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« Monsieur le Président, mon père est mort il y a six ans » : la lettre de la fille de Claude Verlon, tué au Mali
Publié le samedi 2 novembre 2019  |  ouest france
Ghislaine
© Autre presse par DR
Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les deux envoyés spéciaux de RFI tués près de Kidal
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En 2013, Claude Verlon, ingénieur du son à RFI et Ghislaine Dupont, sa collègue journaliste, ont été assassinés au Mali. Apolline Verlon-Raizon, la fille de Claude, interpelle le président Macron. Dans une lettre publiée en exclusivité sur notre site, elle s’indigne de ne pas savoir, six ans après le drame, « sous quelles balles », pourquoi et comment sont morts son père et sa consœur.

La Yamaha de Claude Verlon est encore garée là où le technicien de reportage l’avait laissée avant de s’envoler pour le Mali. Sur le parking parisien de Radio France internationale (RFI).

Cette bécane, « c’était son cheval », sourit Apolline Verlon-Raizon, sa fille. Depuis six ans, personne n’y a touché. Depuis ce 2 novembre 2013, funeste jour où son père et Ghislaine Dupont, sa consœur journaliste, ont été assassinés au nord du Mali, près de Kidal, région dévastée par le terrorisme. « C’est la première année où la date anniversaire de leur mort tombe un même jour, un samedi. Celui-là est gravé à jamais. »

Comme est figée la sensation de légèreté qui régnait une seconde avant le choc de l’annonce. Avant ce drame qui plombe maintenant depuis tant de samedis, mois et années, la vie des familles, des copains, des collègues. « C’était en début d’après-midi, j’étais assise tranquille dans mon canapé, à bouquiner et regarder à la télé Le meilleur pâtissier. Un collègue de papa, qui était à Bamako, la capitale, m’appelle pour me dire ‘Ghislaine et ton père ont été enlevés’ au sortir d’une interview. Ça sent pas très bon… »

« Quelle photo moche ! »
Apolline se souvient de la sidération, ce bouclier psychologique qui tient à distance la foudroyante violence. « En voyant la photo de mon père tourner en boucle sur les chaînes d’infos, je me dis : "Quelle photo moche ! On en rigolera à son retour." Je me persuade, que non, on ne tue pas des otages comme ça, Ghislaine et mon père sont des professionnels aguerris, ça va s’arranger. »

Comment ce reporter chevronné, capable de « faire pousser une radio dans le désert », pouvait-il être victime d’une telle embrouille en reportage ? Sa fille ne doute pas, il reviendra sain et sauf, et pour mieux repartir.

D’ailleurs, Apolline se souvient d’une scène quelques jours avant cette mission : « Je le revois assis chez nous, en tailleur, au sol, déplier la carte du Mali et me montrer la zone de Kidal. Là, me disait-il, il y a les méchants, les terroristes. Là, les militaires. Ce reportage était très préparé, il y était allé déjà en août et ce Mali, il le connaissait comme sa poche. Mais, après coup, j’ai réalisé que c’était bien une des rares fois où il avait tant voulu me voir avant de partir, m’expliquer ce qu’ils allaient faire. »

Hollande promet de dire la vérité
Pendant que les images défilent à la télévision, Apolline compose sans arrêt le 06 de Claude, toujours la messagerie. Une heure s’écoule entre l’appel de Bamako et celui du responsable du ministère des Affaires étrangères lui annonçant que les deux corps ont été retrouvés, criblés de balles au pied d’un pick-up. L’acte sera rapidement revendiqué par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).

La veille encore, la « pucette », comme l’appelait son père, avait bavardé avec lui au téléphone. « Il me racontait avoir trouvé des sachets de thé très drôles à l’effigie de Hollande ! À ses retours de reportage à travers le monde et l’Afrique qui le passionnaient tant, il y avait toujours des souvenirs pour moi dans ses valises. »

Terrible ironie du sort, quelques jours plus tard à l’aéroport de Roissy, c‘est ce même François Hollande qu’elle retrouve au pied des cercueils des défunts. Cette fois, dans son costume de président de la République. Il lui promettra alors, « les yeux dans les yeux », de tout faire pour connaître la vérité.

75 minutes pleines d’ombres
Mais, six ans et un nouveau chef de l’État plus tard, cette vérité piétine et s’enlise. C’est pourquoi Apolline écrit aujourd’hui à Emmanuel Macron, ce vibrant « Monsieur le Président, mon père est mort », publié ci-dessous en intégralité.

L’enquête, confiée au parquet antiterroriste de Paris, « sera longue nous avaient bien prévenu nos avocats. Mais avec autant d’ombres et de portes fermées, c’est insupportable », s’insurge Apolline.

Tellement de questions essentielles : qui et où sont passés les ravisseurs ? Quel était leur motif ? Pourquoi le déroulé de ces 75 minutes entre l’enlèvement signalé et la mort constatée est-il si opaque ? Quel a été le rôle des militaires dans cette région sensible où cohabitent les forces armées onusiennes de la Minusma, celle de l’Armée française avec l’opération Serval et celle de la Force Sabre, leurs forces spéciales ?

Une rédaction traumatisée et mobilisée
Face à une armée, grande muette sur des documents classés secret-défense, à des services secrets de la DGSE, grandes oreilles sourdes aux appels et à des ministres mutiques au Quai d’Orsay, les proches s’impatientent. Et les collègues de RFI enquêtent pour que cette affaire-là ne tombe pas dans l’oubli.

