Florence Parly, la ministre française des Armées, s’est rendue au Sahel. A Gao, dans l’est du Mali, elle a annoncé une nouvelle initiative pour tenter de redonner l’initiative aux forces qui luttent contre les groupes armés terroristes. Explications.
Florence Parly n’en démord pas : « Nous sommes armés de patience », a-t-elle déclaré à Gao devant les militaires français de l’opération Barkhane. Des mots légitimes mais qui ne peuvent guère rassurer les populations sahéliennes et les soldats de cette région menacés au quotidien par les exactions des djihadistes.
La ministre des Armées a toutefois ajouté que les soldats qui luttent au Sahel et leurs chefs militaires et politiques disposent aussi « de volonté » et « d’idées nouvelles ».
Parmi ces idées nouvelles figure celle d’un déploiement de forces spéciales pour épauler les unités locales et les militaires de Barkhane dans leur mission. Dans un entretien accordé à Ouest-France, début octobre, la ministre parlait d’un « accompagnement au combat » des forces armées sahéliennes par des forces spéciales (FS) européennes.
« Sabre » en tamachek
Lundi 6 novembre, à Gao, sur la grande base multinationale dans l’est du Mali, Florence Parly a précisé ce projet : « C’est pourquoi nous avons décidé de créer une unité de forces spéciales européenne. Dès 2020, les forces spéciales françaises aux côtés des forces spéciales de nos partenaires européens seront déployées au Mali pour transmettre leur savoir-faire d’exception aux militaires maliens. Et je vous annonce aujourd’hui que cette unité de forces spéciales européennes se nommera Takuba, qui signifie « sabre » en tamachek. Ce sera le sabre qui armera les forces armées maliennes sur le chemin de l’autonomie et de la résilience. La force Takuba complète Barkhane et dessine le nouveau visage de la lutte contre le terrorisme au Sahel. Tout en poursuivant notre combat contre les groupes terroristes, nous concentrons nos efforts vers la montée en puissance de nos forces partenaires. »
La ministre n’a pas précisé quels pays fourniraient des contingents. Mais l’Estonie a déjà annoncé qu’une unité de ses FS rejoindrait le Mali en soutien à l’opération française et aux commandos français de la force Sabre. Une force déployée au Sahel depuis 2009.
Autopsie d’une bonne idée
La déclaration de la ministre française mérite quelques commentaires :
Florence Parly parle de forces spéciales européennes. Quid des forces spéciales américaines qui sont bien présentes sur le théâtre, en particulier au Niger où quatre Rangers ont trouvé la mort lors de l’embuscade de Tongo Tongo en octobre 2017 ? Leur concours serait bien venu, tout comme leurs moyens (drones, hélicoptères etc.) ?
La force Takuba sera déployée au Mali mais opérera-t-elle uniquement sur ce territoire ? On sait que la zone des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina est un repaire de djihadistes qui y multiplient les attaques.
Le rôle spécifique des forces spéciales européennes est-il la formation ? Si oui, n’assiste-t-on pas à la mise en place d’un EUTM-Mali (la mission européenne de formation de l’armée malienne) bis ?
Déployer des forces spéciales, c’est bien, encore faut-il les équiper… Et leur permettre de remplir leurs missions. La ministre n’a pas précisé les effectifs et les équipements de Takuba.
Takuba « complète Barkhane » dit la ministre : cette force aura-t-elle un rôle offensif. Si c’est le cas, quid des moyens (aéroportés par exemple) vitaux pour un succès ?
Y a-t-il une dimension « mentoring » dans cette mission ? Le mentoring, tel que pratiqué en Afghanistan, consistait à intégrer des conseillers pour assister les troupes amies. Les « équipes de liaison et de tutorat opérationnel » (ELTO, OMLT en anglais) étaient des équipes intégrées/incorporées aux unités amies qu’elles accompagnaient sur le terrain.
Si Takuba n’est qu’une énième mission de formation, sa portée risque d’être limitée. L’expérience montre malheureusement que les programmes de formation des forces maliennes n’ont pas été aussi satisfaisants qu’on l’espérait. Les revers subis récemment en témoignent.
Par ailleurs, la dégradation sécuritaire indiscutable mérite une attention urgente : la patience, même armée, n’a plus cours.