ne parlons pas non plus de l’assassinat de pauvre policier en civil tué par balle lors d’un meeting au Palais de la culture.
Le pays devient ingouvernable. Nombre de premiers ministres vite sont passés à la trappe. Le Président Konaré, une nuit que je présume longue pour lui, fait appel à un certain Ibrahim Boubacar Keita. C’est un homme de poigne, un vrai casse-cou en ces temps de tous les dangers. Le nouveau Premier ministre croise le fer avec les vandales démocratisés. Les combats se transportent jusque dans les rues des quartiers périphériques. L’homme parvient à ramener une certaine accalmie dans le pays. Mais hélas, celle-ci ne profitera pas non plus à la démocratie mais aux prédateurs économiques à l’affût : spéculations foncières, spoliations de paysans de leurs terres ancestrales, détournements de fonds, corruption. Même l’école n’est pas épargnée, car sa privatisation, au lieu de permettre aux professionnels enseignants déflatés de la fonction publique de contribuer à l’effort de scolarisation du maximum d’enfants du pays, bénéficiera aux spéculateurs de tout bord. Des écoles privées munies d’agréments mais ne respectant aucune norme poussent comme des champignons. L’Etat comme les parents d’élèves sont proprement plumés, avec des résultats de réussite dérisoires. Cette situation désastreuse de l’école prendra l’ascenseur avec le retour du Général Amadou Toumani Touré aux affaires, et verra jusqu’à des poulaillers transformés en écoles. A tout cela s’ajoute que l’espace scolaire s’est transformé en arène politique. Des leaders du syndicat estudiantin sont envoyés en catimini collecter quelques diplômes et à leur retour, sont nommés conseillers dans les ministères. D’autres se projettent à leur place et chauffent à blanc les campus avant d’être récupérés à leur tout par des politiciens véreux. Voraces, les syndicats enseignants prennent littéralement le pouvoir au détriment de l’administration scolaire. Entre autres exemples, la gestion du recrutement des docteurs dans la fonction publique est géré, non pas par le ministère, mais par les syndicalistes…
Ce qui se passa ensuite entre le Président Konaré et son ami Ibrahim Boubacar Keita, son Premier ministre, reste un secret bien gardé. Toujours est-il que le dernier, IBK donc, sera brutalement éjecté et de la Primature et du Parti Adéma dont il était devenu le président. Le pays pâtit encore de cette déchirure. Mais les vieux amis et hommes d’Etat doivent savoir que le Mali est au-dessus de leur égo. De sa cellule, le Président Modibo Keita lui-même, aux dires de certains, n’avait pas arrêté de prodiguer des conseils à ses tombeurs chaque fois qu’il s’était agi de la patrie.
Le président Konaré aura ainsi perdu tout son premier mandat à éteindre des incendies au lieu d’ouvrir les chantiers de son programme de développement du pays. Il s’en tirera néanmoins à bon compte par rapport à son successeur, Amadou Toumani Touré. Même si celui-ci, avec son consensus politique, bénéficiera d’une longue période de grâce. Avant d’être rattrapé par le même consensus politique transformé en foire à bouffe, où la corruption, le népotisme, voire le tribalisme et le régionalisme se sont érigés en mode de gouvernance. La corruption, déjà avancée, profitera de l’incurie politique pour déployer davantage ses tentacules. Les premiers fonctionnaires milliardaires voient le jour et dament les pions aux opérateurs économiques professionnels.
Le coup d’État des « guenillards » viendra donner un coup d’arrêt à notre processus démocratique, en même temps qu’elle déclenchera la crise politico-sécuritaire la plus grave de notre histoire récente. Crise que le président Ibrahim Boubacar Keita tente encore de gérer avec plus ou moins de fortune, toujours au milieu d’un cloaque de corruption.
Oui, le pays a besoin de dialogue pour panser ses plaies et rebondir sur de bons pieds. Il n’est jamais trop tard pour se réconcilier, surtout quand on est condamné à vivre ensemble.