Car des drames de journalistes assassinés, cette rédaction en a déjà tellement vécus. Johanne Sutton en 2001 en Afghanistan, Jean Hélène en 2003, en Côte d’Ivoire.

Un média qui sait également, pour couvrir tant d’autres prises d’otages sur le continent africain, combien les sources d’informations sont vite taiseuses et retorses dans ce genre de crise.

D’ailleurs, en 2013, quatre jours avant l’assassinat des journalistes de RFI, ce sont les quatre otages d’Arlit au Niger voisin qui avaient été libérés après trois années de captivité aux mains d’Aqmi. L’issue heureuse pour les employés d’Areva aurait-elle un lien avec l’issue fatale de ceux de RFI ? Certains se posent la question.

Faire enfin le deuil
Alors à la radio, une cellule d’investigation a été mise en place pour suivre le dossier Dupont-Verlon. En juillet dernier, leur travail a déjà abouti à la remise en question de la version officielle. Des horaires ne correspondent pas, des doutes planent sur les tirs échangés, sur la présence d’un hélicoptère français, sur l’intervention, toujours niée, des fameuses forces spéciales. Et encore ce samedi la cellule d'investigation revèlera de nouveaux éléments sur l'affaire.

« Ce flou nous incite à penser qu’on nous cache des choses. S’il y avait une erreur de notre armée, ne dit-on pas faute avouée à demi pardonnée ? » Déjà, avant le pardon, ce qu’aimerait Apolline, « c’est de pouvoir enfin entamer notre deuil ».

En attendant la vérité, déjà réalisatrice à RFI, elle s’est formée au journalisme. « Sans doute pour mieux comprendre le travail de pros qui, comme Claude et Ghislaine, mettent leur vie en danger afin que les vérités et l’actualité de ce monde soient connues de tous.

La lettre d’Apolline Verlon :
« Monsieur le Président, mon père est mort

Si je vous l’écris aujourd’hui de manière aussi abrupte c’est parce que je me demande parfois si vous en avez bien été informé.

Il faut dire que c’est arrivé il y a 6 ans et, qu’à l’époque, vous n’étiez pas président de la République.

C’est sous le quinquennat de François Hollande que les faits se sont produits. Que mon père, Claude Verlon et sa consœur Ghislaine Dupont ont été enlevés puis abattus au nord du Mali.

Cela vous dit sûrement quelque chose maintenant…

Monsieur le Président, mon père est mort le 2 novembre 2013 et depuis ce jour il me semble que c’est mon cœur qui s’est arrêté de battre.

Cela fait 6 ans que j’attends que la vérité soit faite sur ce qui s’est passé à Kidal ce samedi de novembre.

J’ai beaucoup espéré de Monsieur Hollande pendant plus de 3 ans, j’ai même cru, je le confesse, en ses promesses de transparence, en ses mots de soutien, ceux d’un père qui me disait comprendre combien ma peine devait être grande et qui me promettait, les yeux dans les yeux, une vérité rapide et totale.

Et puis « pschiiiiit », plus personne.

Puis vous êtes arrivé et, avec vous, un nouvel espoir de vérité.

Vous sembliez incarner une façon si nouvelle d’aborder la fonction, votre personnalité, votre jeunesse me semblaient soudain incompatibles avec cet endormissement dans lequel voulaient m’entraîner mes interlocuteurs précédents.

Cette fois c’était sûr, quelqu’un allait taper du poing sur la table et allait secouer les services, les armées, les enquêteurs de Paris à Bamako jusqu’à ce que la vérité tombe quelle qu’elle soit.

Monsieur le Président, mon père est mort, et, 6 ans plus tard, je ne sais toujours pas sous quelles balles.

Pire, les années qui passent me font douter, chaque jour un peu plus des « versions officielles ». Si c’est si simple, si vraiment les ravisseurs ont paniqué et se sont débarrassé de leurs otages pour mieux fuir dans le désert, pourquoi les détails de cette cavale sont-ils si compliqués à établir ?

Dès lors, tous les scénarios sont possibles, toutes les responsabilités sont envisageables. Les forces de l’ONU présentes sur place, l’armée française, les services spéciaux… Quels acteurs ont joué un rôle dans le déroulement tragique de cette journée ?

Une chose est sûre, Monsieur le Président, c’est que, puisque vous n’aviez pas de fonction exécutive à l’époque, vous n’engageriez en rien votre crédibilité, ni celle de votre gouvernement en étant celui par qui la vérité arrive.

Il vous faudrait peut-être confesser une faille ou un dysfonctionnement de nos armées dont vous êtes le chef comme vous le rappeliez à tous il n’y a pas si longtemps, mais serait-ce si grave ?

Au contraire, vous qui semblez si décidé à moderniser tant d’aspects de notre société, ne serait-ce pas là l’occasion d’ouvrir un débat constructif sur la tradition du silence de cette institution ? La « grande muette » peut-elle encore revendiquer ce statut en toute circonstance dans le monde de 2019 ?

Monsieur le Président, mon père est mort il y a 6 ans et la vérité sur son assassinat et celui de Ghislaine Dupont éclatera un jour, parce qu’elle finit toujours par éclater.

Ce que j’aimerais aujourd’hui c’est qu’elle vienne de mon pays, de sa justice qui fait sa fierté, de vous Monsieur Macron parce que vous nous la devez : à mon père, à ses proches, mais aussi à Ghislaine, et Marie-Solange, sa mère et à tous les journalistes qui chaque jour mettent leur vie en danger pour que l’actualité de ce monde, même la plus sombre, soit relayée et connue de tous. »
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