GAO (Mali) - Noirs, Arabes et Touareg réapprennent petit à petit à vivre ensemble à Gao mais le chemin d’une vraie réconciliation, l’un des défis du prochain président malien, est encore long dans la grande ville du Nord libérée en janvier de l’occupation islamiste.
"Je suis rentré il y a deux mois avec ma famille, je n’ai aucun problème. Mes enfants n’ont pas été agressés, donc tout va bien", raconte à l’AFP Abdellah Ould Hamadi, un commerçant arabe planté devant sa boutique bien achalandée en nourriture et boissons.
Autour du marché "Washington", en plein centre de cette ville située à 1.200 km au nord-est de Bamako, quelques magasins appartenant à des Arabes ont en effet rouvert.
Par crainte de représailles, de nombreux membres de cette communauté, majeure dans le commerce local, avaient quitté Gao après la fuite des jihadistes chassés par une opération militaire franco-africaine: comme les Touareg, les Arabes sont souvent assimilés par les populations noires à ceux qui étaient maîtres de la ville depuis 2012.
Des Arabes et des Touareg "sont rentrés, on voit leurs enfants jouer avec ceux de leurs voisins: c’est déjà un pas vers la réconciliation", relève Ahmed, propriétaire noir d’une boutique de prêt-à-porter.
Dans les dernières heures de la campagne qui s’est achevée vendredi en vue de la présidentielle de dimanche, des groupes de Touareg étaient en ville, sonnant la mobilisation pour tel ou tel candidat. Une visibilité encore impensable il y a peu.
"La tension intercommunautaire a certes baissé, mais elle n’a pas disparu. Ça peut rebondir à tout moment", avertit toutefois Ousmane Touré, responsable d’une ONG locale.
"Obligés de cohabiter"
"Nous sommes obligés de cohabiter avec les Arabes et les Touareg. Nous sommes interdépendants", souligne Alassane Tiégnaboria, chef d’un quartier de Gao.
Le vieil homme en boubou jaune et turban blanc s’empresse cependant de
préciser: "avant de pardonner, ceux qui ont causé du mal, notamment les
dirigeants du MNLA, doivent reconnaître leur tort et demander publiquement
pardon aux autres communautés. C’est la seule condition d’une vraie
reconsolidation de la paix".
Parmi les communautés noires, majoritaires, les récriminations sont très
fortes à l’égard du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Cette
rébellion touareg, au départ indépendantiste, avait lancé l’an dernier la
conquête du Nord, avant d’être balayée par les combattants proches d’Al-Qaïda,
qui ont imposé leur lecture rigoriste de la charia (loi islamique) et son lot
de violences.
Ces rancoeurs ne sont pas nouvelles, car le MNLA n’est que la dernière
rébellion touareg en date depuis des décennies. Mamadou Ibrahim, vendeur de
fripes sur une artère de la cité, retrousse son pantalon pour montrer des
cicatrices à ses genoux: il s’agit, selon lui, de "séquelles de balles reçues
en 1994 lors d’une attaque de Gao par les rebelles touareg".
"Notre plus gros problème, c’est le problème touareg", assène Moussa
Chaïbou Maïga, un homme d’affaires de l’ethnie songhaï (noire). "Aux Touareg,
le pouvoir donne tous les privilèges, et à nous rien. Dès qu’ils réclament
quelque chose, ils sont aussitôt satisfaits. Il faut mettre fin à tout cela",
proteste-t-il, assis sous un grand arbre.
Son ami Ali Maïga, vendeur de panneaux solaires, met en garde: les Noirs
pourraient à leur tour être tentés par la manière forte. "Si jamais cette
discrimination perdure, nous risquons de prendre les armes et ça risque d’être
le chaos total. Le prochain président est donc prévenu".
Religieux musulmans, associations et radios locales relaient déjà des
messages en faveur de la réconciliation.
Nombre d’habitants attendent surtout les négociations de paix que le nouveau président devra engager après son installation, selon l’accord intérimaire signé en juin au Burkina Faso. Ces discussions devront se nouer avec les rebelles touareg, toujours présents à Kidal, autre ville plus au nord, mais aussi les autres mouvements armés et l’ensemble des communautés.
"Tant qu’il n’y a pas cet accord de paix global entre le gouvernement du Mali et les groupes armés, il va être difficile d’expliquer aux populations la nécessité de se réconcilier", fait valoir Assarid Ag Imbarcaouane, un député touareg.
Il faut un "dialogue inclusif", insiste Ousmane Touré, le responsable d’ONG, sous peine d’aggraver les divisions. "Si jamais le nouveau président se hasarde à n’aller que vers ceux qui ont pris les armes, ça va être très dangereux".